Ruralitic à l’ère du Smart village
L’université d’été des territoires ruraux prône l’essor de « villages intelligents » ou « Smart villages » qui font du numérique un levier pour construire un autre modèle de développement.
Il y a douze ans, Serge Pilicer lançait ce pari un peu fou d’universités d’été du numérique et des territoires ruraux dans le Cantal avec l’appui du Conseil général. Au cours de cette décennie, quels ont été les apports de cette manifestation ?
Sébastien Côte, commissaire général : Il faut se replacer dans le contexte de l’époque où on venait, en 2005, de passer à un cheveu d’une véritable fracture numérique. Juste après, on a obtenu le droit pour les collectivités d’être « opérateurs », ce qui a donné ensuite les Réseaux d’initiative publics, les Rip, et le premier plan Haut débit. Les opérateurs privés, à l’époque, ne voulaient pas aller dans le rural, parce que le ratio financier n’était pas bon, et préféraient se concentrer dans les zones denses, les métropoles. Dans les zones AM2i, celles des villes moyennes, Orange et SFR se sont mis d’accord pour couvrir respectivement 80 % et 20 % de ces territoires en fibre. Restait tout le reste, le rural et le montagnard. Grâce aux Rip, avec un tiers d’investissement des collectivités, un tiers de l’État et un tiers pour l’opérateur, le rural est redevenu intéressant.
La fracture se résorbe...
Il y a deux, trois ans, les opérateurs se sont aussi aperçus que les gens signaient plus facilement pour la fibre dans les territoires ruraux qu’en zone urbaine. Quand on est à Bordeaux et qu’on a déjà 8 Mbits, on est moins sensible à l’arrivée de la fibre qu’en rural où, à certains endroits, on plafonne à 512 kbits. Dans ce cas, même pour 5, ou 10 euros de plus, on saute dessus. Le taux de transformation est bien meilleur dans ces zones. D’ailleurs, SFR et Bouygues ont affiché leur intention de développer leur propre réseau de fibre optique sans compter sur les fonds publics du plan THD. Au final, on peut dire que les Rip ont permis d’éviter la fracture numérique dans un certain nombre de territoires, de l’autre, que ça ne va pas assez vite. Ceci dit, l’accélération du plan THD, voulue par le nouveau gouvernement – qui souhaite l’achever en 2020 (et non 2022) – peut contribuer à un rééquilibrage profond de la carte de France.
Ce qui explique que dans un récent sondage de l’Ifop, un tiers des habitants des communes rurales affichent une attente pressante sur le déploiement du très haut débit...
Les plans Haut puis Très haut débit ont permis de favoriser une certaine mise à niveau des espaces ruraux mais avec 10,8 Mbits de débit moyen constaté, la France accuse encore du retard sur ses voisins européens (24e sur 28) qui progressent plus vite comme l’Espagne, l’Italie.
Pourquoi ce décalage ?
Du fait d’un retard à l’allumage, du temps de calage de l’ensemble des déploiements mais aussi du climat concurrentiel. En France, on a un quadripôle qui, parfois, a un peu fonctionné comme un trust. Il y a aussi le calendrier lié aux aides de l’Europe : la Commission a, dans un premier temps, retoqué le plan français, d’où un délai d’un an et demi pour la libération des soutiens européens qui alimentent ce même plan.
Concrètement, combien de foyers français ont aujourd’hui accès au très haut débit ?
Environ 20-25 %. Et c’est le même ratio pour les territoires ruraux même s’il ne s’agit pas toujours de fibre. La fracture est donc progressivement en train de se résorber même si, comme toute fracture, cela se fait un peu dans la douleur. Concrètement, le taux de réalisation1 du plan France THD est aujourd’hui de 52 % en zones rurales contre 13 % en zone AM2i. Bien sûr, au sein d’un même territoire, il peut y avoir des secteurs avec 60 Mbits (descendants), comme chez moi à Châtel-Montagne dans l’Allier, et un peu plus loin, rien. Mais c’est en train de se corriger.
Une filière industrielle d’avenir
On a présenté le numérique et le THD comme vecteurs de nouvelles retombées économiques et d’emplois. Est-ce le cas ?
Oui, une véritable filière industrielle s’est constituée autour des Rip et du déploiement du très haut débit, structurée au sein de la Fédération des industries des réseaux d’initiative publique (Firip), représentant 9 000 emplois directs dans les divers métiers de la chaîne de valeur des Rip. Une filière qui recrute fortement. Et aujour-d’hui, le modèle des Rip français est considéré en Europe comme un deal intelligent, un savoir-faire intéressant à déployer ailleurs.
Vous faites la part belle depuis deux ans au mouvement des Smart villages ou « villages intelligents ». C’est quoi un village intelligent ?
C’est un territoire qui va tirer parti du numérique, entre autres atouts, pour devenir un territoire capable de relocaliser de la richesse et conserver sa population, de construire son propre développement avec une participation active des habitants. C’est un territoire qui sait croiser les atouts de la petite échelle avec des services aux populations performants et modernes, qui développe une sorte de réseau local pour raccourcir la distance entre valeur ajoutée et valeur réalisée. Pour reprendre l’expression d’un participant : « On ne fait pas des autoroutes de l’information pour y faire rouler des grosses limousines américaines ». Aujourd’hui, plus de 750 initiatives ont été recensées et parmi les nouveautés de Ruralitic 2017, nous aurons une exposition réunissant les applications majeures pour devenir un smart village.
Chaque année vous arrivez à faire venir quelque 600 élus et techniciens de collectivités à Aurillac. C’est un sacré exploit...
Oui, et en même temps un échec monumental si on considère qu’il y a 550 000 élus en France ! Les élus ne sont pas encore assez là dedans alors qu’Internet amène à repenser entièrement la pratique démocratique. Il y a certes une nouvelle génération d’élus qui arrive très progressivement, mais on dit qu’en général il faut une génération, c’est à dire 20 ans, pour faire bouger les mentalités.
1. En nombre de prises installées.