La demande en jeune bovin progresse plus vite que les prix
En février, les prix du jeune bovin français demeurent décourageants alors que le marché est plus actif que l’an passé. Une situation curieuse. Dans un contexte nettement haussier pour le prix des céréales, cela risque de se traduire par un nouveau recul de l’activité.
En février, les prix du jeune bovin français demeurent décourageants alors que le marché est plus actif que l’an passé. Une situation curieuse. Dans un contexte nettement haussier pour le prix des céréales, cela risque de se traduire par un nouveau recul de l’activité.
Le jeune bovin français va-t-il devenir une grande cause nationale ? Oui, si on s’en tient aux seules déclarations du ministre de l’Agriculture. « J’en appelle aux élus locaux pour faire le pari de cette viande de qualité et avoir le réflexe jeune bovin au moment où les menus des cantines de nos écoles, nos collèges et nos lycées sont établis », a expliqué mi-février Julien Denormandie dans un entretien à l’AFP.
« Avec plus de 1,2 milliard de repas servis chaque année, la restauration scolaire est un formidable levier d’action », estime le ministre. Même si ces propos ne sont manifestement pas partagés par le maire de Lyon, ils étaient probablement destinés à apporter un peu de réconfort à l’oreille des éleveurs français. Lesquels préféreraient certainement moins de compassion mais davantage d’action, tout en ayant des orientations claires sur ce qu’attend réellement le gouvernement de l’élevage allaitant français. Ceci d’autant plus que d’autres menaces se profilent (modalités de l’attribution des aides compensatoires aux différents secteurs de l’agriculture dans le cadre de la prochaine PAC) ou sont toujours latentes (accords de libre-échange).
Les acheteurs se font « allumer »
Qu’il s’agisse de JB ou même de femelles, les fameux Egalim maintes et maintes fois mis en avant ne se traduisent toujours pas par un tarif des bovins en phase avec leurs coûts de production. Qu’ils soient de type laitier ou allaitant, les prix des JB ont même été en net recul en 2020 comparativement aux deux années précédentes. « Ils sont très en deçà de nos coûts de production. Cela se traduit par un sentiment de dégoût et de lassitude dans nos rangs », souligne Cédric Mandin, secrétaire général de la Fédération nationale bovine.
Les remontées de terrain font surtout état d’une situation particulièrement tendue. « Les acheteurs se font allumer quand ils passent sur les fermes », ajoute Cédric Mandin, en Gaec avec son frère à Sainte-Cécile, en Vendée avec un cheptel charolais. Et côté chiffres, ce dernier prend en exemple ceux de son élevage. « Nous sommes en vêlages de fin d’été et l’essentiel de nos JB sont vendus au premier trimestre. En 2020, nos mâles sont partis à une moyenne de 3,85 euros du kilo carcasse. Pour les premiers lots de 2021, on est à 3,65. On perd 100 euros par tête alors que les tarifs de 2020 étaient déjà bien déprimés. »
Lire aussi : Un nouveau cahier des charges « préparation sanitaire des broutards » est lancé par Interbev
Et ces tarifs très déprimés sont d’autant plus mal compris que la période hivernale est classiquement celle au cours de laquelle les cotations du JB sont à leur sommet avant de s’éroder en cours de printemps jusqu’au creux de l’été. « La situation est pour nous incompréhensible. Il n’y a aucun retard dans l’enlèvement quand on annonce des animaux », souligne Cédric Mandin. Le surstock en ferme constaté au printemps 2020 est aujourd’hui clairement écoulé. Les indicateurs de marché du JB seraient même au vert depuis plusieurs semaines. « Mais nous n’avons pas seulement besoin d’écouler nos animaux pour gagner notre vie. Nous avons d’abord besoin de prix ! », souligne l’éleveur vendéen. Et ces derniers peinent vraiment à se redresser.
Le moteur vient d’Allemagne
« Début février, les cours commencent à remonter, mais restent à de bas niveau, à 3,85 euros/kg pour le JB U (-5 % /2020 et -4 % /2019), 3,68 euros/kg pour le JB R (-5 % /2020 et -4 % /2019) et 3,26 euros/kg pour le JB O (-3 % /2020 et -4 % /2019) », explique l’Institut de l’élevage dans sa lettre mensuelle de conjoncture Tendances. Le moteur de cette évolution haussière vient d’Allemagne où la demande s’est nettement accrue depuis le début de l’année. "Le marché européen du jeune bovin est soutenu par un marché allemand en manque d’offre", souligne l’Institut de l’élevage. En 2020, les ménages allemands ont acheté beaucoup plus de viande bovine (+19 % en volume et +24 % en valeur). "Ils ont acheté des produits plus qualitatifs, une façon de compenser les restrictions sur la vie sociale, grâce à un pouvoir d’achat maintenu par les aides gouvernementales pour les familles, et malgré la baisse du prix du porc", précise l’Institut de l’élevage.
Lire aussi : En Allemagne la demande en jeunes bovins est solide
Et en ce début d’année, la fermeture de la restauration et des écoles continue de stimuler les achats dans les circuits de détail. Avec une offre intérieure de jeunes bovins en fort retrait sur les premières semaines de l’année (-10 % par rapport à 2020 d’après l’indicateur AMI), les prix allemands poursuivent leur hausse. Dans ce pays, le jeune bovin U cotait 3,85 euros/kg de carcasse fin janvier (+4 % /2020 et +1 % /2019 et le JB R 3,80 euros/kg (+5 % /2020 et +2 % /2019). « Résultat : une hausse de 19 centimes entre la première semaine de janvier et la deuxième semaine de février pour les éleveurs allemands mais une hausse de 3 centimes sur le même intervalle de temps pour les éleveurs français… Où sont les EGA ? Où est la promesse d’une meilleure répartition de valeur et d’un retour de valeur aux producteurs ? », tempête le syndicaliste vendéen. Et ce dernier s’interroge sur les décisions qui pourraient être prises par les éleveurs en cours d’été si le prix du maïs grain est toujours aussi attractif et si celui de la viande bovine l’est toujours aussi peu.
« Pour la récolte à venir, compte tenu des prix du maïs grain et des contrats qui pourront nous être proposés, des éleveurs vont forcément se poser des questions pour savoir ce qu’ils devront faire de leurs maïs. Et dans un sens on les comprend. Des contrats à 190 euros la tonne pour du maïs grain et des JB Charolais U à 3,65, c’est une équation quoi ne passe pas. »
Régis Guibert, 120 charolaises à Bournezeau en Vendée
« J’ai vendu mes derniers JB début 2020 »
"Jusqu’en 2018, j’étais associé avec mon oncle dans le cadre d’un Gaec en système naisseur engraisseur avec 120 vêlages et vente d’une soixantaine de JB par an à une moyenne de 440 kg de carcasse. Ils étaient finis avec une ration basée sur l’ensilage de maïs. Le départ en retraite de mon oncle, la conjoncture et les aléas climatiques m’ont incité à cesser la finition des mâles. Les sécheresses plus fréquentes se traduisent parfois par des maïs n’excédant pas 8 à 9 TMS/ha. Cela nécessite une complémentation accrue, donc coûteuse, pour pallier l’insuffisance en grain de l’ensilage. J’ai vendu mes derniers JB début 2020 et mes premiers broutards sont partis à l’automne 2019. Tous sont depuis vendus « démarrés » entre 350 et 400 kg vif à un peu plus de 900 euros par tête pour le dernier lot. Même avec une stabulation amortie comme la mienne, finir des mâles pour les vendre 3,60 euros du kilo carcasse n’est plus possible. Il faudrait au moins passer le cap des 4 euros. Vaches ou génisses toutes les femelles continuent à être finies.
Je travaille avec un salarié à mi-temps et l’aide ponctuelle d’un apprenti. Depuis l’arrêt des JB, mon assolement est resté identique avec sur 150 hectares, 25 ha de céréales à paille, 30 de maïs non irrigué et le reste réparti entre prairies temporaires et permanentes. Les années où le maïs est correct, j’en récolte une partie en ensilage plante entière et une partie en maïs grain humide. Mes vêlages demeurent répartis sur deux périodes : 70 en août septembre et 50 en janvier février avec une première mise bas à 30 mois pour toutes les génisses. Pour compenser la baisse de chiffres d’affaires liée à l’arrêt des JB, il me faudrait une douzaine de vêlages supplémentaires. Mais cela ne fait pas partie de mes intentions. Actuellement, mon objectif est de faire évoluer les rations de finition des femelles en incorporant davantage de maïs grain humide et en réduisant la part de protéines achetées avec davantage de fourragères à haute teneur en protéines."
Une viande en grande partie exportée
Il est souvent reproché à la viande de jeune bovin sa couleur et ses caractéristiques intermédiaires entre celle du veau et du bovin adulte puisqu’elle provient d’animaux qui n’ont pas encore achevé leur croissance.
Sans être absente des rayons français, la viande de JB y est rarement mise en avant. En France, le produit phare est d’abord la viande de femelle.
L’export est donc incontournable. D’après les statistiques rapportées par l’Institut de l’élevage, la France a produit l’an dernier 348 000 tonnes équivalent carcasse de JB, soit 27,6 % de l’activité « gros bovins » des abattoirs. Des tonnages répartis entre 82 % de JB allaitants et 18 % de laitier. Le marché intérieur écoule une bonne part des animaux de type laitier. Pour les allaitants, l’export est incontournable avec dans l’ordre trois principales destinations : l’Italie, l’Allemagne et la Grèce.
Cette dépendance à l’export a contribué aux prix très déprimés de ces derniers mois. « En 2020, la part de l’Italie continue de s’éroder : 31 % contre 32 % en 2019 et 33 % en 2018. La part de la Grèce dans les exportations françaises a aussi reculé à 19 % des envois (contre 21 % en 2019). » La progression a été plus nette sur le marché allemand.
Davantage de mâles sur le marché français
Une rapide analyse du bilan import-export du marché français de la viande bovine permet de constater que la France a exporté en 2020 moins de viande bovine (222 000 tec) qu’elle en a importé (279 000 tec). Nos exportations sont essentiellement le fait de viande de JB allaitants et nos importations concernent d’abord de la viande de femelles laitières. La France produit plus de viande de JB qu’elle n’en consomme et consomme plus de viande de femelle qu’elle n’en produit. Même si c’est plus facile à dire qu’à faire, l’idéal serait de produire avec les mâles français des carcasses dont les caractéristiques (poids, dimension des muscles, couleur, teneur en gras, tenue de la viande… ) soient plus en phase avec les attentes des distributeurs français et surtout avec celles de la restauration hors foyer pour substituer au moins une partie de la viande de réformes laitières importées par des animaux produits en France.
C’est une donnée clé pour conforter le débouché des mâles français sur notre territoire en limitant -pour le maigre comme pour la viande - la dépendance aux marchés extérieurs souvent bien volatils. L’enjeu est aussi de conforter les tonnages d’animaux traités par les abattoirs français et éviter de nouvelles disparitions d’outils, lesquelles semblent à terme inévitables compte tenu de l’évolution des effectifs.