Assurance prairies : « Nous n’avons touché aucune indemnité alors que nous avons dépassé les 80 % de pertes fourragères »
La sortie mensuelle des jauges de pousse de l’herbe fournies par Airbus est officiellement clôturée depuis le 31 octobre 2023, permettant aux assureurs de trancher sur les pertes de production et l’attribution ou non d’indemnités dans le cadre de l’assurance prairies. Dans les Pyrénées-Orientales, Christian Tallant, qui avait assuré ses prairies depuis le début d’année, n’a perçu aucun dédommagement alors que ses pertes dépassent 80 %.
La sortie mensuelle des jauges de pousse de l’herbe fournies par Airbus est officiellement clôturée depuis le 31 octobre 2023, permettant aux assureurs de trancher sur les pertes de production et l’attribution ou non d’indemnités dans le cadre de l’assurance prairies. Dans les Pyrénées-Orientales, Christian Tallant, qui avait assuré ses prairies depuis le début d’année, n’a perçu aucun dédommagement alors que ses pertes dépassent 80 %.
Dans certaines zones de l’Hexagone, les craintes soulevées par les organisations professionnelles en début d’année quant à la fiabilité du système d’évaluation des pertes réalisée par indice satellitaire se confirment. C’est le cas pour Christian Tallant, éleveur de 230 vaches aubracs à Osséja, au cœur de la Cerdagne, dans les Pyrénées-Orientales. Ce dernier avait assuré ses 220 hectares de prairies en début d’année 2023.
« Une aberration totale »
Alors que son exploitation a été en proie à une sécheresse extrême dès le printemps, sa compagnie d’assurances n’a reconnu que 11 % de pertes de production. Sur le reste de ses surfaces non assurées en céréales et en méteil, le régime de calamité agricole a pourtant bel et bien été déclaré à hauteur de 80 % de pertes, un seuil constaté par la DDTM après une visite de terrain en juin dernier et validé en octobre pour le versement de l’ISN. « C’est une aberration totale », déplore Christian Tallant, qui accuse aussi 80 % de pertes sur ses prairies. Avec 20 % de franchise à son contrat, il ne percevra aucune indemnité.
Plus de 80 000 € dépensés en achat de fourrages
« Nous faisons habituellement 2 500 à 2 800 balles de foin, mais cette année nous n’avons pas dépassé les 500. Nous n’avons pu réaliser qu’une 1re coupe, et sur certaines parcelles, nous avons fauché sans même pouvoir ramasser derrière tellement les prairies étaient désertiques », décrit Christian Tallant.
L’éleveur a dû affourager son troupeau avec plus d’un mois d’avance, sachant qu’il a besoin d’utiliser 450 balles de foin chaque mois. Il a déjà acheté 550 tonnes (à 150 €/t de moyenne) pour compenser ses pertes qui se chiffrent à plus de 700 tonnes. « C’est une dépense que nous n’avions pas prévu d’assumer », confie Christian Tallant, qui était jusqu’alors 100 % autonomes en herbe.
Pas d’autre choix que de décapitaliser
Les années normales, « les pluies annuelles avoisinent les 700 mm sur le plateau cerdan, et voilà deux ans que le niveau est inférieur à 300 », partage-t-il. Une étude a été menée sur son exploitation pour évaluer l’évapotranspiration : « pour 154 mm de précipitations perçues entre mai et septembre, nous avons recensé 465 mm d’évapotranspiration, soit trois fois plus en comparaison à la pluviométrie ». D’après l’éleveur, la chambre d’agriculture et la fédération départementale ont monté un dossier qu’ils ont transmis au ministère, sans réponse en retour.
« Si nous ne parvenons pas à obtenir un recours efficace pour percevoir les indemnisations à la hauteur de nos pertes, nous n’aurons d’autre choix que de nous séparer de 50 % de notre cheptel dans les prochaines semaines », confie Christian Tallant, résigné.
D’après Corinne Parassols, aussi éleveuse dans le secteur, élue à la chambre d’agriculture départementale et cosecrétaire générale à la FDSEA, Christian Tallant est loin d’être un cas isolé dans les Pyrénées-Orientales. Elle pointe par ailleurs des différences d’interprétation entre les compagnies d’assurances, qui sont libres d’appliquer leur propre zonage à partir des cartes Airbus.
En Haute-Loire, Jean-Marie Grimault, éleveur de charolaises, accuse lui aussi le coup. Son assureur n’a pas reconnu la sécheresse sur sa zone, subie pourtant encore cet automne. « Nous avons commencé à affourager dès juillet et ne pouvons même pas faire de rattrapage sur l’arrière-saison. Au 15 octobre, nous enregistrions à peine 206 mm de pluviométrie, contre 600 habituellement. Nous avons déjà acheté 80 tonnes de foin. Nous avons été contraints de vendre près d’un tiers du troupeau sinon il aurait fallu acheter 200 tonnes », témoigne l’éleveur.
Deux manifestations prévues
« Avec les retards de paiements Pac, bon nombre d’éleveurs n’ont plus les moyens d’acheter du fourrage pour nourrir leurs bêtes », s’inquiète Corinne Parassols. Pour alerter sur l’urgence de la situation, une cinquantaine d’éleveurs ont prévu de manifester sur le plateau de la Cerdagne ce samedi 16 décembre. Une nouvelle manifestation doit se tenir mi-janvier à Toulouse, selon Corinne Parassols. « Nous n’avons pas à subir des erreurs d’interprétation de l’indice Airbus », appuie Christian Tallant.
Une gestion « opaque » du dispositif de gestion des risques
Dans un communiqué publié le 30 novembre dernier, la FNSEA et ses associations spécialisées de ruminants (FNB, Fnec, FNO, FNPL) s’inquiétaient que les questions liées au fonctionnement du dispositif prairies restent « sans réponse alors que la campagne est désormais terminée depuis un mois ».
« Alors que le fonctionnement via l’indice de production des prairies doit permettre, sur le papier, une gestion rapide et efficace des dossiers, avec une vision précise des pertes de chaque éleveur, force est de constater que plus d’un mois après la fin de la campagne, les éleveurs ne sont toujours pas informés des résultats de l’indice, ni de façon collective, ni de façon individuelle ! », avaient-elles précisé.
Dans ce cadre, la FNSEA avait formulé cinq demandes urgentes à l’attention du gouvernement :
- la publication des résultats de l’indice de pousse des prairies (à l’échelle nationale, départementale et individuelle),
- l'« amélioration de l’indice pour la détection de la pousse (ou non) de l’herbe »,
- la « validation rapide » du déploiement d’un observatoire de suivi de la pousse de l’herbe, en 2024, basé sur plus de 350 fermes réparties sur l’ensemble des territoires herbagers français,
- la « diffusion des modalités de saisine des préfets que les éleveurs non assurés devront suivre »,
- la clarification du dispositif de recours qu’un éleveur peut solliciter, auprès de son assureur ou de l’État.
Sur ce dernier point, « pour les éleveurs qui ne seraient pas en accord avec le résultat de l’indice, il n’y a pas encore à ce stade d’élément de réponses pratico-pratique sur les modalités de recours, si ce n’est de "saisir le Préfet" », confirme Hélène Fuchey, de l’Institut de l’élevage, à Réussir Bovins viande le 12 décembre.
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