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Revenu des agriculteurs : C’est qui le patron ? ! paye-t-il vraiment mieux les producteurs ?

Depuis sa création en 2016, C’est qui le patron ? ! s’est rapidement imposé dans le paysage médiatique dès qu’il est question de revenu des agriculteurs. Baratin ou réalité ? Derrière une communication bien rodée, les promesses d'un juste prix payé aux producteurs sont tenues. Mais les volumes, même pour les produits laitiers, restent marginaux, ce qui limite encore l’impact de la démarche.

Vous avez déjà sûrement entendu le très médiatique Nicolas Chabanne, fondateur de la marque C’est qui le patron ? ! (CQLP) sur les plateaux télé ou à la radio. Il était aussi sur les barricades lors des manifestations de début 2024, pour tourner des vidéos à destination des réseaux sociaux. Du point de vue de la communication, le discours est parfaitement rodé : des consommateurs volent à la rescousse des producteurs grâce à des produits qui les rémunèrent au juste prix. Derrière le battage médiatique, parfois tous azimuts, la promesse est-elle tenue ?

Oui, affirme l’organisme certificateur de la démarche Bureau Veritas. « Nous attestons que les cahiers des charges C’est qui le patron ? ! sont bien respectés », garantit Mélanie Carel, responsable d’opérations au sein du département agro-industrie chez Bureau Veritas. Pour le lait conventionnel, le prix affiché sur le cahier des charges est de 540 €/1 000 l ; 555 €/1 000 l pour du lait labellisé Bleu blanc cœur servant à fabriquer le beurre de baratte ; 565 €/1 000 l pour le lait bio. Pour le blé transformé en farine, c’est 333 €/t. Pour les œufs plein air, 9,14 € les 100 œufs. Pour les pommes de terre, 42 €/t. Pour les steaks hachés, désormais arrêtés, CQLP, qui travaillait avec la coopérative Sicarev, payait 0,25 €/kg de carcasse valorisée en plus de la rémunération de la coopérative pour les parties utilisées dans le steak haché.

Un audit externe garantit la rémunération des producteurs

Pour s’en assurer, Bureau Veritas met en œuvre un plan de contrôle avec un pourcentage d’acteurs à auditer pour chaque maillon de la filière, choisis grâce à une analyse de risque. Pourront être audités prioritairement les acteurs n’ayant pas encore été contrôlés ou ceux où des non-conformités ont déjà été repérées. « Les modalités de contrôle sont visuelles ou documentaires. Pour la rémunération des producteurs, c’est la facture qui fait foi grâce à une double vérification chez le producteur et chez l’acheteur. »

C’est ce qui a séduit PomAlliance (coopérative Natup) qui commercialise des pommes de terre CQLP. « C’est une marque reconnue par les consommateurs pour la juste rémunération des producteurs. Comme c’est une démarche extérieure, elle nous donne de la crédibilité et de la notoriété », estime Guy De Foucaud, directeur marketing de Pom’Alliance.

En face du cahier des charges, les surcoûts pour les producteurs

Comment fonctionne la démarche ? « Le consommateur choisit, via un questionnaire en ligne accessible à tous, les caractéristiques du futur produit CQLP. S’il doit être bio ou non, son conditionnement… explique Raphaël Petit, directeur juridique et affaires publiques de CQLP. En face de chaque choix, un coût de production est associé et on va en tirer un prix de vente conseillé, en ajoutant la redevance CQLP [de 5 %, et maximum 0,15 centime par produit] la TVA et un bloc de marges des fabricants et distributeurs. Avec ce prix de vente conseillé, tout le monde est censé gagner sa vie, du producteur au chef de rayon. »

Le juste prix ressenti par le producteur

La méthode pour établir la juste rémunération des producteurs repose sur la discussion. « On ne demande pas aux agriculteurs de nous fournir leurs données comptables, plante Raphaël Petit. Nous commençons par échanger en direct avec eux, en leur demandant quelle est la rémunération qui couvre leurs coûts de production, puis celle qui permettra d’améliorer leur niveau de vie et d’investir. Ensuite, on apporte une autre vision avec des indicateurs comme le prix de l’énergie, l’Ipampa… Mais ce ne sont pas ces indicateurs qui font prendre la décision, c’est toujours le ressenti des producteurs. » Il l’assure : « les producteurs savent qu’il ne faut pas que cela soit trop cher car il faut un débouché à leurs produits ».

« Nous avons estimé la juste rémunération des producteurs grâce à des discussions entre l’ensemble des acteurs. CQLP prend en compte des éléments tangibles, comme les coûts de production, mais il n’y a pas de mode de calcul figé, explique Guy de Foucaud, de Pom’Alliance. C’est avant tout basé sur l’expérience de chacun. »

Seuls 9 % des volumes de lait bio payés au prix CQLP

La première coopérative laitière française, Sodiaal, qui fabrique le beurre bio de la marque, a préféré une méthode plus classique, qu’utilise généralement la filière depuis Egalim. Pour fixer le prix du lait bio à 565 €/1 000 l, elle s’est basée sur « des indicateurs de prix de revient calculés par le BTPL à partir des données comptables des exploitations », indique Laurent Boussès, directeur économie laitière chez Sodiaal.

Le débouché CQLP pesait fin 2024 pour 9 % de la matière grasse collectée auprès des 700 éleveurs bio de la coopérative. Le bénéfice est proratisé. « Pour chaque producteur, 9 % de leur lait est payé au prix prévu par le cahier des charges CQLP. C’est mutualisé pour tous nos éleveurs bio car tous respectent le même cahier des charges spécifiques », éclaircit Laurent Boussès.

Des prix au-dessus du marché pour une petite part de la production

La question de l'impact de la démarche sur les débouchés totaux des producteurs se pose ou s'est également posée pour d'autres produits  CQLP. Lors de la brève commercialisation du vin rouge, « les volumes étaient marginaux pour les quatre domaines impliqués », explique Marion Chermette, gérante de la commercialisation du domaine Chermette dans le Rhône qui a travaillé avec CQLP. « Ce n’est pas le gros de nos volumes de pommes de terre, mais sur un marché fluctuant, le prix d’achat fixe permet d’atténuer la volatilité », convient Guy de Foucaud.

Pour que la juste rémunération affichée couvre une part substantielle de la production de l’agriculteur, CQLP souhaite travailler au maximum en direct avec un petit groupe de producteurs dont une part importante de la production sera valorisée par ses produits. Quand c’est le cas, les témoignages élogieux d’exploitations concernées ne manquent pas.

« Nous essayons de circonscrire un premier pool de producteurs qui va bénéficier de la démarche CQLP. Si on répartit sur tout le volume d’une coopérative ou d’une organisation de producteurs, cela représentera moins de volumes pour chacun et donc moins d’impact sur la vie des producteurs », explique Raphaël Petit, de CQLP.

Cela fait partie de la raison évoquée pour justifier l’arrêt de la commercialisation de la baguette de pain. « Les volumes de blé valorisés pour les producteurs associés à la démarche [étaient] trop faibles pour les soutenir durablement », explique CQLP. Même topo pour les steaks hachés : « le pourcentage de volume payé chaque mois aux producteurs reste trop faible pour avoir un impact significatif sur leur vie ». Ou le poulet fermier où le « montant total de la rémunération [était] réparti sur un nombre de producteurs trop important pour qu’ils puissent individuellement bénéficier d’un réel impact ».

Des ventes en progression mais des parts de marché encore modestes

Si les ventes sont en très nette progression (+ 11,8 % sur l’année 2024 en valeur), les parts de marché restent encore modestes. Hors drive et supermarché à dominante marques propres (type Lidl, Aldi), en comptant les marques nationales et les marques de distributeurs, CQLP pèse pour 4,6 % des formats 1 l et 50 cl de lait demi-écrémé, 0,5 % du lait bio, 1,1 % des yaourts nature, 0,3 % des parts de marché du rayon farine. Et 1,4 % des œufs plein air, selon les chiffres rapportés par CQLP à partir des données du panéliste Nielsen IQ.

« Certains consommateurs – souvent aisés – sont prêts à faire le geste de payer plus cher pour la transparence et une meilleure rémunération des producteurs, mais c’est minoritaire, et cela pèse peu sur les parts de marché et dans les débouchés des producteurs, observe Philippe Goetzmann, consultant dans l’agroalimentaire et la grande distribution. Le lait CQLP, ce n’est même pas 0,5 % de la collecte. Cela ne suffit pas à régler les problèmes des filières agricoles, et encore moins les problèmes de compétitivité. »

Il estime malgré tout que CQLP « a permis de faire bouger les lignes en mobilisant les consommateurs pour leur faire prendre conscience de la valeur des produits et cela a poussé des distributeurs à porter ce type d’initiatives, comme Coopérative U et Intermarché sur les marques de distributeurs ».

Autre point qui bloque la multiplication des références dans la gamme CQLP : le niveau de transformation des produits. « Le soutien aux producteurs est plus facilement perceptible par le consommateur sur le produit brut », admet Raphaël Petit de CQLP. « La démarche fonctionne sur des produits bruts ou très peu transformés, décrypte également Philippe Goetzmann. Plus on va sur des produits élaborés, plus cela va être compliqué. »

17 produits commercialisés, 16 suspendus

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© C'est qui le patron ?!

Selon le site internet de C’est qui le patron ? !, 17 produits sont en cours de commercialisation et 16 ont été suspendus. « CQLP concède la licence aux fabricants qui vendent eux-mêmes les produits », explique Raphaël Petit, directeur juridique et affaires publiques de CQLP. Résultat : le référencement est très inégal d’une enseigne à une autre et même d’un magasin à un autre.

« Si l’expérience C’est qui le patron ? ! s’est bien passée, il nous a été compliqué de travailler avec la grande distribution. Il faut aller négocier avec chaque enseigne, cela prend du temps, se souvient Marion Chermette, gérante de la commercialisation du domaine Chermette dans le Rhône. Nous avions des pénalités de livraison. Le fonctionnement des grandes surfaces n’est pas adapté à notre structure, nous n’étions pas armés pour ça. »

Autre spécificité qui peut déplaire aux directeurs de supermarché : « Le prix de vente conseillé est écrit sur le packaging, alors qu’habituellement c’est le magasin qui le fixe », analyse Guy De Foucaud, directeur marketing de Pom’Alliance (Natup).

Une transparence du producteur au consommateur

Les quatre produits vedettes C’est qui le patron ? ! sont la brique de lait, le beurre bio, les œufs et les yaourts nature. Le cahier des charges du lait conventionnel pour la brique de lait et les yaourts comprend quatre mois de pâturage minimum, un approvisionnement en fourrage à moins de 100 km de l’exploitation et une alimentation sans OGM. En bio, la contrainte de pâturage grimpe à six mois. Le consommateur sait exactement quelle part du prix qu’il paye revient à chaque maillon de la chaîne.

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Exemples de composition du prix de trois produits laitiers dans la démarche C'est qui le Patron ?! © Source : C'est qui le patron ?!

• Sur un prix de vente conseillé de 1,27 € le litre de lait en brique, 0,54 € revient aux producteurs.

• Pour chaque plaquette de beurre bio CQLP au prix conseillé de 3,17 €, 1,55 € revient aux éleveurs.

• Les 8 pots de 125g de yaourts nature CQLP permettent une rémunération des producteurs de 0,54 € par pack vendu.

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