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Avant de se diversifier dans la bière, le vigneron doit bien définir sa stratégie

Si le vigneron maîtrise son produit de A à Z, il difficilement en être de même pour la bière. Avant de se lancer, mieux vaut définir ses priorités.

Le brassage de la bière comprend de nombreuses étapes et requiert un véritable savoir-faire.
Le brassage de la bière comprend de nombreuses étapes et requiert un véritable savoir-faire.
© WavebreakMediaMicro/stock.adobe.com

Vaut-il mieux brasser soi-même ou faire brasser sa bière ?

Pour Garlonn Kergourlay, consultante brassicole, l’avantage du vigneron est avant tout de disposer d’un réseau commercial. « Il existe des similitudes entre le vin et la bière, mais se lancer dans le brassage de façon professionnelle demande de se former au préalable, témoigne-t-elle. Regarder des tutos sur internet ne suffit pas. » Un avis que partage Paul Pradelle, l’œnologue consultant de l’ICV en charge de la branche zythologie (1). « Contrairement au vigneron, le brasseur doit créer le jus sucré, explique-t-il. C’est très technique, il y a des paliers de température à respecter, qui ont un impact sur l’aspect sensoriel. Sans compter la création de recettes. »

Aussi Garlonn Kergourlay estime qu’il peut être une bonne idée de faire produire sa bière dans un premier temps, afin de sonder son marché, et d’investir dans un second temps si le succès commercial est au rendez-vous. Car une installation professionnelle de microbrasserie représente tout de même 150 000 euros à l’achat. Et mutualiser les moyens de production avec ceux du vin paraît illusoire. « Il faut envisager que l’ambiance de son chai soit mauvaise pour la bière », pointe Rémi Winterholer, microbrasseur en Gironde ayant travaillé dans la filière vin.

Il recommande pour sa part de réaliser des petits brassins pour se faire une idée. D’autant plus qu’il existe des installations de pico-brasserie (toute petite unité de brassage) abordables, permettant par exemple de faire de la bière par lots de 100 litres voire moins. « Attention toutefois, car qui dit petit lot dit aussi davantage de travail, avertit Marc Schmitt, directeur de l’Institut français des boissons, de la brasserie et de la malterie (IFBM). On voit des gens qui s’épuisent en début d’activité car ils doivent passer beaucoup de temps au brassage, leurs équipements étant petits. »

 

 
Le levurage est l'une des rares similitudes entre l'élaboration d'un vin et d'une bière.
Le levurage est l'une des rares similitudes entre l'élaboration d'un vin et d'une bière. © Brasserie Winterholer
La taille de l’installation est d’ailleurs le nerf de la guerre lorsqu’on parle de rentabilité. Dans la filière, on avance régulièrement le chiffre de 350 hl par an avant de se dégager un Smic. « C’est un équilibre à trouver, livre Rémi Winterholer. À petite échelle cela demande beaucoup de main-d’œuvre, mais à grande échelle cela devient vite compliqué à vendre. Il faut alors réinvestir les économies réalisées par la taille dans la communication et le marketing. » Le brasseur estimait le coût de fabrication, avant l’inflation et sans compter la main-d’œuvre, à environ 2,50 euros HT par litre. Dont 0,60 euro de matière première, 0,11 euro d’énergie et 1,70 euro pour le conditionnement (en bouteilles de 33 cl).

 

Une autre solution, pour Garlonn Kergourlay, serait de créer des synergies avec un microbrasseur existant. Un tiers lieu qui permettrait au vigneron, à la coopérative (voire au viticulteur) de se diversifier, et au brasseur de s’ouvrir un marché. « Pourquoi ne pas imaginer une sorte de colocation au sein de son domaine, si on a de la place, avance la consultante. Si l’on fait de l’œnotourisme ou bien des réceptions cela donne une option de plus. Les microbrasseurs aussi vont vers des difficultés, cela peut être une alliance gagnant-gagnant. »

(1) Discipline qui a pour champ d’étude la fabrication, la dégustation et la culture de la bière.

Dans quel cas de figure peut-on produire son houblon ?

Il existe des similitudes entre la culture de la vigne et celle du houblon. Il s’agit dans les deux cas de gérer les lianes, sensibles au mildiou, ainsi qu’un interrang. Mais le houblon nécessite aussi quelques équipements spécifiques comme une arracheuse ou une sécheuse. « Si on n’est pas dans une zone où on peut mutualiser les moyens, ça devient plus compliqué », juge Rémi Winterholer, qui a sa propre houblonnière. Le coût de l’installation est également à prendre en compte, puisqu’il faut compter environ 50 000 euros par an. De même, les périodes de forte activité tombent au mois de mai et début septembre.

Toutefois, il n’y a pas besoin de grande surface quand il s’agit de brasser sa propre bière. Le houblon entre à hauteur de 50 à 600 grammes par hecto dans la fabrication de la bière, et un hectare en conventionnel peut produire plus de deux tonnes par an pour peu qu’il soit sur un terrain sablo-limoneux plutôt drainant, avec un minimum de chaleur et d’humidité. Des filières locales se montent actuellement en Nouvelle-Aquitaine et dans les pays de la Loire, pour approvisionner les microbrasseries françaises qui importent 90 % de leurs besoins.

Est-il intéressant de cultiver son orge ?

La culture de l’orge n’est pas très difficile. Elle est par exemple moins sensible aux ravageurs que les autres céréales. Mais cultiver son orge requiert tout de même d’avoir une parcelle où l’implanter, ainsi que du matériel pour la semer et la récolter, à moins d’adhérer à une Cuma ou de passer par un prestataire. Les rendements moyens en France varient entre 4 et 6 tonnes par hectare, et le brassage requiert environ 20 kg de malt par hecto de bière. Toutefois il y a une étape à ne pas négliger avant de confectionner la bière, qui est celle du maltage, c’est-à-dire la germination puis le séchage de la graine. « C’est un vrai métier. Cela demande des connaissances spécifiques ainsi qu’une véritable attention, car il peut y avoir des champignons toxinogènes qui se développent », enseigne Marc Schmitt.

Les installations sont en outre difficiles à rentabiliser. Il y a néanmoins ces dernières années beaucoup d’initiatives de malteries artisanales, certaines proposant de malter à façon. « C’est ainsi que des agriculteurs céréaliers font malter leur orge pour réaliser ensuite leur bière », poursuit le directeur. Mais les coûts de production de ces structures sont plus importants, ce qui peut rendre l’ingrédient de base plus cher. « Cela peut avoir un sens, mais il faut jouer à fond la carte de l’ultralocal, ou bien créer des recettes avec des variétés anciennes, par exemple », estime Garlonn Kergourlay.

Y a-t-il un avantage à se lancer en agriculture biologique ?

Dans l’univers de la bière, le critère biologique n’est pas aussi différenciant qu’en viticulture. Bien sûr, il permet d’accéder aux magasins spécialisés, mais le consommateur est davantage sensible aux recettes et à l’aspect découverte. « C’est une niche, même dans le créneau des bières artisanales, et qui semble en perte de vitesse avec la hausse des prix de l’alimentaire », remarque Garlonn Kergourlay. Rémi Winterholer a toutefois choisi de faire de la bière bio, par conviction. « La problématique est totalement différente, car il suffit au brasseur d’acheter des ingrédients bio ou non bio pour choisir, explique-t-il. Mais il faut savoir que les matières premières bio sont plus chères, donc ça se répercute sur le prix de la bière. »

Les hybridations entre le vin et la bière ont-elles du sens ?

« Je dis toujours à mes clients qu’il faut faire du Storytelling, montrer qu’on est unique. Les vignerons ont un formidable potentiel pour créer des histoires associant le vin et la bière », lance Garlonn Kergourlay. Un argument d’autant plus vrai que le consommateur de bière est avide de produits innovants. L’utilisation du bois par exemple donne des choses intéressantes en diversification. « Les vignerons ont à apporter au monde de la bière, estime Théodore Becquart, brasseur consultant chez Brewing Theory. Les soleras sont un exemple, ou encore le travail sur les thiols, il y a plein de choses à faire. » Le consultant est également persuadé que les vignerons ont une vraie légitimité à faire connaître les mix entre vins et bières, et à développer ce marché naissant.

Les grandes étapes de l’élaboration de la bière

Le concassage il s’agit de broyer les grains de malt pour permettre l’extraction des enzymes et des sucres.

L’empâtage cette opération consiste à faire tremper le malt concassé dans de l’eau, pour en extraire l’amidon. On obtient ainsi une « maische ».

La filtration et le rinçage le brasseur récupère la partie liquide et rince les parties solides pour récupérer tous les sucres fermentescibles restants.

L’ébullition la chauffe du moût permet de le concentrer et de le stériliser. C’est généralement à cette étape que l’on ajoute le houblon, qui donne son amertume et ses arômes.

Le refroidissement il est important de refroidir le moût rapidement pour éviter les déviations.

La fermentation comme pour le vin, le moût subit une fermentation alcoolique. On parle de fermentation « haute » ou « basse » en fonction de la température. Cela donne deux styles distincts (lager/ale). Il est possible de travailler avec des cuves isobares, pour garder le CO2 produit, ou bien de réaliser une seconde fermentation en bouteille pour apporter l’effervescence.

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