Une nouvelle génération de paysans-commerçants germe dans le Cantal
Romain Gibert, revenu sur l’exploitation familiale à Sansac-de-Marmiesse, a repris avec son père et sa compagne le magasin un Coin de campagne, et ils fourmillent de projets.
Dans la famille Gibert, on a toujours eu à cœur de donner de la valeur à tout ce qui est produit sur l’exploitation, souvent en innovant quitte à passer pour des originaux et à essuyer les critiques. En 1983, les grands-parents de Romain étaient parmi les premiers dans le Cantal à ouvrir une ferme-auberge dans la vallée de la Jordanne, à Puech Verny, devenu un haut lieu de la gastronomie rurale. Son père, Jean-Pierre, s’est lui installé hors cadre familial à Sansac-de-Marmiesse en système broutards classique, tout en renouant avec des pratiques anciennes, comme la tétée surveillée des veaux. Avant, lui aussi, de chercher à mieux valoriser ses salers - alors croisées - par la vente directe en colis. Une trajectoire paysanne dont Romain s’est lui écarté, du moins temporairement.
Produire et consommer autrement
Diplômé d’un DUT génie civil et d’une école d’ingénieur du bâtiment, c’est dans la construction que sa carrière semble tracée. Conducteur de travaux dans l’entreprise aurillacoise Soulier durant quatre ans, il bifurque une première fois vers l’assurance. “C’était en 2015, je me suis dit que j’avais déjà pas mal bourlingué...”, expose le jeune homme, qui entre-prend de revenir sur l’exploitation familiale. Mais avec la ferme intention de ne pas subir la loi de l’aval. “En agriculture, ce qui m’a toujours choqué, c’est qu’on soit capable de produire sans connaître son coût de production, ni à quel prix ses produits seraient vendus, d’investir sans ramener ça au chiffre d’affaires, de dépenser autant d’énergie, d’heures, sans avoir un revenu décent”, affiche Romain Gibert, qui devient salarié de l’exploitation de Lalande. En parallèle de premières évolutions amenées sur l’élevage, père et fils se lancent dans un défi peu commun : la reprise du magasin de producteurs “Un coin de campagne” à Aurillac, aux côtés de Patrick Bouquier, l’un des sept fondateurs. Avec pour leitmotiv : “Produire et consommer autrement”. “Dans le système actuel, les deux maillons extrêmes de la filière, producteurs et consommateurs, sont lésés. Notre idée directrice, c’est de se réapproprier cette valeur en s’exonérant des intermédiaires”, explique l’éleveur-commerçant, que sa compagne, Anaïs Travers, a rejoint dans cette aventure aux allures d’États généraux de l’alimentation avant l’heure, “mais sous une forme aboutie”, sourit cette dernière.
Une filière quasi complète
Après un audit du magasin qui met en lumière la nécessité d’élargir la gamme de produits fermiers proposés, Romain et Anaïs prennent leur bâton de pèlerins pour prospecter et démarcher de nouveaux producteurs via Internet, les retours de clients, en se déplaçant aussi. En moins de trois ans, le nombre de fournisseurs(1) passe d’une vingtaine à un grosse soixantaine au terme d’une sélection qui associe des critères de qualité du produit et le feeling avec le producteur. “On se renseigne sur la composition du produit, les modes de production et bien entendu, on goûte. On n’est pas attaché au bio parce qu’on peut trouver d’excellents produits locaux sans label. Ce qu’on garantit au consommateur, c’est un bon rapport qualité-prix”, développe Anaïs, ingénieure en agriculture. Avec une philosophie : ne jamais négocier les tarifs : “On n’est pas des marchands de tapis, au contraire, on aiguille le producteur sur le prix, souvent d’ailleurs à la hausse”, complète la jeune femme. Un principe qui laisse la gamme proposée largement abordable et compétitive en terme de tarifs par rapport aux mêmes produits qualitatifs de la grande distribution (label rouge par exemple) : “On n’a pas le même niveau de marges, d’autre part, on essaie de travailler au maximum en flux tendus en frais et on n’a pas à supporter toutes les charges de structure et communication de GMS”, développe le couple. Et la formule fonctionne : le magasin affiche une croissance à deux chiffres et ce sont aujourd’hui les producteurs qui frappent à sa porte pour être référencés. Un mouvement que les gérants-producteurs souhaitent encore encourager pour permettre à de jeunes producteurs de disposer d’un point de vente local. Cet élan a aussi permis de salarier une deuxième personne à temps partiel à la vente et pour donner un coup de main à la gestion et à la mise en œuvre de nouveaux projets en gestation. Mais dans la famille, on ne veut pas griller les étapes : “Si on est resté discrets depuis trois ans, c’est parce qu’on voulait d’abord consolider la structure, avoir les reins plus solides”, confient Romain et Anaïs, qui a troqué son bureau de conseillère agricole dans le secteur bancaire pour le maraîchage. Les légumes ? Un autre pari mûrement réfléchi. (1) Aux deux tiers, il s’agit de producteurs fermiers du Cantal qui fournissent fromages, viandes, œufs, vins, confitures, pâtes, conserves, jus de fruit, glaces, miel,... Le magasin est ouvert pour l’heure du mercredi au samedi.