Viandes en circuits courts : en vente directe, gérer les hausses de prix vis-à-vis de ses clients
L’inflation chahute les producteurs en circuit court, qui semblent peiner davantage à répercuter les hausses de coût sur leurs prix de vente. Un état de fait qui n’entame pas la détermination de Maxime Toublant, Émeline et Matthias Jaffre, éleveurs en Loire-Atlantique. Le modèle économique de leurs exploitations s’organise autour de la vente directe.
L’inflation chahute les producteurs en circuit court, qui semblent peiner davantage à répercuter les hausses de coût sur leurs prix de vente. Un état de fait qui n’entame pas la détermination de Maxime Toublant, Émeline et Matthias Jaffre, éleveurs en Loire-Atlantique. Le modèle économique de leurs exploitations s’organise autour de la vente directe.
« Depuis deux ans, avec la hausse des cours de la viande, l’activité de vente directe peut paraître moins intéressante. En effet, il semble difficile de reporter l’augmentation des prix tout en maintenant la marge de l’activité de commercialisation », constate Vincent Lambrecht, chargé de mission viande bovine à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
Maxime Toublant, installé en 2019 à Riaillé en Loire-Atlantique, fait partie des irréductibles. Il a pensé l’équilibre économique de sa ferme sur 85 hectares de prairies permanentes partagées entre un troupeau de brebis rouges de l’Ouest et un troupeau de vaches Angus. Il travaille seul. « Pour maîtriser les charges, je maximise le pâturage avec des races rustiques. J’ai un coût de ration alimentaire qui est bas, les bêtes valorisent bien l’herbe et elles se maintiennent en état très facilement. » L’hiver, Maxime Toublant ne distribue pas d’aliment acheté ni de céréales. « Même s’il y a eu, effectivement, des augmentations de charges tous azimuts sur la ferme et en lien avec le travail à façon, de l’ordre de 10 %, nous trouvons toujours un intérêt à notre travail. »
À La Turballe, sur la presqu’île guérandaise, Émeline et Matthias Jaffre s’inscrivent dans la même logique. Ils conduisent 50 à 60 mères de race aubrac depuis cinq ans, sur un peu moins de 90 hectares, en plein air intégral. « Notre atout, c’est d’avoir un système basé sur l’herbe et tout à l’économie. » Ils font partir des animaux tous les quinze jours, alternant viande de bœuf et de veau.
Approcher son prix de revient
Mais ils ont parfois des réticences à augmenter leurs prix de vente. « Nous les avons rehaussés quand nous avons décroché la certification bio », explique Matthias Jaffre. Ce réajustement survenait juste après la crise du Covid-19. Le couple a expliqué à sa clientèle qu’il fallait qu’ils s’y retrouvent face à l’augmentation générale des charges.
« Ces trois années nous ont permis de mieux approcher notre prix de revient, qui est extrêmement compliqué à calculer », reprennent les éleveurs. Dans les prochaines années, ils envisagent d’ajuster à nouveau leurs prix de vente en fonction de l’évolution des charges. « Nous serons notamment attentifs aux tarifs de notre découpeur/transformateur et au coût de l’électricité, nécessaire au fonctionnement de notre chambre froide. »
Pour commercialiser ses Angus et ses agneaux rouges de l’Ouest, Maxime Toublant a quant à lui renchéri le coût au moment où il a repris l’exploitation. « Accroître ses tarifs pour arriver à un prix rémunérateur, quand nos prédécesseurs sont partis de bas, est plus compliqué qu’il n’y paraît. Le plus sensible, c’est de réussir à faire augmenter le prix final au consommateur. C’est peut-être une mentalité d’agriculteur mais nous pensons toujours que nous sommes trop chers. Nous avons tendance à hésiter, dès qu’il s’agit de relever de 50 centimes. Nous craignons de perdre des clients, car la démarche pour créer trouver la clientèle et la fidéliser est hyperchronophage. »
Capitaliser sur ses atouts
Maxime travaille avec des habitués. Il ne vend pour l’instant que cinq vaches par an, et équilibre son système par la commercialisation d’une dizaine de brebis et d’une quarantaine d’agneaux. Ingénieur agronome, Maxime s’est installé après avoir travaillé dans diverses structures et a préparé un CAP boucher juste avant de reprendre la ferme. « Au début, j’avais l’idée de découper moi-même mais le montage d’un labo représenterait beaucoup trop d’investissements et de temps. Je fonctionne donc avec deux prestataires de découpe, un pour les bovins et un pour les ovins. » Problème : les ateliers sont surchargés et les délais s’allongent. « À certaines périodes, je dois réserver mon tour deux mois à l’avance pour des agneaux ! Ce qui pose des difficultés comme celle de savoir si les animaux seront bien prêts à être abattus », soulève-t-il.
À la ferme de La Côte d’amour, c’est Émeline Jaffre qui gère la vente directe. « Nous avons fait le choix de proposer notre viande en colis de 6 kg ainsi que de plus en plus au détail car nous sommes présents sur les marchés. Prochainement, un point de vente à la ferme verra le jour. Nous avons également des contrats avec des cantines scolaires, des Amap, des épiceries, des restaurants et des traiteurs. »
Pour convaincre le client, la discussion reste la solution la plus gratifiante. Émeline Jaffre confirme : « Il faut être capable d’expliquer de quelle façon nous nous démarquons. Souvent, en justifiant nos choix, le client accepte d’acheter un tout petit peu plus cher. » Les éleveurs apprécient par ailleurs les retours sur la qualité de la viande, l’intérêt pour leur race ou leur mode de production. « C’est une partie agréable de la vente directe. Il faut savoir parler du produit au-delà de le vendre, discuter avec les gens », renchérit Maxime Toublant.
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Avis d'expert : Vincent Lambrecht, chargé de mission viande bovine à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire
« Le choix du circuit court s’inscrit dans une stratégie »
« Beaucoup d’éleveurs en circuit court font preuve d’agilité pour s’adapter au contexte qui change. On observe la plupart du temps des hausses a minima qui couvrent uniquement les augmentations de charges liées à l’abattage découpe, mais les hausses des coûts de production et surtout du travail (+14,7 % en 4 ans) doivent aussi être répercutées. On peut distinguer deux niveaux de vente directe. D’une part, ceux qui commercialisent au moins vingt-cinq bêtes par an, pour qui la vente en circuit court répond à d’autres valeurs et à une autre conception du métier. La vente directe est stratégique, et s’apparente à un deuxième atelier qui découle de l’élevage, et donc la hausse des charges ne remet pas forcément en cause cette orientation. D’autre part, les éleveurs qui commercialisent en vente directe des petits volumes, de deux à cinq bêtes par an. Dans ce second cas de figure, l’opération perd de son intérêt par rapport au travail que nécessite la commercialisation et c’est la capacité à se nourrir des retours sur leur travail qui justifiera son maintien. »
Le saviez-vous
« La dernière estimation que nous avons sur la part d’animaux commercialisée en vente directe en France date de 2022, renseigne Caroline Monniot, économiste à l’Institut de l’élevage (Idele). La proportion s’établissait à 5 % pour la viande de bœuf (hors veau). »