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Tulle : les Jeunes Agriculteurs suspendent leurs espoirs sous des sapins renversés

Action JA Sous une fine bruine automnale, les rues de Tulle ont été le théâtre d’une scène aussi saisissante que symbolique. Hier soir, dès 20 heures, les Jeunes Agriculteurs (JA) de Corrèze ont investi un coin de route, mêlant symbolisme et revendications.

Affiche : Pas de rémunération, pas d'installation.
JA19

Deux sapins de Noël, suspendus à l’envers, décorés d’affiches dénonciatrices, illustraient leur message : l’agriculture corrézienne est en danger. Ces dernières portaient des messages clairs : « Quel avenir ? », « Région en pause-café », « Mercosur = hormones de croissance » ou encore « Bientôt plus de lait ».

Aux pieds des sapins, des cadeaux emballés représentaient autant de problématiques agricoles à remettre entre les mains d’un invité de marque : Monsieur le préfet de Corrèze. Cette mise en scène n’a pas été choisie au hasard : à l’approche de Noël, les JA ont voulu interpeller les consommateurs et les pouvoirs publics sur une triste réalité. Les Jeunes Agriculteurs ont voulu rappeler qu’eux aussi attendent des " cadeaux " sous forme de solutions concrètes, qui tardent à venir. Pourtant, malgré cette attente interminable, ils continuent de travailler et de tenir bon pour nourrir la population.

Un cri d’alarme sous le sapin

Ainsi, le président des JA, Antoine Brousse, a ouvert la soirée par un discours sur les réalités agricoles

Rien ne bouge ou que trop lentement. Nos exploitations s’épuisent, et avec elles, nos forces. » 

Ses mots résonnaient comme un écho aux tensions qui ont marqué 2024, amplifiées récemment par les négociations sur le Mercosur que rejettent massivement les agriculteurs corréziens, et, plus largement, français. Chaque canton a ensuite exposé ses difficultés, offrant au préfet des présents évocateurs.

Une filière noix en péril

Le canton de BBM a inauguré les échanges en déposant un coffret de noix barré d’une croix rouge, comme un cercueil. 

Gaëtan Coste, président de canton, a été direct :  Notre filière est en train de mourir. » 

Il a dénoncé des récoltes insuffisantes, la pression des importations étrangères et des normes de production toujours plus complexes. Malgré l’urgence, les aides promises tardent à se concrétiser, laissant les producteurs dans l’incertitude et la filière à l’agonie.

Le loup, une menace toujours grandissante

Pour représenter la problématique du loup, le canton de Bugeat-Sornac a offert une peluche de brebis. Le président d’Ussel, qui s’exprimait en leurs noms, a rappelé les nombreuses attaques sur les troupeaux. 

Le pastoralisme est un pilier de notre territoire, mais il est gravement menacé »

a-t-il affirmé. Les JA et la FDSEA 19 ont multiplié les actions pour demander des mesures plus strictes contre le loup et un réel soutient aux éleveurs. Pour les agriculteurs, il en va de la survie de leurs élevages et de la pérennité des traditions rurales. Ainsi, les JA ont rappelé qu’ils s’opposaient à une cohabitation avec le loup et demandaient un classement en zone difficilement protégeable de la Corrèze à l’instar de l’Aveyron.

Une rémunération en chute libre

Fabien Bourdet, président du canton de Corrèze, a tendu une fiche de paie dérisoire au préfet. 

Entre des charges toujours plus lourdes et des revenus qui stagnent, comment se projeter dans l’avenir ? » 

s’est-il interrogé. Pierre Cazes, secrétaire des JA, a souligné à quel point cette réalité freine les vocations et décourage les jeunes générations d’envisager une installation. Ce constat va bien au-delà des chiffres : il traduit une réalité qui freine non seulement les jeunes agriculteurs issus de familles agricoles, mais décourage encore plus fortement les hors-cadre familiaux, dont le parcours est semé de défis supplémentaires. Antoine Brousse, président des JA, a souligné ce point avec force : 

Imaginez-vous vous lancer dans une profession qui nécessite plus de 500 000 euros d'investissement initial, sans contrat de rémunération garanti et face à des banques qui hésitent à suivre. Qui ose encore franchir le pas dans ces conditions ? »

 Il a rappelé que les hors-cadre familiaux, essentiels pour le renouvellement des générations en agriculture, rencontrent des obstacles spécifiques : absence d’héritage foncier, difficulté à accéder au capital nécessaire, et manque de garanties pour convaincre les banques. « Nous avons besoin de ces jeunes, issus d’autres horizons, qui apportent une énergie nouvelle et diversifient nos exploitations. Leur installation doit être encouragée et soutenue, pas découragée par des conditions aussi hostiles. »Pour les Jeunes Agriculteurs, il est urgent de mettre en place des politiques et dispositifs spécifiques pour rendre l’installation viable : sécurisation des revenus par des contrats stables, aides ciblées pour l’investissement, et accompagnement renforcé pour les hors-cadre familiaux.

Des dégâts de gibier hors de contrôle

Camille Privat et Anna Theil, du canton de La Roche, ont déposé une peau de sanglier, dénonçant les ravages causés par le gibier. « Nos cultures sont de plus en plus touchées par les animaux, et les indemnisations ne suivent pas », ont-elles expliqué, soulignant le manque de réactivité face à une problématique qui touche de plus en plus d’exploitations en Corrèze.

Les Jeunes Agriculteurs ont insisté sur un point crucial : la majorité des dégâts causés par le gibier ne sont pas signalés, et ce, en raison de procédures de déclaration trop longues et complexes. Beaucoup d’agriculteurs renoncent à les déclarer, ce qui entraîne un manque de visibilité sur l’ampleur du problème. Pour résoudre cette situation, les JA demandent la mise en place de bracelets cervidés gratuits pour les chasseurs, afin de mieux réguler les populations et éviter les dégâts sur les cultures. Ils réclament également la création d’une application mobile permettant une déclaration rapide et précise des dégâts, avec photos et géolocalisation. Cette solution simplifierait les démarches administratives et améliorerait le suivi des indemnisations, en rendant le processus plus accessible et réactif pour les agriculteurs.

Le préfet, visiblement sensible à cette suggestion, a montré un intérêt pour la proposition. Les JA ont précisé qu’ils ne manqueraient pas de revenir vers lui pour faire avancer ce dossier et s'assurer que des solutions concrètes soient mises en place rapidement pour soutenir les agriculteurs confrontés à ce fléau. 

Une filière laitière à bout de souffle

Le canton de Saint-Privat, avec son pot à lait vide, a porté une autre inquiétude majeure : la perte de vitesse de la filière laitière

 Les fermetures d’exploitations se multiplient, et la production s’effondre. », a alerté Yannick Breuil, ancien président des JA. 

Les coûts d’installation prohibitifs et le manque de main-d’œuvre qualifiée aggravent la situation.

Urbanisation et conflits ruraux

Baptiste Pelissier, vice-président des JA, a pris la parole pour le canton de Tulle et Donzenac. Il a dénoncé le grignotage constant des surfaces cultivables par l’urbanisation, notamment autour de Brive. « Nous perdons des hectares essentiels à notre souveraineté alimentaire. » Il a également évoqué les conflits de voisinage, de plus en plus fréquents, avec des habitants néoruraux. « Bruits, odeurs, horaires de travail : on nous reproche tout, alors même que nous entretenons les paysages qu’ils apprécient tant. »

Une transmission au bord de la rupture

Enfin, Rémy Bourdoux, président du canton d’UEB, a présenté une boîte avec une clef sur le dessus, boite contenant une corde, une tirelire brisée et des papiers déchirés. « Voilà ce qu’est devenue la transmission en agriculture », a-t-il expliqué avec émotion. Il a décrit une situation où les exploitations doivent constamment s’agrandir pour rester viables, au prix d’efforts toujours plus importants. 

Nos parents travaillent toute leur vie pour nous transmettre quelque chose, mais nous devons produire toujours plus pour gagner moins. » 

Les obstacles à l’installation, comme l’accès au crédit ou les taux d’intérêt élevés, achèvent de décourager les jeunes.

Un dernier avertissement

Face à ces doléances, le préfet a promis d’écouter et de relayer les revendications. Les JA, en choisissant cette action symbolique, ont voulu croire à la voie de la négociation. « Mais si les acteurs politiques et institutionnels ne prennent pas leurs responsabilités, nous agirons différemment », ont-ils averti. Pour les agriculteurs, les actes doivent désormais remplacer les mots. « Nous n’avons plus de temps à perdre », a conclu Antoine Brousse, déterminé.

A lire aussi-> https://www.reussir.fr/agriculture-massif-central/mercosur-les-feux-de-la-colere

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