Du Bœuf de Chalosse avec un système assez herbager
Dans les Landes, Thierry Lanusse engraisse des vaches très lourdes adaptées pour la filière label rouge mais il a fait évoluer son système pour donner une plus grande place à l’herbe, sans occulter le maïs.
Dans les Landes, Thierry Lanusse engraisse des vaches très lourdes adaptées pour la filière label rouge mais il a fait évoluer son système pour donner une plus grande place à l’herbe, sans occulter le maïs.
La Chalosse au Sud des Landes et son bœuf label rouge et IGP. On imagine des vaches très lourdes, qui sortent à la pâture — le cahier des charges impose six mois — mais sans leur veau, et beaucoup de maïs dans l’auge. Chez Thierry Lanusse, à Heugas dans les Landes, les vaches font assurément leur poids : 614 kg en moyenne au crochet, bien plus que la moyenne de la filière (550 kg). Mais, à la pâture, elles sont accompagnées de leur veau, comme dans la plupart des systèmes allaitants, et l’herbe assure une part importante de leur alimentation, sous forme d’ensilage, de foin et de pâture. Pourquoi n’aurait-elle pas toute sa place dans un secteur qui reçoit en moyenne 1 200 mm d’eau par an (et 1 800 mm ces dernières années !) ?
L’éleveur ensile dix hectares d’herbe et quatre à cinq hectares de maïs (18 tMS/ha) pour nourrir son cheptel d’une soixantaine de vaches Blondes d’Aquitaine et la suite. Pas question toutefois de supprimer le maïs et ses nombreux avantages, notamment la sécurisation du système. « Je pars du principe que j’ai de l’herbe et du maïs. Je gère mon stock d’herbe et j’ensile le maïs nécessaire pour compléter les besoins », précise-t-il.
27 hectares de prairies inondables
« J’aime bien avoir 50 à 100 balles de foin d’avance », poursuit-il. Une précaution liée à une particularité locale. Sur les 100 hectares de SAU et 70 hectares de SFP, Thierry Lanusse doit composer avec 20 hectares de prairies inondables, les « barthes », situées en bord de rivière. Soumises à MAE (mesures agro-environnementales) et à gestion Natura 2000, elles doivent être fauchées entre le 10 juillet et le 1er août. On y récolte facilement 4t/ha de matière sèche. Mais, si elles sont inondées tardivement (en juin par exemple), ce qui est arrivé quatre fois ces dix dernières années, la récolte sera nulle ou de très mauvaise qualité. En 2020, le foin a servi pour le paillage !
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Donc, difficile de compter à coup sûr sur ces surfaces, qui assurent pourtant la moitié de la première coupe de foin. A partir du 1er août, les « barthes » sont ouvertes, qu’elles soient communales ou en propriété privée, pour du pâturage collectif. Ce dont s’abstient l’éleveur, réticent au mélange des cheptels. D’autres surfaces non soumises à cette gestion sont également inondables, soit au total 27 hectares qui peuvent baigner dans l’eau en fin d’hiver ou au printemps. D’où sa gestion précautionneuse des stocks pour éviter de devoir acheter du fourrage.
Les meilleures terres en herbe et pâture
La Chalosse, c’est aussi le maïs grain bien sûr. Thierry Lanusse en cultive 25 ha (90 à 100 qx/ha en sec) dont une partie (70 t/an) est réservée à l’alimentation du troupeau. La moitié est stockée en grain humide en boudin, la moitié chez un autre éleveur équipé pour sécher, stocker et broyer (le maïs est récupéré prêt à l’emploi). Il cultive également cinq hectares de triticale, surtout pour justifier une troisième culture, car la région, trop humide, est peu propice aux céréales à paille.
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Il vend son grain via la coopérative Haize Hegoa (Vent du sud en basque), elle-même principal fournisseur de Lur Berri. « On en tire un meilleur prix », affirme l’éleveur. Elle fait également office de groupement d’achat pour les fournitures sur lesquelles il y a aussi « une grosse différence ». Il cultive enfin une vingtaine d’hectares de prairies multiespèces avec prédominance de légumineuses. Il a fait le choix de mettre ses meilleures terres autour de la stabulation en herbe plutôt qu’en maïs (potentiel de 120 qx/ha), afin de pouvoir gérer plus facilement le pâturage. Il peut ainsi sortir les vaches très tôt mais les rentrer s’il vient à pleuvoir beaucoup, les sols - limoneux battants - n’étant pas très portants.
354 jours d’intervalle vêlage-vêlage
Le cheptel n’est pas inscrit mais bénéficie de 30 ans de sélection. « J’ai démarré en 1992 avec 16 vaches et de mauvais résultats et, petit à petit, j’ai progressé, révèle Thierry Lanusse. Aujourd’hui, je travaille sur la conformation et les aptitudes laitières. Il y a toujours eu du développement musculaire dans mon élevage. J’ai amené du volume en achetant des taureaux à développement squelettique. Mais, je suis sans doute un peu trop monté en taille. Il faut que je revienne vers plus de conformation. »
Le troupeau affiche de très bons résultats de reproduction. En 2020, l’intervalle vêlage-vêlage (IVV) était de 354 jours. Suffisamment rare dans les systèmes blonds du Sud-Ouest pour être souligné (430 jours en moyenne dans les Landes). « La fertilité n’a jamais été un souci dans mon troupeau, assure Thierry Lanusse. Par chance, je suis sans doute toujours tombé sur des taureaux qui me donnent des vaches fertiles. Toute vache qui se décale est systématiquement réformée même si c’est la plus grande du troupeau. Depuis deux ans, je les fais fouiller, mais j’ai très peu de vides. » « Le taux de renouvellement élevé (34 %) permet de réformer toutes les vaches improductives et de bien les valoriser en label. L’IVV a toujours été inférieur à 380 jours mais le fait de fouiller les vaches a permis de le baisser encore de quelques jours. Le système, relativement pâturant, et le temps en bâtiment, assez réduit, contribuent aussi à ces bons résultats de reproduction », observe Didier Lahitte, conseiller bovins viande à la chambre d’agriculture des Landes.
Neuf mois d’engraissement en moyenne
Les veaux sortent donc à la pâture avec les vaches. Elles ne rentrent pas la nuit sauf celles qui ont des veaux de moins d’un mois ou s’il pleut beaucoup. Un nourrisseur est à disposition des veaux mais ils consomment peu d’aliment quand l’herbe est abondante. Ils sont vendus jeunes (5,7 mois, 280-290 kg). « Il est très efficace sur la vente des broutards », souligne le conseiller. Quelques femelles sont également vendues en broutardes mais la plupart sont élevées (une vingtaine par an). Elles sont sevrées à six mois et alimentées avec du bon foin, 3 kg de maïs grain et 500 g de complémentaire azoté (36 % MAT). Un régime qui dure quatre à cinq mois si elles sont sevrées en début d’hiver ou un mois seulement quand elles peuvent aller à la pâture.
Les vaches de réforme sont commercialisées majoritairement en label rouge Bœuf de Chalosse après un engraissement à l’auge de neuf mois en moyenne avec une ration sèche. « Les bouchers veulent de la viande vraiment grasse, indique l’éleveur. J’en mets certaines à l’engraissement dès qu’elles ont vêlé. Dans ce cas, ça peut durer un an. Quand elles n’ont pas le veau, en six mois, elles sont finies. » Au final, l’exploitation a produit près de 35 tonnes de viande vive en 2020, soit 414 kilos par UGB, et commercialise des vaches de boucherie à 3 200 euros la pièce. Une performance assez exceptionnelle.
Ensilage d’herbe puis de maïs
En hiver, vaches et génisses sont alimentées successivement avec de l’ensilage d’herbe puis de l’ensilage de maïs. L’avancée du front d’attaque ne serait pas suffisante pour ouvrir les deux silos en même temps. Thierry Lanusse distribue quotidiennement une désileuse de 4 m3 pour tout le troupeau : 60 vaches et 50 génisses. Il ajoute du foin, en râtelier et à l’auge (2e coupe distribuée à la désileuse-pailleuse le soir pour que toutes en mangent).
La quantité d’ensilage est limitée par le cahier des charges label rouge (25 kg maximum bruts/jour). « Je donne de l’ensilage de sorte qu’à la mi-journée, il n’y en ait plus dans l’auge. Elles consomment donc pas mal de foin, sans doute 4 à 5 kg. » Elles sont complémentées à l’auge avec du maïs grain humide : 3-4 kg/VA pour celles qui allaitent, 1 kg pour les gestantes, histoire de les attirer au cornadis pour éviter la concurrence, et 2 kg pour les génisses. Quand elles passent à l’ensilage de maïs, la complémentation est réduite 1 kg/VA d’aliment complémentaire à 36 % et 1 kg de maïs pour celles qui allaitent et à 500 g de complémentaire pour les génisses de moins de 2 ans. Tous les animaux reçoivent également 150 g/jour/UGB d’aliment minéral (5/25/5).
Plus de 1 500 carcasses labellisées
La filière Bœuf de Chalosse regroupe 240 éleveurs dont 70 % dans les Landes et 30 % dans les Pyrénées-Atlantiques, parmi lesquels 184 apporteurs (moins de cinq animaux pour la moitié d’entre eux). En 2020, elle a labellisé 1 554 carcasses à un poids moyen de 548 kg. Un nombre en nette hausse ces deux dernières années, signe d’une bonne demande. Les animaux doivent avoir au minimum 30 mois et ne pas dépasser 9 ans. Les carcasses (82,5 % classées U) ont été commercialisées à un prix moyen de 5,12 €/kg auprès de 70 boucheries traditionnelles du Sud-Ouest (68 %), de la région parisienne et de la Côte-d’Azur, qui savent travailler les grosses carcasses. « Nous venons de passer à 5,50 €/kg suite à l’augmentation du prix de la céréale, explique Thierry Lanusse, qui est aussi vice-président du Bœuf de Chalosse. Mais, le prix de la viande n’est pas assez élevé pour maintenir la motivation des éleveurs. Il faudrait monter à 6 €/kg sinon le nombre de carcasses risque de diminuer, d’autant plus que nous avons des inquiétudes par rapport à la pyramide des âges des éleveurs. »
Chiffres clés 2020
100 ha dont 65 de prairies, 5 de maïs ensilage, 25 de maïs grain et 5 de triticale
54 Blondes d’Aquitaine
1,2 UGB/ha SFP
1 UMO
Didier Lahitte, conseiller bovins viande, chambre d’agriculture des Landes
« Un élevage très linéaire dans la durée »
« L’élevage de Thierry est très linéaire sur la durée, avec de très bons résultats techniques, une reproduction bien maîtrisée – un IVV très correct, une mortalité faible. Il a toujours fait attention au choix des taureaux et à leur potentiel génétique. Le gabarit des animaux a beaucoup évolué. Ces dernières années, il a gagné 40-50 kg de poids carcasse. Il a orienté petit à petit son système vers l’herbe en augmentant les surfaces de prairies et en améliorant le pâturage tournant. Sur la gestion du parasitisme, il pourrait économiser 1 000 à 1 500 euros par an en traitant moins systématiquement. Il pourrait aussi réduire un peu le coût d’engraissement des vaches suitées en leur laissant élever le veau au pré pendant 3-4 mois et en les passant en régime de transition puis en engraissement un peu avant le sevrage. Thierry a beaucoup évolué dans la conduite de son exploitation. Il est passé en VA4 il y a 4-5 ans. Tous les ans, il est un des premiers à demander à calculer la marge brute, dès que la comptabilité est clôturée. Il est très assidu aux chiffres. »