Bandera, ce coin d’Argentine où des éleveurs français se sont aventurés
Dans la province de Santiago del Estero, au Nord de l’Argentine, une poignée de Français mordus d’élevage et de chasse ont tenté leur chance au début des années 1980. Rencontre avec ceux qui continuent l’aventure.
Dans la province de Santiago del Estero, au Nord de l’Argentine, une poignée de Français mordus d’élevage et de chasse ont tenté leur chance au début des années 1980. Rencontre avec ceux qui continuent l’aventure.
L’Argentine a attiré à une époque des éleveurs ou investisseurs français férus de grands espaces d’un pays encore neuf. À Santiago del Estero, on trouve des Français qui se consacrent à l’élevage bovins viande. Curieusement, on en trouve plusieurs dans le seul département de Bandera, au sud-est de la province, où une dizaine de colons français ont débarqué au début des années 1980 pour chercher à faire fortune dans l’élevage…
Jean-Pierre Gau, 57 ans, natif de l’Aude, est arrivé en Argentine à 19 ans avec son père vigneron, sa mère et ses deux frères. Ils ont vendu le vignoble et tout plaqué en 1981, s’installant dans le Grand Chaco pour y exploiter 1 560 hectares sous un climat subtropical semi-aride. La bourgade de Bandera comptait 400 âmes à l’époque ; aujourd’hui, 10 000.
Divers types de structures
Au volant de son pick-up brinquebalant sur le chemin de terre qui nous mène à sa ferme, Jean-Pierre évoque ses voisins français : « il y a d’abord eu les Dijonnais, trois associés arrivés en 1981. Ils ont acheté 1 700 hectares et ont tout revendu en 1998. Un Ardennais est arrivé vers 1990, jusqu’à l’an dernier il était naisseur et maintenant retraité, il loue ses terres. Un Berrichon, qui fut instituteur à Tahiti, s’est reconverti ici à l’élevage, sur 600 hectares en 1984. Il est récemment décédé. Un Alsacien a acheté 1 068 hectares de bois en 1983 et son petit-fils a repris l’exploitation bovine en 1999. Il y a un Bordelais naisseur et engraisseur sur 2 000 hectares. Et puis il y a nous ! Voilà, ce sont les principaux. »
Jean-Pierre est un grand gaillard sapé comme l’estanciero sud-américain qu’il est devenu : hautes bottes et chapeau de cuir, chemise ouverte, barbe au vent. Il est même président de la Société rurale du Sud-Est de Santiago del Estero, le syndicat des exploitants agricoles de la région. Ses filles sont comptables et avocates. Beau parcours, même s’il a dû abandonner l’élevage en 2005, écœuré quand le gouvernement argentin a suspendu les exportations de bœuf. À présent, il cultive 730 hectares, tout en semis direct.
Des agriculteurs aventuriers
On savait que des Pieds-noirs avaient trouvé refuge dans le Nord de l’Argentine après l’indépendance de l’Algérie, au Chaco et à Formosa. Mais à Bandera, ce mini-flux migratoire, plus récent, est le fait d’agriculteurs aventuriers blasés par leur pays natal et très bien renseignés sur leur destination. « Le point commun de nos pères, c’était le ras-le-bol de la paperasserie et la crainte des conséquences de l’élection de François Mitterrand en 1981 », résume Jean-Pierre Gau.
Pourquoi Bandera, alors ? « Pour la qualité des terres, qui étaient bon marché », renseigne Nicolas Brunner, 39 ans, petit-fils du colon alsacien, aujourd’hui éleveur naisseur à la tête d’un cheptel de 325 vaches brangus et braford (souches composites avec à la base un croisement entre la race zébuine Brahman et de l’Angus ou de la Hereford) en système extensif en foresterie. « Mon grand-père, un homme méthodique, a parcouru tous les pays d’Amérique du Sud, hormis le Brésil, de 1976 à 1984, en quête de projets agricoles. Il a finalement choisi d’élever des vaches à Bandera », raconte Nicolas Brunner. Lui est devenu mordu d’élevage dès son premier voyage en Argentine, à 12 ans. Il a rejoint son grand-père à 19 ans, en 1999, pour devenir son vacher et il a repris la ferme à son décès, en 2004.
Peu d’obligation quant à la gestion du cheptel
« Mon domaine est consacré pour moitié aux cultures et pour moitié à l’élevage, renseigne le jeune Alsacien. Je produis des broutards vendus à un peu plus de six mois pour une moyenne de 180 kg que je vends à des engraisseurs. Ces derniers acceptent sans problème des taurillons, alors je ne castre pas les mâles. Je garde toutes les femelles pour le renouvellement. J’insémine les génisses et quelques jeunes vaches en août (hiver austral) et de la mi-septembre à la mi-décembre (au printemps), elles sont en monte naturelle. Si une vache n’est pas pleine la première année, je la vends.
Cette année, je suis parvenu à mon objectif de 78 % de veaux sevrés (sur le total des inséminations réussies, NDLR). J’ai obtenu 254 veaux dont 117 mâles, poursuit Nicolas Brunner. J’agrandis mon cheptel depuis cinq ans. Mais je suis limité par le manque d’eau. Ici, en Argentine, rien n’est stable, ni la monnaie, ni les débouchés, rien. Tous les matins, je dois revoir ma stratégie », dit-il, résigné.
Sur les 500 hectares voués à la conduite de son cheptel allaitant, il y a 280 de zones boisées associées à des prairies, 45 de cultures fourragères (sorgho, avoine, triticale, moha, vesce) et le reste est en forêt entretenue par le seul bétail. Pas de stabulation bien entendu, pas de hangar non plus. « J’ai un seul employé. Et ma seule obligation, outre celle de payer mes impôts, est de vacciner le cheptel contre la fièvre aphteuse et la brucellose », admet l’Alsacien. Aussi, ses coûts de production sont extrêmement bas, même s’il avoue avoir du mal à les chiffrer. « Du fait de l’inflation, les valeurs sont éphémères », dit-il.
Des terres sur des forêts défrichées
Cette forêt basse et dense faite de buissons épineux, caractéristique du Nord de l’Argentine, a été en grande partie défrichée par des hommes comme Jean-Michel Gau et Nicolas Brunner. Mais sans l’action conjuguée de la dent du bétail et du travail de leurs éleveurs, elle repousse très vite. Au bout de trois ans se forme un maquis et après vingt ou trente ans, elle retrouve son état originel, selon eux.
Par manque de personnel, « rare et souvent irresponsable », selon Nicolas Brunner, et aussi parce qu’il se sent à l’aise dans son système actuel et avec ses revenus, il n’envisage pas d’engraisser lui-même ses animaux. « Je veux rester sur un système naisseur par conviction, même je cherche à augmenter la charge animale sur les cultures fourragères en pratiquant le pâturage tournant et en ayant pour cela recours aux clôtures électriques. Elles me permettent de faire tourner sur des parcelles de deux ou trois hectares des lots d’une centaine de bêtes qui n’y restent que deux à trois jours », précise-t-il.
En Argentine rien n’est stable, ni la monnaie, ni les débouchés
« La lutte contre la fièvre aphteuse reste prioritaire »
Roberto Rodriguez a été pendant 14 ans le directeur régional de l’autorité sanitaire nationale argentine (Senasa). Il est affecté au Nord de l’Argentine, une région qui connaît un boum de l’élevage.