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Au Brésil, naissage et repousse ultra-low cost

Les systèmes allaitants dominant dans le sud et sud-est du Brésil, champion du monde de l’exportation de bœuf, sont simples comme « bom dia » et imbattables au niveau coût de production. Enquête au Minas Gerais.

Réussir Bovins viande a visité deux grosses exploitations en élevage allaitant situées, toutes deux, au sud de l’État du Minas Gerais, lequel est vaste comme l’Hexagone et peuplé de 22,5 millions d’habitants et de… 22,9 millions de bovins.

Ces deux fazendas (fermes) présentent l’intérêt d’avoir servi de modèle, au vu de leurs performances et de leur simplicité, à des centaines d’autres distribuées dans tout le sud et le sud-est du pays. D’où ce focus.

Rappelons qu’au Brésil ont lieu les effets dramatiques de la déforestation en Amazonie, mais aussi dans le Cerrado et le Pantanal, sous l’avancée trop souvent hors de contrôle de l’agriculture et de l’élevage. À ce propos, nous ne ferons, ici, que donner la parole aux éleveurs rencontrés. Tâchons plutôt de comprendre la rentabilité de leurs systèmes de naissage et de repousse hors des zones les plus sensibles au niveau environnemental.

Helvêcio Oliveira a été notre guide pendant quatre jours non-stop. Vétérinaire de 58 ans, il dirige trois grands domaines d’élevage dans le giron de sa famille et de sa belle-famille (une de 2 483 ha de son côté, et deux autres du côté de sa femme, de 1 011 ha et de 805 ha). Helvêcio intervient par ailleurs, en tant que consultant externe, sur cinq autres grandes fermes de la région, toutes spécialisées en viande bovine. Parallèlement, il encadre une équipe de 80 techniciens au sein de l’organisme d’assistance technique mutuel (Senar) du syndicat agricole du Minas Gerais (FAEMG). Ces derniers interviennent sur 1 950 fermes. Dans l’univers du bœuf, au Minas Gerais, Helvêcio Oliveira a l’œil partout.

Un système herbager, simplifié à l’extrême

La première des fermes visitées, située à São João Nepomuceno, occupe les flancs de collines situées à 400 m d’altitude et à 150 km de Rio de Janeiro à vol d’oiseau. Elle est recouverte de prairies autochtones (Brachiaria) et accueille 1 600 veaux et génisses de souche zébu. L’exploitation est spécialisée dans l’engraissement de femelles. Son système herbager, simplifié à l’extrême, est immuable depuis 25 ans. Elle occupe un vacher et ses deux assistants. Son coût de main-d’œuvre ramené à l’hectare est imbattable.

Cette propriété de 1 011 hectares dont 300 hectares de forêt ramassée dans des creux de vallée comprennent 27 sources d’eau : de l’ombre et de l’eau à foison. Un atout de taille pour qui travaille sous un climat tropical. Le reporter qui a fait une insolation sur son cheval lors de la visite peut en témoigner ! De fait, il n’y a aucune structure pour accueillir le bétail, hormis les clôtures. Ça aussi, ça réduit les coûts.

Sur ces terrains pentus, on engraisse des génisses. « Elles arrivent à la ferme âgées de 6 à 8 mois pour un poids de 180 kg en moyenne et elles partent vers l’abattoir, 15 mois plus tard, quand elles font 400 kg », raconte le vacher. En décembre 2023, leur prix de vente était de 1,44 euro par kg vif.

« Notre spécialisation dans l’engraissement des femelles présente plusieurs avantages, poursuit son patron, Helvêcio. Pas besoin de les castrer. Et puis, elles se battent moins que les mâles. Par ailleurs, on peut les finir exclusivement à l’herbe, car grâce à la progestérone, elles déposent plus tôt du gras. Enfin, la vente de leur carcasse est plus fluide que celle des mâles. Les bouchers y trouvent un meilleur profit dans le sens où les carcasses de femelles, moins lourdes, coûtent moins cher à l’achat. Ainsi, avec le même capital, un boucher, qui achète quatre carcasses de femelles au lieu de trois de mâles, a davantage de morceaux nobles à offrir à sa clientèle. C’est un bon business. »

Lui, le maître des lieux, et son vacher, Mauro Procopio de Silva, inspectent l’état des prairies à cheval. « Sur mon téléphone, grâce à la liaison satellitaire, je peux évaluer la masse fourragère disponible de chaque parcelle. Mais je vérifie toujours sur place », précise Helvêcio au bout de quatre heures de chevauchée. La charge animale est de 1,6 vache par hectare, soit 1,34 UGB par hectare.

Ces prairies ne sont pas fertilisées. Seul un apport de calcaire corrige l’acidité des sols. Ça aussi, ça réduit bigrement les coûts. « Leur rendement s’établit autour de 10 tonnes de matière sèche par hectare et par an. Au printemps, le GMQ des animaux varie entre 600 et 700 grammes, et chute à 250-300 grammes pendant l’hiver. Les animaux reçoivent alors un supplément protéique de 300 grammes par jour (urée, farine de soja et maïs). Son but est de stimuler l’activité bactérienne du rumen. La nutrition minérale est le poste en tête de nos coûts variables », renseigne Helvêcio.

« Sous ce climat tropical, notre système a été construit autour de la physiologie des plantes. Ces terres où l’on cultivait autrefois des caféiers et de la canne à sucre sont bien davantage propices à l’élevage. Car nos pluies torrentielles mettent les cultures et les sols à rude épreuve. L’impact des gouttes est destructeur ! Les résidus des prairies séchées qui maillent nos sols protègent d’ailleurs ceux-ci contre un tel impact », explique l’expert.

« Je vais d’une fazenda à l’autre, mais grâce à mon portable, j’y suis sur toutes », résume Helvêcio.

Une méthode de calcul mise au point l’an dernier au sein de la Fédération agricole du Minas Gerais a passé au crible plus de 2000 fermes sur le critère de leur rentabilité. Deux cent quarante-trois d’entre elles ont montré des résultats négatifs. Parmi celles-ci, quarante-deux étaient encore dans le rouge, même après avoir simulé l’adoption du système alternatif théoriquement le plus rentable pour elles. Alors, pour ces quarante-deux là, cette fédération a élaboré des stratégies de création de valeur ajoutée spécifiques en général axées sur la génétique.

Un code forestier lourd de conséquence pour les agriculteurs

La deuxième ferme « modèle » visitée est entourée de falaises criblées de chutes d’eau recouvertes de forêt vierge. Le cadre est idyllique. La niche d’un jeune millionnaire. Nous sommes à la Fazenda Serra das Bicas, dans le district de Carrancas : 1 200 hectares de pâtures, 900 hectares de grandes cultures (soja, maïs et blé) et 1 200 têtes de bétail de race britannique croisées zébu (brangus). En la matière, cette ferme n’est pas vraiment représentative de la région. Elle a été classée comme la « deuxième plus belle ferme du Minas Gerais », par on ne sait quel organisme. Cela dit juste pour la situer.

« Nos taureaux brangus montent des vaches zébus. Chaque année, nous vendons 200 mâles (à 540 kg) et 200 femelles (à 420 kg). Aujourd’hui, l’élevage rapporte autant que mes cultures, mais à moindre coût et surtout à moindre risque », explique le patron, Alécio Pereira Alvarenga, qui l’a achetée en 1997. Cet hiver, il était à Méribel et chez lui, au Brésil, il se déplace en hélicoptère pour détecter des lots de bétails achetés aux voisins, mais aussi pour survoler ses terrains en construction, car Alécio, éleveur et agriculteur, est aussi un promoteur immobilier spécialisé dans le résidentiel rural haut de gamme.

« Cette année, les cultures sont bonnes, dit-il en se référant à ses parcelles de soja et de maïs. Je vise une marge de 600 euros par hectare. […] Ici, la loi sur la préservation des forêts est stricte en imposant 20 % d’aire préservée en forêt sur chaque exploitation et des zones de non-traitement de pesticides de 30 m le long des cours d’eau et de 50 m autour des sources. Sur notre exploitation, nous conservons 800 hectares en forêt, soit 40 % de la ferme. »

« Ce Code forestier impose partout au Brésil la conservation à l’état de forêt de 20 % de la surface de chaque ferme. Dans la région du Cerrado (centre-ouest), ce palier a été élevé à 35 % et dans le bassin amazonien, à 80 %. Or, ce sont nous, les agriculteurs, qui assumons, tout seuls, le coût de ce manque à gagner », dénonce Antônio Pitangui de Salvo, le président de la Fédération d’agriculture de l’État du Minas Gerais, que nous avons interrogé à son siège dans la ville de Belo Horizonte.

Si le débouché européen a énormément perdu de l’importance par rapport à l’Asie et au monde arabe, l’UE reçoit encore 10 % des exportations de bœuf du Brésil, soit 3 % de son offre totale. Pour Antônio Pitangui de Salvo, fils de cet autre syndicaliste qui fut 15 ans durant le patron de la puissante Confédération nationale d’agriculture (CNA) au niveau national – les nouvelles exigences européennes en matière de traçabilité et de déforestation sont disproportionnées et constituent une nouvelle barrière commerciale non tarifaire.

« Avec leur nouvelle réglementation sur la déforestation dite importée, les Européens en sont venus à pénaliser des aliments provenant de fermes amazoniennes déboisées de fraîche date à 19 % dans leur bon droit. Leurs exploitants pourraient donc déboiser encore 1 % supplémentaire de leurs fermes, selon le droit brésilien, mais si ce défrichement a eu lieu récemment, cela constitue une embûche à l’export vers l’UE, car les Européens ont fixé une tolérance zéro après une certaine date. C’est cela qui ne va pas », dit-il.

« L’UE exige du Brésil, poursuit-il, une traçabilité individuelle des bovins qu’il nous est très difficile d’appliquer à court terme. Notre cheptel bovin de 220 millions de têtes est distribué sur un très, très vaste territoire. Une telle identification représente pour nos éleveurs un vrai surcoût. En attendant, nous testons un système de traçabilité basé sur l’imagerie de l’iris des animaux. La CNA a mené des essais en 2023 sur plusieurs exploitations d’élevage pour tester l’efficacité de ce système inspiré de la biométrie faciale utilisé sur les humains dans les aéroports. Ses résultats sont en cours d’homologation par le ministère de l’Agriculture du Brésil. »

L’appétit de l’Empire du milieu, nouveau moteur à l’exportation

La décennie 1997-2007 a été une période de croissance explosive pour le bœuf brésilien à l’export. Les volumes sont passés de 156 630 tonnes en 1997 à 1,6 million de tonnes en 2007. Le plafond des 2 millions de tonnes a été crevé en 2020 grâce au débouché chinois. Celui-ci capte aujourd’hui la moitié des envois de bœuf brésilien. La Chine signifie pour l’industrie brésilienne et ses fournisseurs 1,08 million de tonnes écoulées en 2023 et 1,2 million de tonnes en 2022.

Les chiffres du secteur bovin brésilien en 2022

• Surface en prairie : 153 millions d’hectares

• Cheptel : 202,8 millions de bovins

• Production en viande bovine : 10,79 Mt

• Abattages : 44,99 millions de têtes

• Poids moyen carcasse : 255 kg

• Exportations en viande bovine : 3 Mt

Sources : Athenagro, Secex et IBGE d’après le rapport ABIEC 2022

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