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Le Brexit fait trembler les acteurs du bœuf irlandais

En Irlande, les risques liés au Brexit sont sur les lèvres de tous les acteurs de la filière viande. Le pays joue gros dans la mesure où l’Irlande exporte 90 % de sa production avec la Grande-Bretagne comme principal client.

L’Irlande c’est 4,77 millions d’habitants et pratiquement autant de bovins ! Même si les Irlandais ont une consommation moyenne de 18,8 kg de viande bovine par habitant et par an, le pays se doit d’exporter l’essentiel de sa production. « L’Irlande est le plus important pays exportateur de l’hémisphère nord. Nous exportons 90 % de la viande bovine que nous produisons », souligne Rory Fanning, directeur de Slaney Foods, un des plus importants outils d’abattage irlandais. La Grande-Bretagne est leur principal acheteur. En 2017 l’Irlande a vendu 283 000 t de viande bovine à son voisin britannique, 240 000 t sur l’Europe continentale et 34 000 t en dehors de l’UE. « La Grande-Bretagne nous achète des aloyaux, des muscles issus de la cuisse, mais également beaucoup de viande désossée issue des avants qui est destinée, là-bas, à être transformée en viande hachée. »

La perspective du Brexit est le principal sujet de préoccupation du moment pour les acteurs du bœuf irlandais. Il est scruté au quotidien, analysé avec une certaine angoisse, en cherchant surtout des solutions pour pallier à ce coup dur en imaginant quel pourrait être l’impact des différents scénarios possibles. L’inquiétude va croissante dans la mesure où le Brexit fait peser de lourdes incertitudes. « Tant que le gouvernement britannique n’aura pas décidé la direction qu’il allait prendre, et à quel moment, il sera très difficile de savoir à quoi réellement s’attendre », déplore Bernadette Byrne, responsable viande pour l’antenne française du Bord Bia, bureau de promotion des produits de l’agroalimentaire Irlandais.

« Actuellement on ne sait vraiment pas grand-chose et surtout on ne saura rien avant octobre prochain. » Cette attente exaspère tout autant qu’elle agace. À moins d’un an de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, dont la date a été fixée au 29 mars 2019, nul ne sait encore quelle forme va prendre le divorce. Un Hard Brexit (Brexit dur) pourrait se traduire par une forte augmentation des droits de douane pour les produits agricoles importés. C’est le scénario le plus redouté. Le risque serait alors d’avoir de moins en moins de place pour le bœuf irlandais dans les assiettes anglaises avec une concurrence accrue de la viande importée d’Océanie ou d’Amérique latine.

Complexification accrue des flux de marchandise

Une autre conséquence de la décision des électeurs britannique sera de compliquer les flux de marchandise. L’Irlande est une île, et cette insularité ne facilite pas le commerce. Pour exporter, les Irlandais utilisent essentiellement la route. Une fois chargés de leur cargaison de viande, la plupart des camions transitent par les ports situés sur la côte est. Une fois à bord des ferrys, ils prennent la direction de l’Angleterre. Puis la traversent en prenant très souvent la direction de Douvres puis Calais. Quand la Grande-Bretagne ne fera plus partie de l’Union européenne mais des pays tiers cela va changer pas mal de choses. « Actuellement les camions quittent notre abattoir en fin d’après-midi et peuvent sans problème être à Rungis 24 h plus tard. Avec les mesures découlant du Brexit ce ne sera plus possible », souligne Rory Fanning. Quand les contrôles douaniers et vétérinaires vont se mettre en place, une fois la Grande-Bretagne sortie de l’UE, cela va se traduire par davantage de temps passé. Rory Fanning table sur une journée supplémentaire avec forcément un coût de transport plus important (salaire du chauffeur, immobilisation du camion…). Les deux autres ports possibles pour prendre la direction du continent sont ceux de Roscoff ou Cherbourg mais cela n’est pas pour autant la solution idéale.

Élargir les débouchés de la viande irlandaise

Pour remédier à l’érosion probable du débouché britannique toutes les possibilités sont envisagées. Les pays déjà clients (dont la France et ses principaux voisins) sont bien entendu analysés comme une des solutions de repli possible. La volonté est surtout d’aller à la conquête de nouveaux marchés. « La progression de la population à l’échelle de la planète va mathématiquement accroître les besoins. » Quinze pays sont plus particulièrement ciblés par Bord Bia. La liste est confidentielle mais des destinations comme la Chine et d’autres pays asiatiques font évidemment partie des priorités.

La récente ouverture du débouché chinois est un atout. Trois sites d’abattage ont été agréés pour l’exportation en avril dernier puis quatre autres en juin. Les premiers envois ont démarré en juillet.

Bord Bia promeut sans relâche

Bord Bia(1) est le bureau de promotion à l’exportation des produits issus du secteur agroalimentaire irlandais. C’est un organisme parapublic. Basé à Dublin il a des antennes dans les principaux pays cibles. Une vague d’embauche est en cours. La volonté est de trouver de la matière grise supplémentaire pour aider à chercher de nouveaux débouchés dans le cadre du Brexit.

Bord Bia a initié en 2012 une démarche appelée Origin Green, un programme de développement durable pour l’agroalimentaire. Il a été lancé en partenariat avec les différents acteurs du secteur et le soutien du gouvernement. Il vise à diminuer l’empreinte carbone de toutes les fermes et entreprises liées à l’agroalimentaire. Cela passe par de nombreux audits pour prouver que ce qui est dit est fait. En 2017 plus de 90 % des exportations agroalimentaires irlandaises provenaient d’entreprises engagées dans cette démarche.

(1) Bia signifie nourriture en gaélique, la langue originelle des Irlandais, dérivée du celte.

L’élevage irlandais en chiffres

- 140 000 exploitations agricoles dont 79 000 détiennent des vaches allaitantes (SAU moyenne 32,5 ha). Beaucoup de doubles actifs en particulier pour l’élevage allaitant.
- 1,042 million de vaches allaitantes et 1,34 million de vaches laitières en 2017 soit entre 2012 et 2017 + 283 000 VL et -110 000 VA.
- 590 000 t de production annuelle de viande bovine dont plus 90 % sont exportées : 51 % de ces exportations sont destinées au Royaume-Uni, 43 % à d’autres pays de l’Union européenne et 6 % sont orientées sur pays tiers.
- 196 200 têtes d’exportation de bovins vivants en 2017 dont 101 800 veaux, 66 500 broutards et 27 900 bovins finis.
- 360 kg à 28,4 mois pour les bouvillons, 314 kg à 25,9 mois pour les génisses et 372 kg à 18,6 mois pour les taurillons sont les âges et poids moyen à l’abattage.

Slaney Foods mise sur l’image des vertes prairies

L’abattoir Slaney Foods abat 90 000 gros bovins par an. Leur viande est principalement destinée à l’exportation. L’entreprise mise beaucoup sur la belle image des vertes prairies pour mettre en avant sa production.

Construit dans une des boucles de la Slaney river qui lui a donné son nom, l’abattoir Slaney Foods est situé près de la bourgade de Bunclody à 120 km au sud de Dublin. Il abat, découpe et vend chaque année les muscles de 90 000 gros bovins et emploie pour cela 450 salariés dont de nombreux émigrés polonais et lituaniens. Il totalise quelque 150 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel dont 90 % à l’exportation. « Nos différents marchés à l’export sont par ordre décroissant la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Italie, la France, la Belgique, la Suède, l’Allemagne, la Suisse, la Chine, le Japon et les États-Unis. 55 % du commerce est réalisé avec la Grande-Bretagne et un peu moins de 10 % avec la France. Chez vous, nous vendons principalement des onglets et de la bavette mais également des côtes de bœufs dès que démarre la saison des barbecues. La France est également un gros débouché pour les langues. En Grande-Bretagne, nos principaux clients sont les GMS et la restauration », explique Rory Fanning directeur général de l’entreprise. Les muscles d’un même animal sont classiquement exportés sur plusieurs pays pour chercher à valoriser au mieux chaque carcasse.

Une majorité d’animaux sont achetés dans un rayon de 100 km autour de l’abattoir auprès de quelques 3 500 fournisseurs. La plupart des achats se traitent en direct entre les quatre acheteurs de l’entreprise et les éleveurs. Denis Brennan, le responsable achats s’appuie aussi sur le terrain sur des agents rémunérés à la commission. Il n’y a pas de contractualisation à proprement parler, « mais nos principaux fournisseurs nous sont relativement fidèles. À nous de faire en sorte qu’ils le demeurent ».

Priorité aux bouvillons et génisses pour le marché britannique

Bouvillons et génisses totalisent 85 % des achats. La part restante concerne principalement des réformes, sans faire de réel distinguo entre laitières et allaitantes. « On cherche des animaux qui donneront des carcasses d’un poids compris entre 280 et 400 kg. Pas davantage », précise Rory Fanning. « Il y a vingt ans on ne voyait pratiquement jamais d’animaux qui excédaient 420 kg de carcasse. C’est désormais plus fréquent. Mais quand un éleveur n’a que de des bovins de 420 kg et plus à nous proposer, je dis à mes acheteurs de ne plus aller chez lui. » Les taurillons ne sont pas recherchés dans la mesure où ils correspondent mal aux débouchés de l’entreprise. Rory Fanning donne priorité aux bouvillons et génisses dans la mesure où ces deux catégories correspondent le mieux au débouché britannique.

Côté image du produit, il est aussi plus facile de mettre en avant du bétail essentiellement conduit à l’herbe comparativement à des JB engraissés sur caillebotis avec des rations basées sur l’ensilage et les céréales. Chez Slaney Foods, la volonté est de jouer sur la belle image de la viande irlandaise produite en maximisant la part de l’herbe dans l’alimentation. Le souhait est donc de voir les éleveurs maintenir la production de bœufs herbagers à la fois jeunes et pas trop lourds, qu’ils soient issus du troupeau laitier ou allaitant. L’actuelle érosion du cheptel allaitant irlandais compensée par la progression des effectifs laitiers n’est pas analysée comme un handicap. Le recours aux semences sexées sur laitières favorise la pratique du croisement terminal avec des races à viande. « À nous de conseiller les éleveurs pour les inciter à mettre du Hereford et de l’Angus afin de produire les génisses et bouvillons croisés qui nous intéressent pour produire des animaux essentiellement conduits à l’herbe. » L’entreprise possède plusieurs marques pour les valoriser. Dans la législation irlandaise relative à la viande des animaux croisés c’est la race du père qui compte. La viande d’un bouvillon croisé Hereford sur laitière pourra être valorisée en tant que viande Hereford. Slaney Foods mise aussi beaucoup sur la viande Organic (NDLR : Bio). Développer les tonnages pour cette catégorie est analysé comme stratégique. La difficulté est liée à des volumes de production analysés comme insuffisants avec des mises en marché d’animaux qui ne sont pas régulières tout au long de l’année.

Une stratégie sur le respect de l’animal et de l’environnement

Slaney Foods est engagé dans Origin Green. « En Irlande nous avons la chance d’avoir ce climat et cette herbe qui donne une superbe image à nos produits. Il faut dire que nos animaux sont de bons valorisateurs d’herbe et pour cela, il faut être en mesure de le prouver. Origin Green va dans ce sens. La volonté est d’abattre des animaux provenant de fermes qui respectent des normes élevées pour le bien-être animal et l’environnement. Avec les accords de Paris sur le climat, il faut pouvoir avancer des chiffres concrêts sur ce volet. »

Slaney Foods s’est également engagée à être plus vertueuse dans son fonctionnement au quotidien. D’ici 2020 sa consommation d’eau sera réduite de 10 % : utilisation accrue de nettoyeurs haute pression moins gourmands en eau. Idem pour l’électricité : nouveau groupe froid. Autant de mesures qui permettent également d’économiser sur les frais de fonctionnement de l’entreprise.

Le bon élève élève à l’herbe

John Pringle produit bouvillons et génisses pour l’abattoir Slaney Foods. Autant d’animaux essentiellement conduits à l’herbe avec une gestion pointue du pâturage. Avec 60 ha d’herbe, 45 à 50 vêlages par an en système naisseur-engraisseur complété par une centaine de brebis, l’élevage de John Pringle est volontiers présenté par les responsables de l’abattoir Slaney Foods comme le fournisseur idéal. Les animaux conviennent parfaitement aux attentes avec une conduite d’élevage basée sur le pâturage une grande partie de l’année. « Je suis très attentif à la qualité de l’herbe. Tous mes lots sont en pâturage tournant en associant bovins et ovins. Les parcelles sont recoupées en paddock de 1,2 à 1,4 ha et au printemps chaque lot y reste deux à trois jours, pas davantage. Vaches et brebis sont très complémentaires pour l’utilisation de l’herbe. Si les lots tournent rapidement cela ne pose aucune difficulté », souligne John Pringle qui reconnaît que le fait d’avoir un parcellaire d’un seul tenant facilite ce mode de conduite. « Le pâturage tournant est le principe de base à respecter pour avoir le plus longtemps possible un pâturage de bonne qualité. Je cherche à sortir mes animaux le plus tôt possible et à les rentrer le plus tard possible. Généralement de fin mars à mi-novembre. »

L’essentiel des prairies sont permanentes. Certaines ont été ressemées avec ajout de chicorée et plantain. « Nos terres sont filtrantes. Avec la météo Irlandaise, généralement cela ne pose pas de problèmes, mais cette année est très sèche. » En plus des apports réguliers de fumier, les prairies sont fertilisées à plusieurs reprises pour permettre ce niveau de chargement conséquent avec un complet en fin d’hiver puis tout au long du printemps 20 unités d’azote après chaque passage. Plusieurs haies ont été replantées auxquelles ont été ajoutés des arbres de différentes essences dans les haies déjà existantes.

Produire à moindres coûts en se basant sur la pousse de l’herbe

Les vaches vêlent de mi-février à fin avril et les brebis agnèlent à compter de mi-mars. La conduite des deux troupeaux est calée sur la pousse de l’herbe. « Avec une météo en principe favorable pour l’herbe, on n’a rien trouvé de mieux pour produire de la viande de façon la plus économique possible. » Comme la plupart des troupeaux irlandais, le cheptel est composé de vaches croisées avec une dominante limousine et simmental. « À une époque je produisais des broutards pour l’exportation et j’utilisais surtout des taureaux limousins très épais pour avoir des veaux faciles à vendre. Depuis deux ans j’ai remis l’accent sur les qualités maternelles et surtout le lait. » Cet été, les taureaux en service dans les deux lots de vaches suitées sont des Simmental et le lot de génisses a été sailli par un Angus. John Pringle s’interroge pour savoir s’il ne devrait pas donner davantage d’importance à l’Angus et la Hereford. « L’abattoir Slaney Foods dispose des démarches permettant de bien valoriser ce type d’animaux même si ce ne sont que des croisés et cette génétique est bien adaptée à une production de bouvillons et génisses précoces finis à l’herbe. » Actuellement les génisses sont abattues à l’automne à un peu plus de 18 mois pour un poids moyen de 310 kg carcasse. Tous les mâles sont castrés à la naissance et vendus 23 à 24 mois plus tard à un poids carcasse de 370 à 380 kg. Ces derniers sont rentrés le plus en état possible et bénéficient ensuite en stabulation d’une complémentation associant orge, avoine et pois en complément de l’ensilage d’herbe.

Début juillet le prix de base était de 4,15 € pour les bouvillons et 4,20 pour les génisses classées en R. Vient s’y ajouter un bonus de 0,12 € lié à l’adhésion au programme d’Assurance qualité et environnemental certifié par Bord Bia avec également de petits compléments de prix selon la conformation. Côté réformes, c’est nettement moins bien avec 3,50 €/kg de carcasse. Sur l’exploitation l’objectif est de toute façon de ne réformer que le strict nécessaire. Le taux de renouvellement oscille selon les années entre 15 et 20 %.

Des animaux bien adaptés à nos marchés

« L’exploitation de John Pringle produit des animaux qui conviennent bien à nos marchés pour les aspects poids et classement. Nous avons des démarches qui permettent une bonne valorisation des croisés Angus ou Hereford. Ce sont des animaux calmes, faciles à conduire. Certes ils sont plus légers mais ils sont aussi faciles à finir à l’herbe et on peut les vendre plus jeunes. Même si on produit moins de kilos ce n’est pas forcément un mauvais calcul dans la mesure où cela permet de garder et nourrir les animaux moins longtemps. Cela facilite la pratique du vêlage à deux ans qui est la stratégie la plus profitable pour les éleveurs. En Irlande 90 % des vaches allaitantes vêlent pour la première fois à deux ans. »

Denis Brennan, responsable achat pour Slaney Foods

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