Apporter un maximum de valeur ajoutée
Président des JA de Lozère jusqu’en mars dernier, Julien Tufféry met en application chez lui ce qu’il a toujours prôné pour l’élevage départemental : apporter un maximum de valeur ajoutée malgré les handicaps liés à l’altitude et au climat.
Président des JA de Lozère jusqu’en mars dernier, Julien Tufféry met en application chez lui ce qu’il a toujours prôné pour l’élevage départemental : apporter un maximum de valeur ajoutée malgré les handicaps liés à l’altitude et au climat.
Au hameau de La Panouse, à 1 280 mètres d’altitude sur les hauteurs de la Margeride, les quelques averses orageuses de l’été ont fait reverdir les prairies. En cette fin août, Julien Tufféry et Matthieu Brunel, son salarié et ancien stagiaire, s’apprêtent à recomposer les lots de vaches suitées pour les passer sur les regains avant de préparer la moisson des 15 ha de seigle hybride puis semer dans la foulée la parcelle qui sera récoltée l’an prochain. « Ici faire des céréales c’est 'ric-rac' compte tenu de l’altitude. Mais c’est important pour aller dans le sens d’une meilleure autonomie alimentaire, finir le plus possible d’animaux, sans oublier la paille pour laquelle je suis pratiquement autonome. Avec un hectare de seigle cultivé avec soin, j’obtiens en moyenne 50 quintaux de grain et 6 tonnes de paille. Je sème mi-septembre, 10 jours après la moisson de la récolte précédente. »
Améliorer les conditions de travail
L’exploitation totalise quelque 300 ha. Les parcelles s’étagent entre 1 260 et 1 502 m d’altitude. « J’ai 35 ha de prairie temporaire, 35 ha de prairie naturelle et 15 ha de seigle. Le reste, ce sont essentiellement des parcours où les genêts et la bruyère tendent à pousser plus facilement que l’herbe. On n’est pas en Normandie ! »
En Gaec avec sa mère, Julien Tufféry s’est installé en 2005 sur l’exploitation familiale. Le foncier avait bénéficié des nombreuses améliorations apportées par son père : réorganisation des parcelles fauchées afin d’en faciliter la mécanisation, drainage et captage des sources de façon à être autonome pour l’abreuvement sur la quasi-totalité des pâtures. « Ici l’hivernage dure six mois : du 15 novembre au 15 mai. Mes priorités côté investissements ont d’abord été les bâtiments et les clôtures. Je suis très prudent côté matériel. Une grosse partie est en Cuma. On a en propre trois tracteurs : le plus récent a 5 000 heures. »
inconditionnel de l’association logettes et caillebotis
Côté stabulations, Julien Tufféry est un inconditionnel de l’association logettes et caillebotis. « C’est pour moi le meilleur compromis entre temps de travail, confort des animaux et frais de fonctionnement liés — entre autres — à l’absence de paille pour les mères. Donc pas de pailleuse et pas de fumier à curer puis épandre ! » La ration hivernale repose pour l’ensemble des femelles d’élevage sur une même ration complète associant 2/3 ensilage d’herbe un tiers de foin. « En cours d’hiver, on a une moyenne de 220 bêtes en bâtiment sans compter les veaux. Il nous faut 2,5 h le matin et 1,5 h le soir pour faire le travail quand tout se passe bien. » Bien entendu, ses vaches ont depuis déjà de nombreuses années appris à se passer de leurs cornes. « Aucun regret ! », souligne ce passionné de génétique qui attend avec impatience l’arrivée des premiers taureaux Aubrac génétiquement sans cornes.
Après la modernisation des bâtiments dans les années qui ont suivi son installation, le vice-président de la chambre d’agriculture met surtout en pratique chez lui ce qu’il n’a de cesse de suggérer à ses collègues éleveurs. Le troupeau totalise 120 vêlages/an avec 30 % de croisement Charolais, uniquement en IA. « Comme ça les mises bas ne sont pas plus compliquées qu’avec des Aubrac. » Les vêlages démarrent fin novembre avec un pic en décembre et janvier. La traque aux UGB improductifs est une obsession. « Mes vaches, je ne leur pardonne rien. » Toute femelle improductive prend au plus tôt la direction de la case engraissement.
Seuls les mâles sont vendus maigres de septembre à janvier en cherchant à les alourdir au maximum de ce que le marché italien est en mesure d’accepter : « 420 kg payables, pas moins ! » Toutes les femelles sont finies en ration complète associant foin et un mélange de pulpe. « Avec des Aubrac, mêmes celles de 15 ans ça vaut le coup si elles ne sont pas trop défaites ! »
Avec les génisses croisées, le Gaec produit chaque année une quinzaine de « Fleur d’Aubrac » vendues en cours d’hiver à une moyenne de 26 mois et 400 kg C. « Je mets une bonne trentaine de génisses à la reproduction chaque année et je mets au plus tôt à l’engraissement toute femelle vide ou à problème. J’en vends une demi-douzaine en vente directe et environ 25 par an dans le cadre du label rouge Bœuf fermier Aubrac. » L’élevage participe régulièrement à des concours mais davantage des concours d’animaux de boucherie (Laguiole, Langogne, Saint Flour) que de bêtes d’élevage. « Je présente une quinzaine de bêtes sur ces concours, principalement des génisses, pures ou croisées. J’aime ça. C’est aussi l’occasion de se rencontrer, de discuter entre éleveurs et partenaires de l’aval… et de leur gratter un peu de plus-value pour mettre du beurre dans les épinards ! »
La Lozère, pays naisseur d’éleveurs
En Lozère, nous avons un attachement quasi viscéral à l’élevage bovin ou ovin. Compte tenu des contraintes du département, 99 % des agriculteurs sont d’abord des éleveurs d’herbivores », souligne Julien Tufféry reprenant sa casquette de vice-président de la chambre d’agriculture. Même si ce département est le moins peuplé de France, ses lycées agricoles sont bien remplis. « Et il faut voir la passion de nos jeunes sur les concours et les manifestations d’élevage. C’est quelque chose ! Beaucoup de jeunes veulent s’installer même s’ils sont bien conscients des difficultés. Pour nous, responsables professionnels c’est particulièrement stimulant. »
Ces jeunes souhaitent souvent s’installer très jeunes. Presque trop jeunes dans la mesure où beaucoup le font dès l’obtention de leur bac pro. « Trop peu vont jusqu’au BTS. C’est dommage. Apprendre n’est pas une fin en soi, mais se former, multiplier stages et expériences élargit les horizons et permet surtout de mieux comprendre le contexte dans lequel évolue l’élevage. »
Installer en Lozère relève comme partout de la nécessité de conforter la valeur ajoutée. « Une des difficultés c’est le lait de vache. On a perdu une centaine d’élevages laitiers en quelques années. Travailler pour rien gagner avec toutes les contraintes liées à cette production, les éleveurs s’en lassent très vite. » La tendance est à remplacer les laitières par des allaitantes avec de ce fait la nécessité de trouver du foncier. Le souhait serait de faire évoluer la législation pour permettre de défricher certaines parcelles qui se sont naturellement reboisées ou sont retournées en friche au début du siècle dernier. Ramené au pourcentage de la population, la Lozère est le département qui avait perdu le plus de jeunes soldats suite à la première guerre mondiale. Il en avait résulté un phénomène de déprise sur de nombreuses parcelles. « On aimerait remettre en herbe une partie d’entre elles pour conforter des installations, mais on se heurte à un mur législatif qu’il n’est pas facile de faire évoluer. »
Le rôle des cédants est déterminant. « Certains jouent le jeu avec leurs repreneurs comme ils le feraient avec leurs enfants. » D’autres sont nettement moins conciliants et cherchent à bénéficier le plus longtemps possible des aides de la PAC même si cela doit compromettre des installations.
Julien Tufféry affiche toutefois son optimisme pour l’élevage départemental. « J’ai souvent l’occasion de discuter avec des viticulteurs du Languedoc. Ils sont en quelques années passés du quantitatif au qualitatif. Je pense que dans les années à venir la viande bovine connaîtra des évolutions similaires. Et l’équivalent du Saint-Emilion, c’est dans des territoires comme la Lozère que nous le produirons ! »