Trois questions à Germain Milet
La Turquie veut favoriser les engraisseurs locaux
Agroéconomiste à l’Institut de l’élevage, Germain Milet est tout particulièrement en charge de l’analyse des exportations de bétail vivant sur les pays tiers.
Agroéconomiste à l’Institut de l’élevage, Germain Milet est tout particulièrement en charge de l’analyse des exportations de bétail vivant sur les pays tiers.
Ils importent effectivement de plus en plus d’animaux maigres, mais la part de leurs importations sous forme de viande est loin d’être négligeable. En 2016, la Turquie avait importé 20 000 tec de viande bovine (-15% par rapport à 2015) dont 8 000 tec en provenance de Bosnie Herzégovine et 9 000 téc de Pologne, en particulier dans le cadre d’appels d’offre publics. En 2017, ces importations ont atteint 28 000 téc dont 16 000 téc en provenance de Pologne, 4 500 en provenance de Bosnie et 3 000 en provenance de France. Ces importations ont souvent lieu au moment du Ramadan du fait d’un surplus de consommation à cette période de l’année.
Les importations croissantes de bétail maigre correspondent à la volonté de s’approcher de l’autosuffisance avec des animaux finis sur place, mais ils traduisent aussi le choix de faire tourner l’économie locale, qu’il s’agisse des ateliers d’engraissement ou des outils d’abattage. Avec ces animaux finis sur place, les autorités turques entendent pouvoir donner du travail à leurs éleveurs et à leurs abatteurs. Les abats sont également très prisés, tout comme les peaux. L’industrie du cuir et sa transformation est un secteur très important pour l’économie de la Turquie. Ce pays est d’ailleurs un acteur majeur et croissant pour les importations de cuirs et peaux de bovins comme d’ovins. Le fait de pouvoir disposer des peaux n’est bien évidemment pas la première motivation pour importer des bovins vivants, mais cela y contribue forcément.
C’est le pouvoir central qui gère les volumes importés. Ces décisions sont prises par l’ESK (Etve Süt Kurumu, Agence du lait et de la viande) qui est l’agence d’État qui réalise entre autres les appels d’offre publics pour l’achat de viandes (essentiellement bovines) et d’animaux vivants (bovins, ovins, caprins). Un de ses objectifs est de limiter le volume des importations de viande et bovins finis pour favoriser l’activité des engraisseurs locaux, tout en faisant en sorte que le prix de la viande sur le marché intérieur ne soit pas trop élevé. Donc, si pour atteindre ce double objectif, ils considèrent qu’il faut bloquer les importations de broutards pour les engraisseurs, cela ne va pas les déranger. Le gouvernement turc n’hésite pas à prendre des mesures très autoritaires. Par exemple, fin 2016, le prix du lait peu attractif avait incité les producteurs laitiers à abattre un grand nombre de vaches. Mais, comme le gouvernement a estimé que ce phénomène risquait de pénaliser la future production laitière, ils ont momentanément interdit l’abattage des vaches laitières !
Si la Turquie a commencé à importer de plus en plus de bétail maigre depuis le début des années 2010, cela découle de la progression de la consommation, laquelle est très liée à la hausse de la population et à l’amélioration du niveau de vie. L’importante décapitalisation laitière de 2007-2008 avait eu un impact sur le nombre de veaux disponibles pour les ateliers d’engraissement et s’est traduite par une chute de la production de jeunes bovins dix-huit mois plus tard, avec une hausse du prix des JB faisant suite à cette réduction des disponibilités. C’est cette hausse des cours qui avait poussé en 2010 le gouvernent turc à rouvrir son marché, lequel était fermé depuis 1996 du fait de l’ESB. Depuis, le marché s’ouvre et se ferme au vif ou à la viande selon les décisions de l’ESK pour stabiliser les prix sur le marché intérieur.
C’est d’abord l’Amérique du Sud, et plus particulièrement l’Uruguay et le Brésil. C’est lié au tarif des animaux dans ces pays mais également à des disponibilités conséquentes. Le prix du bétail maigre sud-américain n’est pas facile à appréhender en euros. C’est lié aux récentes fluctuations de parité monétaire entre la livre turque, le peso uruguayen et le réal brésilien. Ces animaux sont moins chers que les bovins européens mais il est difficile de dire précisément de combien. Une chose est certaine, la FCO a permis aux exportateurs sud-américains de revenir en force sur ce marché. La progression des volumes qu’ils ont exportés sur la Turquie depuis deux ans est impressionnante.
Même si leurs volumes restent inférieurs, les pays de l’Est de l’Union européenne (Hongrie, Slovaquie, République Tchèque, Roumanie…) et l’Irlande exportent également pas mal d’animaux vers la Turquie. Ils proposent des bovins de type laitier ou croisés, mais également des broutards de races à viande spécialisées. Il existe également un flux important de génisses reproductrices.
Pour ce qui est des exportations de broutards français vers les ateliers turcs, il y a désormais près de dix-huit mois que les négociations ont été entamées pour alléger l’actuel dispositif sanitaire. Mi-mai, elles se poursuivent activement mais il est pour l’instant absolument impossible de prédire quelle en sera l'issue.