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« À cause du campagnol terrestre, nous sommes contraints de nous séparer de vaches »

Dans le Cantal, Martial et Julien Guillaume, à la tête d’un troupeau de 120 vaches salers, ont toujours lutté assidûment contre le campagnol terrestre. Mais depuis deux ans, la situation est devenue ingérable. Les éleveurs n’ont d’autre choix que de réduire leur cheptel.

Martial, rejoint par son frère Julien sur l’exploitation familiale en 2004, a vu ses 130 hectares de prairies naturelles se métamorphoser au fil des années. Les terres volcaniques très fertiles situées à plus de 1 000 mètres d’altitude, à Saint-Bonnet-de-Salers dans le Cantal, ont laissé place à des champs de terre minés et improductifs. La cause : les campagnols terrestres.

« Les premières traces de leur présence remontent aux années 1980 mais les pics de pullulation étaient écartés et, avec les pièges et l’action des prédateurs naturels, nous parvenions à gérer les populations », se souvient Martial Guillaume. En 2010, les exploitants subissent une invasion massive, dépêchant le préfet sur place pour constater les dégâts. Et depuis 2016, les pertes ne font que s’amplifier. Les éleveurs ont déjà perdu deux vaches à cause de ce nuisible, l’autopsie ayant révélé la présence de terre dans les panses.

« Un fléau pire que les sécheresses »

S’agissant des rendements, les résultats sont dramatiques. Au bilan fourrager de 2021, la récolte de foin sur l’exploitation s’est établie à 155 tMS sur 52 ha - contre 325 tMS sur 67 ha il y a dix ans. Faute d’herbe disponible, les éleveurs sont contraints de réserver une partie des prairies de fauche aux vaches. Et pour les parcelles restantes, les dégâts des rats taupiers couplés à la sécheresse estivale n’ont pas permis de réaliser des secondes coupes sur les surfaces non déprimées.

« À l’époque, le foin était bien dense, épais au pied et riche mais le rat taupier a fait disparaître la plupart des espèces floristiques diversifiées qui composaient nos prairies », décrit Martial. L’appauvrissement des terres oblige les éleveurs à réaliser un sursemis systématique de ray-grass d’Italie pour combler les trous. Dans la gestion du pâturage, ces derniers ont là aussi dû revoir leurs pratiques. Du pâturage tournant, le troupeau est désormais conduit au fil, avec un changement de parcelles beaucoup plus fréquent.

Les innombrables galeries souterraines modifient par ailleurs la portance du sol. « Le terrain s’affaisse et le passage des engins crée des ornières », constatent les exploitants.

Quatorze vaches déjà vendues l'automne dernier

Bien que les éleveurs aient anticipé l’achat complémentaire de foin et de luzerne pour passer l’hiver, ces derniers craignent que les stocks ne soient pas suffisants pour tenir jusqu’à la mise à l’herbe. « Vu l’état actuel des prairies, nous ne sommes même pas sûrs de pouvoir sortir le troupeau en mai », s’inquiète Martial. « À l’automne dernier, nous avions déjà été contraints de vendre quatorze vaches. Nous allons devoir nous séparer d’une dizaine de bêtes, voire vingt, d’ici cet été. C’est un manque à gagner qui ne peut être comblé », complète Julien. Pour les deux frères, le campagnol terrestre est un fléau pire que les sécheresses.

Entre l’achat de fourrages pour pallier les baisses de récolte - estimés à 57 tMS en 2021 - et les tracas sanitaires causés par le rongeur herbivore, le Gaec a déboursé 50 000 euros en une année. C’est sans compter les dépenses liées aux moyens de lutte. Adhérents à la fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles (FDGDON) du Cantal depuis 2010, Martial et Julien n’ont cessé d’intensifier leurs efforts pour réguler le nombre de campagnols présents.

Les contraintes s’accumulent

Les éleveurs étaient allés jusqu’à poser une cinquantaine de pièges à pince, avec des relevés permanents. « Mais le temps et la main-d’œuvre ont fini par manquer et les populations étaient devenues de toute façon trop importantes », explique Martial. Les exploitants se concentrent désormais sur le travail du sol et le traitement au phosphore de zinc connu sous la dénomination commerciale Ratron GW.

En mars, ils passeront la herse étrille pour reniveler les terrains cabossés puis, le semoir pour enfouir les appâts sous terre sur l’ensemble de leur parcellaire. « Il faudra compter quinze jours au minimum à deux », estime Julien. Un temps considérable, auxquels s’ajoutent des frais de carburant. « Les outils de lutte mécanique et chimique combinés sont efficaces, mais sur un pas de temps trop court », reprend l’éleveur. Les pullulations sont quelque peu ralenties, leur permettant de sauver une première coupe, puis elles reviennent en force. « En phase de forte densité, les moyens de lutte sont rendus inutiles. D’où l’importance d’effectuer un suivi rigoureux des parcelles, et de se montrer réactif dès l’apparition des premiers foyers », indique Pierre Lestrade, conseiller spécialisé à la FDGDON du Cantal.

Des renforts dans l’accompagnement

Pour soutenir les éleveurs, « trois techniciens supplémentaires ont été déployés sur les régions Auvergne et Occitanie depuis la fin 2022 », apprend Coralya Vullion, animatrice de la lutte contre le campagnol terrestre au Sidam. L’organisme espère ainsi assurer une meilleure coordination de la lutte dans les territoires touchés et faire émerger des démarches collectives. « La lutte est d’autant plus efficace lorsqu’elle est précoce et collective », reprend la spécialiste, qui appelle les agriculteurs à ne pas se démobiliser. « Même ceux situés dans les zones à basse densité ne doivent pas baisser la garde. »

Des pics de pullulation rapprochés

Au dernier état des lieux réalisé à l’automne 2022, 130 000 hectares de surfaces toujours en herbe (STH) avaient été touchées dans le département, sur un total de 320 000 ha. « Cette situation est encore valable aujourd’hui malgré le passage de l’hiver », déplore Pierre Lestrade, conseiller spécialisé à la FDGDON du Cantal. Avec le dérèglement climatique, les épisodes de gel se font rares et l’herbe reste verte quasi toute l’année. « Au fil des années, nous avons pu constater que les pics de pullulation, concentrant 600 à 1 200 campagnols par hectare, étaient de plus en plus longs et la phase de déclin qui suit, moins marquée, donnant cette impression de dégâts continuels », reprend l’expert. Le nuisible démontre par ailleurs une grande capacité d’adaptation aux conditions du milieu (météo, type de sol, flore présente, pratiques culturales…). Si le rongeur cible d’abord les prairies à haute valeur herbagère des massifs montagneux, il colonise aussi les vergers et cultures des plaines et vallées.

À savoir

Le contrat de lutte proposé par les FDGDON, qui engage les signataires pour cinq ans, permet de bénéficier de l’aide du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE). Cette indemnisation assure une prise en charge des moyens de lutte - directs et indirects - à hauteur de 75 % du coût.

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