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« Soyons patients et travaillons pour plus de pérennité »

Interview de Bruno Dufayet, président de la FNB, et de Pierre Cabrit, président de Fil Rouge.

Bruno Dufayet, président de la FNB.
Bruno Dufayet, président de la FNB.
© Union du Cantal

Dans le cadre des plans de filière, la filière bovin viande a proposé une montée en gamme des produits par le développement des labels. La FNB et Fil Rouge font le constat que les distributeurs s’empressent actuellement de prendre contact avec les organismes de défense et de gestion (ODG) pour contractualiser avant la loi Alimentation, avec, pour risque pour les producteurs, d’obtenir des prix inférieurs aux coûts de production. Bruno Dufayet, président de la FNB, et Pierre Cabrit, président de Fil Rouge, souhaitent mettre en garde les éleveurs contre le « jeu » de la distribution. Ils demandent aux éleveurs et aux ODG d’être patients afin que le travail mené sur la prise en compte des coûts de production puisse aboutir.

Quel travail de montée en gamme ont réalisé vos deux organisations ces derniers mois ?
Pierre Cabrit : Partant du constat que le Label Rouge n’arrivait pas à décoller, nous avons mené, pendant 18 mois, un travail important avec Fil Rouge. Le label ne représente en effet que 3 à 4 % des volumes de viandes bovines consommées en France. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un signe reconnu pour la qualité supérieure, pour autant, nous n’arrivons pas à en augmenter la consommation. Nous avons donc engagé une étude afin d’essayer de comprendre qu’elles étaient les attentes envers le label. Il est apparu que les consommateurs se préoccupent du bien-être animal, il faut donc apporter des réponses sur ces pratiques. Ils sont aussi attentifs aux conditions d’élevage, au respect de l’environnement, à la traçabilité, aux relations avec les consommateurs, aux goûts, déjà intégré dans le label, mais aussi à la proximité relationnelle avec le producteur. Cette préoccupation nous a beaucoup intéressé, elle met en avant leur volonté de renouveler le lien avec l’éleveur. La dernière préoccupation est celle de la rémunération des agriculteurs. Le consommateur est attentif à la manière dont l’éleveur gagne sa vie. Lorsqu’il achète un produit de qualité supérieure il faut le rassurer quant à la juste rémunération des acteurs.
Bruno Dufayet : Pour faire la parallèle avec le plan de filière, deux ambitions ont été données à la sortie des États Généraux de l’Alimentation (EGA) ; garantir une meilleure rémunération des éleveurs et améliorer la qualité du produit pour le consommateur. Au niveau de la filière viande bovine, nous avons fait le choix de nous appuyer sur le Label Rouge. Il est aujourd’hui le signe de qualité qui répond aux attentes du consommateur, ce n’est pas la peine d’essayer de trouver autre chose. Il y a des cahiers des charges qui respectent aujourd’hui tous les enjeux qu’il y a autour de la production de viande bovine. Nous souhaitons que les volumes de viandes bovine, issus des labels, passent de 3-4 %, des volumes totaux de viandes bovine consommés en France, à 40 %, d’ici cinq ans. Il s’agit d’une vraie ambition de montée en gamme au sein de la production.

Depuis les EGA, comment se comportent les distributeurs ?
B.D : Les distributeurs ont globalement boudé les labels jusqu’à maintenant. Là, subitement, quand on le met dans notre plan de filière, tout le monde veut faire du Label Rouge. Ils veulent en faire tout de suite, avant même que nous ayons eu le temps d’intégrer toute la mécanique de coûts de production dans les contrats. Je rajouterais qu’aujourd’hui la FCD, la fédération des distributeurs, les familles de l’abattage et de la transformation, se sont engagées, elles ont signé le plan de filière viande bovine. La signature d’un plan de filière ce n’est pas rien, ça a une valeur. Nous sommes tous membre d’une interprofession, nous avons signé un document commun, il faut le respecter. Vouloir faire les choses trop vite, dans un délai très court, viendrait mettre à mal toutes nos ambitions. Nous comprenons très bien le petit jeu qu’il y a derrière ; proposer tout de suite du Label Rouge dans les rayons sans garantir la bonne rémunération du producteur. Les distributeurs veulent rester sur les principes actuels en ajoutant juste l’étiquette Label Rouge sur les barquettes.
Le travail qui a été engagé par Fil Rouge et dans le cadre du plan de filière est sur le point d’aboutir. Mais sur le point d’aboutir, ce n’est pas la semaine prochaine, c’est se donner encore trois, quatre, six mois pour bâtir quelque chose qui va durer dans le temps.
P.C : Oui nous aimons notre métier, mais oui nous voulons en vivre ! Avec Bruno, nous demandons un peu de patiente à nos organismes de défense de gestion (ODG) et à nos éleveurs, pour que nous ayons le temps de mettre en place le dispositif attendu. Il s’agit de l’outil qui va nous permettre de construire le prix du label en partant des coûts de production. Bien sûr que nous sommes pressés d’avancer, que nous avons besoin de prendre cette vague, mais il faut la prendre dans les bonnes dispositions. Pour que demain matin, la réponse à toutes les attentes des consommateurs soit vraiment au rendez-vous. Et le rendez-vous c’est la bonne construction du prix, avec la bonne contractualisation. Je suis un optimiste et je pense qu’avec les EGA les astres sont alignés pour y arriver, il faut nous laisser le temps d’aboutir !
Qu’avez-vous à dire aux éleveurs qui sont tentés de répondre aux demandes des distributeurs ?
B.D : Oui, pour un éleveur en difficulté cela peut être alléchant un label rouge à plus 20 centimes, c’est toujours mieux que rien. Mais aujourd’hui la cotation nous ne la tenons pas, demain elle peut baisser encore de 20-30 centimes, et cette plus-value aura été mangée. Ne répondons pas aux sirènes de la distribution qui veut faire croire qu’avec 20 centimes de plus elle va sortir tout le monde de la panade. Les EGA sont arrivés car nous avons toujours travaillé comme ça avec ces gens-là ; ils sont toujours arrivés à nous faire espérer un prix, pour nous payer bien moins cher l’année d’après. Nous voulons dire aux éleveurs et aux ODG qu’il faut être patient et travailler pour plus de pérennité. Il y a de beaux discours de façade de la distribution et il y a des pratiques beaucoup moins belles. Nous n’avons même pas commencé les groupes de travail sur le plan de filière que déjà certains sont en train de prendre les travers pour contourner tout ce qui peut être bâti de durable. C’est terrible de voir ça.
P.C : Le plan il doit conduire à la juste rémunération de tous les acteurs de la filière. Il n’est pas question d’aller déshabiller Pierre pour habiller Paul. S’il y a des signes qui garantissent au consommateur la véracité de tout ce qui est avancé se sont les SIQO, car ils sont certifiés et contrôlés par les organismes d’État. C’est une spécificité française et il faut en être fier.

Avez-vous alerté le Gouvernement sur vos inquiétudes ?
B.D : La FNB a alerté Stéphane Travert sur ce sujet lors du Salon de l’Agriculture. Nous avions déjà eu des rencontres avec les distributeurs pour discuter de cette volonté de la distribution d’aller plus vite que la musique. Il y avait déjà eu une alerte sur les négociations commerciales. Là, en ce qui nous concerne, il y a une alerte sur leur comportement vis-à-vis du label. Les distributeurs veulent tirer les filières vers le bas et empêcher tout bouleversement. Je suis conscient que notre ministre s’en rend compte et qu’il saura en tirer les bonnes conclusions, notamment au travers du projet de loi. Cette attitude des distributeurs renforce l’idée que s’il n’y a pas un projet de loi fort, qui encadre l’ambition des EGA, les négociations futures vont être plus que difficiles et tendues.
P.C : Pour l’heure, je ne doute pas de la détermination du Gouvernement d’accompagner la montée en gamme et le développement des labels. Pour dire cela, je m’appuie sur la volonté du Gouvernement de sécuriser l’aide au veau sous la mère. Il s’est mobilisé pour la sécuriser, alors qu’elle était mise en péril au niveau européen et cela traduit leur volonté de nous accompagner.

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