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Le foirail de Buenos Aires a fait sa mue à Cañuelas

Le principal lieu de négoce du bétail argentin où sont établis les prix de référence du vif pour tout le pays a récemment déménagé. Désormais située loin du centre de la capitale, sa délocalisation a été soigneusement préparée car lourde d’enjeux financiers.

Le marché de Liniers est mort, vive le marché de Cañuelas ! Après 122 ans de règne absolu sur le négoce de bétail vif en Argentine, le mythique foirail de Buenos Aires a déménagé, en mai dernier, à 66 kilomètres à l’ouest de la capitale argentine.

Cañuelas est une bourgade située dans une zone mi-urbaine, mi-rurale, aux confins de la banlieue de Buenos Aires. C’est là qu’a été construit le nouveau marché associé à une salle de ventes ultramoderne de dimensions XXL, même si cette dernière peut paraître minuscule comparée au labyrinthe des enclos de l’ancien marché.

Ce dernier était condamné à la fermeture depuis longtemps car situé dans Buenos Aires intra muros, une ville de 3 millions d’habitants (14,5 millions pour l’ensemble de l’agglomération). Aujourd’hui, les 30 hectares de ce site sont particulièrement convoités par les promoteurs immobiliers et seront prochainement urbanisés.

Une page de l’histoire de l’Argentine

Avec la fermeture du marché, c’est une page de l’histoire de l’Argentine qui est tournée. N’oublions pas qu’une grande partie de l’économie argentine s’est construite autour de la filière du bétail et de la viande sous l’action de familles de grands éleveurs négociants. D’ailleurs on retrouve aujourd’hui très souvent leurs noms dans presque toutes les sociétés de premier plan du pays, tous secteurs d’activité confondus.

Donc depuis bientôt six mois, Cañuelas est devenu le centre névralgique de la filière viande bovine argentine. Ce déménagement était lourd d’enjeux car les 45 maisons de négoce, propriétaires dudit marché, déplacé, reconstruit et rebaptisé, y jouent leur avenir. Ce transfert sur un nouveau site a été préparé plusieurs années en amont, depuis le choix stratégique du nouvel emplacement (plus proche des zones d’élevage) jusqu’à l’acquisition du terrain et la construction à proprement parler du nouveau foirail.

100 000 bovins par mois

Maintenant, il faudra s’y habituer, il s’appelle le MAG (Mercado AgroGanadero) en français marché agri-élevage de Cañuelas. A priori, l’essai semble déjà avoir été transformé par les négociants, puisque la nouvelle place reçoit autant de bétail que l’ancienne, près de 100 000 bovins par mois, soit environ 10 % du nombre total de bovins mensuellement abattus dans le pays. Un tel volume fait que le MAG reste la référence pour établir les prix pour les différentes catégories de bovins vivants pour toute la filière au plan national.

La nouvelle salle de ventes, aussi plate que la Pampa, apparaît au visiteur, loin du bord de route, tel un aéroplane. À la base des ailes, les bureaux vitrés des maisons de négoce ainsi que ceux des gros acheteurs, sont collés les uns aux autres en surplomb des enclos. La modernité et la fonctionnalité des nouvelles installations font que tout va plus vite qu’à l’ancien marché de Liniers, mais au fond rien n’a changé.

À Cañuelas, on retrouve les mêmes négociants, acheteurs et gauchos en charge de déplacer les lots. La plupart d’entre eux ont d’ailleurs hérité leur métier de père en fils. Les ventes aux enchères se déroulent sur le même mode, du haut de passerelles métalliques en surplomb des enclos, pour mieux observer l’état corporel des bovins, lesquels sont vendus en temps record par lots de 1 à 25. Une cloche résonne comme autrefois pour avertir les acheteurs de la tenue de chaque ronde. Seule une sirène de bateau assourdissante retentit d’heure en heure, celle du négociant Saenz Valiente Bullrich. Pour faire son intéressant, apprend-on.

Plus moderne et fonctionnel

Un tel déménagement coïncide aussi avec un renouvellement de génération. Le président du MAG de Cañuelas, Andrés Mendizabal, est un jeune quarantenaire peu bavard. « Le site est plus fonctionnel que l’ancien, lâche-t-il. À Buenos Aires, le bétail parcourait en moyenne 4,5 kilomètres depuis son entrée jusqu’à sa sortie des enclos. À Cañuelas, ce trajet a été réduit à 600 mètres. »

« Les lots d’animaux circulent de façon presque autonome car les voies de la seule avenue, à double sens, sont étroites et courbées à leur jonction vers les enclos de façon à faciliter leurs déplacements et les inciter à avancer », poursuit-il. Du haut des passerelles, un coup d’œil suffit pour embrasser la vue sur la totalité des 225 enclos de chacune des deux nefs. On passe de l’une à l’autre en une cinquantaine de pas à peine.

Les mardi, mercredi et vendredi

Le marché est ouvert tous les mardi, mercredi et vendredi, comme jadis à Buenos Aires. Les transactions concernent près de 20 000 têtes chaque semaine qui transitent à Cañuelas avant de gagner le chemin de l’abattoir. Un tel volume fait que la place conserve tout son rôle pour établir les prix de référence argentins.

Le jour de notre visite, le 13 septembre dernier, 7 985 bovins y avaient été vendus. La valeur des meilleurs lots de la catégorie la plus prisée (bouvillons gras de 350 kg) était de 310 pésos argentins le kilo vif. Au taux de change officiel, cela fait 1,93 euro/kg et un peu moins si on prend en compte le taux de change libre. « La commission des négociants reste inchangée, autour de 5 % », renseigne du bout des lèvres Andrés Mendizabal.

La cloche est un élément parmi tant d’autres de la tradition du mode de déroulé des enchères au foirail de Buenos Aires, dont l’usage est conservé à Cañuelas.

 

La viande des animaux qui transitent ici est destinée aux Argentins surtout, mais aussi aux étrangers, sauf pour certains contingents spéciaux, comme le Hilton, dont le protocole interdit encore le passage des animaux y étant destinés dans de tels foirails. Mais le jeune président du marché nous informe qu’il a pour projet d’y remédier.

Héctor Perez, alias Tito, est un gros client du marché qui exporte du bœuf aux quatre coins de la planète.

Héctor Perez, alias Tito, sympathique et dynamique petit homme de 64 ans, est de longue date un des gros acheteurs du marché. Il est propriétaire de deux abattoirs, dont l’un est situé à Bahía Blanca d’où il exporte du bœuf vers la Chine et plus récemment vers la Suisse où il a lancé sa marque Nuevo Tres Lomas de morceaux de premier choix. Selon Tito, « ce nouveau foirail est plus moderne et plus rapide que l’ancien. Tout le reste demeure inchangé", assure-t-il. Le savoir-faire de Liniers a été transféré tel quel dans cette nouvelle enceinte. "Moi, j’achète des bouvillons de 420 à 500 kg vif en très bon état pour fournir mes clients à l’étranger, et des génisses et de jeunes bouvillons de 300 à 340 kg pour le marché argentin qui réclame des morceaux ultra tendres de petite taille », précise-t-il à la fin d’un entretien donné dans une ambiance familiale.

Le prix des locations des terres indexé sur celui des bouvillons

L’indice bouvillon du marché agricole de Cañuelas (INMAG), qui a remplacé celui du foirail de Liniers, sert non seulement aux éleveurs de toutes les pampas pour négocier leurs prix de vente dans leur canton respectif, hors du marché, mais aussi aux propriétaires et aux locataires des terres d’élevage. Car dans leurs contrats, la valeur des baux ruraux n’est pas exprimée en peso, la monnaie locale perpétuellement dévaluée, donc inutilisable même à court terme, mais en prix du vif selon le cours directeur du MAG de Cañuelas, gage d’une certaine stabilité. Par exemple, la location annuelle d’une prairie de 100 hectares peut être fixée selon ces termes, à hauteur de 70 kg de bétail vif par an et par hectare. Cela fait 6 000 euros par an. Dans ce cas, les parties signent un contrat sur la base de l’indice bouvillon du MAG de Cañuelas.

 

Ángel Gonzalez, le doyen des gauchos du marché ."C'est pour moi un honneur que d'être le doyen des gauchos de ce marché dont les 122 ans d’histoire se confondent avec l’Histoire de l’Argentine."

Ángel Gonzalez, doyen des gauchos du foirail

« Les codes de conduite demeurent et on travaille toujours à cheval »

« Cela fait 43 ans que je suis bouvier au marché de Liniers, chez la maison Campos y Ganados. L’ancien foirail, nous le connaissions dans tous ses recoins. C’était notre maison. Ici, à Cañuelas, le foirail est plus petit mais bien plus fonctionnel. On y vend toujours autant de bêtes mais ça va plus vite. Les patrons ont donné au marché une deuxième vie, et à nous, les employés, une deuxième chance. Nos salaires et conditions de travail ont été conservés. S’ils ne l’avaient pas fait, nous aurions réclamé notre dû au bruit des bombos (gros tambours, NDLR) ! L’avantage du nouveau foirail est son potentiel de croissance. Un hôtel, une station essence et d’autres bâtiments y sont en cours de construction tout autour de la salle de vente. Alors que personne n’aurait investi un sou dans le foirail de Buenos Aires, condamné à la fermeture depuis des décennies à cause de son emplacement en pleine ville. Personnellement, je regrette l’atmosphère de l’ancien marché, ses sentiers ombragés, sa proximité de nos domiciles… Désormais, on doit faire le trajet à Cañuelas tous les jours en attendant que soient construites nos maisons d’employés sur le site. On travaille encore à cheval pour déplacer les lots car les bovins éprouvent envers cet animal un respect craintif instinctif, tandis que nous, en selle, on les voit mieux. Tous les acteurs du marché se sont transmis le métier de père en fils. Les codes de conduite demeurent intacts. Sa particularité, c’est qu’ici, les péons traitent directement avec les patrons. »

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