Les importateurs chinois sont-ils devenus ce que les britanniques étaient il y a un siècle : des clients si importants qu’ils font à eux seuls la richesse de la filière ? Que recherchent-ils ?
Ulyses Forte - La comparaison est juste. L’an dernier, les distributeurs et chaînes de restauration de Pékin et surtout de Shangaï ont été destinataires de 30% du total des exportations argentines de viande bovine, soit à quelque chose près 100 000 tonnes, et même 40% de nos exportations du premier trimestre 2017. Les ventes vers ce pays ont été initiées en 2012 et depuis ne cessent de progresser. Comme les courtiers de Hong-Kong, qui représentent pour nous un débouché plus traditionnel, les Chinois du continent sont preneurs de muscles issus des avants. Ce sont des morceaux vendus désossés et congelés, dont la valeur tourne autour de 8 000 dollars la tonne(1), bien inférieure à celle des morceaux nobles réfrigérés exportés vers l’Allemagne, par exemple. La Chine est ainsi devenue notre premier débouché en volume, mais l’Union européenne reste le plus important en valeur.
Pourquoi les Chinois affichent-ils cette préférence ?
U. F. - Cela tient au type de cuisson habituel dans ce pays. Les chinois apprécient les recettes où ils font sauter des lamelles de bœuf à la poêle avec de petits légumes. C’est pourquoi nous promouvons là-bas, lors des salons auxquels nous participons, la grillade de côtes et d’abats comme il est de coutume en Argentine.
Quel est le niveau de la demande potentielle du marché chinois ?
U. F. - Elle est pour ainsi dire illimitée dans le sens où la Chine importe déjà près de deux millions de tonnes de bœuf. Ce pays compte 200 000 multimillionnaires. Ils apprécient de plus en plus la viande de cette espèce et leur nombre est amené à progresser. Notre capacité à les satisfaire dépend de la croissance de notre offre et de la compétitivité de l’origine argentine par rapport à nos concurrents, Australie et Uruguay en premier lieu.
Qui sont les exportateurs argentins qui opèrent en Chine ?
U. F. - Une trentaine d’abattoirs sont agréés pour y exporter des morceaux congelés sans os. Notre gouvernement négocie actuellement avec les autorités afin qu’ils puissent y expédier des morceaux congelés avec os mais aussi de la viande fraîche. Au niveau sanitaire, nous en sommes à un stade très avancé, avec des inspections régulières de nos abattoirs. Le président argentin Mauricio Macri, lors d’un voyage officiel en Chine, s’est rendu sur notre stand au Sial de Shanghaï qui a eu lieu du 17 au 19 mai dernier pour y déguster un steak et favoriser le travail de nos exportateurs. Ce stand aura été le plus grand de notre histoire : 800 m2, un restaurant et 24 entreprises participantes.
Qu’en est-il de la fameuse « zone grise » de la distribution de viande entre les pays frontaliers de la Chine et celle-ci, comme le Vietnam ?
U. F. - Nous ne sommes jamais au courant de ces réexportations, contrairement à celles du marché unique européen, où Rotterdam a le rôle de plateforme logistique et commerciale que joue Hong-Kong en Asie. Le Vietnam est un marché en soi nouveau et à fort potentiel. Nous y avons effectué une mission exploratoire l’an dernier.
Quel a été l’impact du scandale de la viande avariée qui a éclaté au Brésil en mars dernier(2) ?
U.F. - Fort heureusement, ce scandale a disparu de la sphère médiatique. De façon circonstancielle, cela pourrait favoriser l’origine argentine, mais nous ne faisons pas feu de tout bois. Ce genre d’affaire risque surtout de saper la confiance des consommateurs vis-à-vis du bœuf en général et au détriment de toute la région sud-américaine. Je ne veux plus en parler.
(1) Les statistiques de l’IPCVA indiquent une valeur moyenne de 4 082 $/t concernant les opérations d’Argentine vers la Chine réalisées au premier trimestre 2017, et de 11 370 $/t pour celles destinées à l’Allemagne.(2) Ce scandale, révélé par la police brésilienne, a dévoilé l’existence d’une organisation criminelle impliquant vingt-et-une entreprises d’abattage, dont le numéro un mondial du bœuf JBS. Des dizaines d’inspecteurs sanitaires ont été accusés de toucher des pots-de-vin pour fermer les yeux sur des pratiques douteuses. Cette révélation a entraîné la fermeture de plusieurs marchés d’exportation pour la viande brésilienne.