Quels sont les principaux leviers répertoriés pour réduire le temps de travail en système bovins allaitants ?
G. S. - On distingue classiquement trois volets.
Le premier est la recomposition de la main-d’œuvre. De plus en plus fréquemment, les conjointes travaillent à l'extérieur et, en parallèle, la proportion de salariés (partagés ou en propre) augmente. La main-d’œuvre disponible est souvent réaffectée : par exemple, que fait-on à deux que je pourrais réaliser seul ? Qu’est-ce que je fais seul et que j’aurais intérêt à réaliser avec une main-d’œuvre d’appoint (service de remplacement, stagiaire, aide familial…) pour aller plus vite ou travailler en toute sécurité ? De même, est-ce que je n’aurais pas intérêt à déléguer certains chantiers à des prestataires extérieurs (par exemple les cultures) pour me consacrer à mon cœur de métier ?
Le second levier concerne la simplification des conduites. Par exemple, l’affourragement, en réduisant le nombre de passages devant les cornadis (de deux fois par jour à trois fois par semaine, il y a de la marge !), ou sur la gestion de la reproduction, de façon à mieux regrouper les vêlages et à synchroniser ensuite différentes interventions (écornage, vaccin, sevrage, mise en lots…). De même, privilégier les facilités de naissance au moment du choix des reproducteurs réduit le temps consacré à la surveillance des vêlages.
Le troisième levier est relatif à la modernisation de l’outil de production, avec des investissements dans les bâtiments d’élevage et les équipements (pailleuse, mélangeuse…). C’est l’option prioritairement retenue par la plupart des éleveurs de bovins allaitants.
En fait ces leviers, comme les mousquetaires, sont quatre. Le quatrième, ce sont les contreparties qu’un éleveur est prêt à accepter pour faire évoluer son système d’exploitation afin qu’il soit moins gourmand en travail. La question étant de savoir quel niveau de risque il assume. Il peut s’agir de contreparties liées à des baisses de performances consécutives à la simplification du système de production. Par exemple, un taux de perte un peu plus important si le choix est fait d’alléger la surveillance au moment des vêlages. Ou des animaux moins développés et conformés si la priorité est donnée aux facilités de vêlage. Cela peut aussi concerner des contreparties sur du temps de travail. Si je me fais aider par des voisins pour telle ou telle tâche, il faut aussi rendre leur temps de travail un peu plus tard. Idem pour l’emprunt de matériel. C’est rarement gratuit !
Comment un éleveur s’améliore-t-il quand il dispose d'un Bilan travail qui lui permet de situer son élevage comparativement à d’autres ?
G. S. - Un Bilan travail, comme un bilan économique, fourrager, de reproduction, permet de faire le point. L'organisation du travail, c’est qui fait quoi, quand et pendant combien de temps. L'analyse de groupe des résultats de son élevage avec ceux d’autres éleveurs, qui ont des orientations de production similaires mais qui ne travaillent pas de la même façon, se poursuit le plus souvent par des débats, voire des confrontations puis des visites chez l'un puis chez l'autre. C'est encore mieux si, comme le fait Eliane Teissandier, technicienne à l’EDE du Puy-de-Dôme (voir page ??), on utilise la vidéo pour décrypter les pratiques et les améliorer. Dans le même esprit et pour un plus large public, les journées portes-ouvertes organisées sur différentes thématiques sont un bon moyen de prendre des idées, en analysant comment des collègues ont fait évoluer leur système de production. Les discussions entre éleveurs sur le terrain complètent les réunions en salle avec des techniciens.
Les éleveurs acceptent-ils facilement de se remettre en cause ?
G. S. - C’est le fond du problème et c'est difficile ! On a coutume de dire que le travail est un sujet multifacette, intime et tabou. Pour faire évoluer sa situation, il faut accepter de remettre en cause certaines pratiques et il faut aussi impérativement avoir envie d’aller voir ce qui se passe ailleurs. Des conseils pour ranger son atelier (ou son bureau !) ne sont utiles que si, d'abord, on considère que son atelier (ou son bureau) est mal rangé, et qu'ensuite on a le désir de le ranger. C'est la même chose pour la gestion du temps de travail sur une exploitation.
Certains éleveurs ne sont-ils pas attachés à des tâches qui, vues d’un œil extérieur, semblent surannées dans le fonctionnement d’un élevage du XXI° siècle ?
G. S. - Au sein de la profession, il y a toujours eu des méticuleux et des simplificateurs, selon la conception que l’on a de son métier. Autrefois, en Auvergne, les anciens mettaient un point d’honneur à râteler tous les recoins de la parcelle quand ils fauchaient, et ceci quel que soit le temps passé. Cela a bien changé depuis !
Autre exemple plus contemporain, certains sélectionneurs passent de nombreuses heures à dresser leurs animaux au licol, ce qui peut sembler inutile aux yeux d'autres éleveurs. Mais ce n’est pas seulement pour faire bonne figure dans les concours ! Ils visent une plus-value sur des animaux qui, grâce à leur docilité, seront plus facilement vendus pour la reproduction. D’autres choisissent de vendre leur bétail sur les marchés et non en ferme, et y consacrent au moins une demi-journée tous les quinze jours. La perspective de vendre 10 à 15 centimes de plus au kilo doit être mise en balance avec le temps que cela nécessite. Tout ceci relève de choix que chacun doit savoir prendre en connaissance de cause.
Les variations sur le temps de travail d’astreinte entre exploitations ne sont-elles pas d’abord liées aux bâtiments et à leur plus ou moins grande fonctionnalité ?
G. S. - Je répondrai oui pour les systèmes bovins allaitants. Entre l'étable entravée et la stabulation libre, les éleveurs ont choisi depuis longtemps ! Ce sont eux qui ont le plus massivement investi dans les bâtiments et dans la mécanisation pour faire face aux contraintes sur le temps de travail, avec pour conséquence, en moyenne, un rapport annuité/excédent brut d'exploitation de 50 % pour les naisseurs spécialisés dans les exploitations Inosys Réseau d'élevage. C’est beaucoup moins vrai en ovins allaitants, avec, pour un EBE/unité de main-d'œuvre équivalent, un taux de 33 % chez les spécialisés herbagers.
Existe-t-il un plancher en heures de travail d’astreinte par vache par an en dessous duquel il n’est pas possible de descendre ?
G. S - Il est difficile de donner des chiffres sur ce volet. Le travail d’astreinte (celui que l'on fait tous les jours, non reportable, non concentrable) par vache diminue lorsque la taille du troupeau augmente (nos référentiels indiquent 33 heures par vache et par an pour les troupeaux de moins de 50 vaches, contre 17 heures pour ceux de plus de 100 vaches), mais il varie aussi selon le nombre de personnes qui travaillent, le regroupement ou non des vêlages, etc. Le temps passé dépend des niveaux de productivité numérique que l’on s’autorise pour son cheptel. On ne peut pas avoir de bons résultats techniques sans un minimum de suivi et de sérieux dans la conduite et la surveillance de son cheptel avant, pendant et après la période des vêlages. Mais, année après année, on trouve des éleveurs dont la productivité numérique des troupeaux demeure correcte et qui conduisent toujours davantage de vaches. On ne sait pas vraiment où se situe la limite. On voit désormais de façon assez courante des exploitations herbagères en système naisseur conduisant, avec deux UMO, 160 vêlages par an et même parfois davantage.
La place du travail bénévole, et en particulier celui des retraités, est-elle prise en compte ?
G. S - Cette part du « travail bénévole », essentiellement familial (conjoint, enfant et surtout parents retraités) tend à diminuer mais, en bovins allaitants, il représente encore de l'ordre de 10 % du travail d'astreinte. Ces tâches (surveillance des lots en pâture ou en stabulation, gestion des tonnes à eau pour l’abreuvement, avancement du fil de clôture…), si elles devaient être rémunérées, ne seraient absolument pas rentables. Le bénévolat existe même pour des transmissions hors cadre familial, avec des cédants heureux d’avoir transmis leur exploitation à un jeune, évitant ainsi qu’elle ne parte à l’agrandissement.
Quand on parle de durabilité, la dimension sociale est aussi (voire plus) importante que l'économique. C’est-à-dire que dans le métier d'éleveur, pour durer et s'épanouir professionnellement et personnellement, les réseaux à la fois familiaux, de collègues, de voisinage sont essentiels.