Rencontre agricole sur fond de crise
Après l’annonce de la venue du Président de la République en Creuse le vendredi 16 septembre, la FDSEA, JA et la Chambre d’agriculture ont œuvré pour obtenir un entretien. À défaut de rencontrer le Président, les syndicats agricoles et la Chambre d’agriculture ont obtenu une longue entrevue avec son conseiller agricole, Mathias Ginet.
Pendant plus de deux heures, les représentants agricoles ont exposé les problématiques spécifiques du territoire creusois et le conseiller présidentiel s’est attaché à y apporter des réponses, prenant note des points de blocages particuliers et indiquant les pistes sur lesquelles le Gouvernement travaille.
Après une rapide présentation de l’agriculture creusoise, Jean-Marie Colon, vice-président de la Chambre d’agriculture, a brossé dans les grandes lignes les difficultés du moment : « 2022 a été clairement marquée par le changement climatique : gel au printemps, grêle en juin, sécheresse et canicule tout l’été. Là-dessus est venue s’ajouter une hausse des charges colossale que la loi Egalim 2 ne compense pas. »
Christian Arvis, président de la FDSEA, a approfondi ces points : « Nous avons de plus en plus de mal à être autonome en alimentation, chaque année il y a une nouvelle crise qui vient s’ajouter aux autres. Certes, il y a une hausse des cours pour notre production, mais elle ne compense pas la hausse du coût de production, il manque toujours 80 centimes. » Et de s’en prendre aux attaques récurrentes des anti-viande : « On ne peut plus vivre en se faisant traiter de pollueur ou d’assassin, on veut juste vivre de notre métier, les jeunes ne s’installeront pas s’il n’y a pas de rémunération »
Michael Magnier, représentant Jeunes Agriculteurs, a enchaîné sur ce problème d’installation : le foncier est un des dossiers chauds : « Je n’ai rien contre les installations en maraîchage, mais elles ne peuvent pas s’établir partout, et l’embroussaillement nous guette. » La rémunération est le nerf de la guerre : « sans visibilité, les jeunes ne s’installeront pas, il faut faire que l’argent redescende aux agriculteurs ». Le Modef a largement appuyé ces constats : « Les enfants d’agriculteurs prennent la poudre d’escampette, ils ne sont pas fous, ils sont bien placés pour voir ce qu’il se passe depuis 20 ans. »
Les autres syndicats présents ont appuyé dans le même sens pour demander une rémunération digne : « Les cours montent, oui, mais par la loi de l’offre et de la demande comme il en a toujours été, pas grâce à la loi Egalim. Et les retombées en cours de ferme restent insuffisantes. »
Muni de ces constats de terrain, Mathias Ginet a tâché d’apporter des réponses les plus concrètes possibles. « Sur l’économie d’abord, les négociations commerciales du début de l’année ont abouti pour la première fois depuis des années à une hausse des prix sur les produits alimentaires, et c’était avant la guerre en Ukraine. Avec la construction du prix en marche avant c’est au fournisseur d’imposer ses hausses de charge, mais ça doit commencer par une contractualisation au premier maillon de la chaîne, c’est à vous, producteurs, de faire les premiers contrats. » Les syndicats sont bien d’accord, mais la théorie et la pratique sont deux choses bien différentes : « Nous avons en face de nous des grosses machines, Bigard, Lactalis, ils n’hésitent pas à nous faire comprendre qu’ils peuvent s’approvisionner ailleurs. Même les coopératives ont du mal à faire aboutir leurs contrats. »
Sur l’installation, M. Ginet a expliqué le travail effectué actuellement par le ministère de l’Agriculture : il s’agit d’abord d’attirer plus de jeunes dans les lycées, de proposer plus de stages d’observation. Une fois captés, ces jeunes doivent être mieux formés. « On ne leur enseigne rien du tout sur la Politique Agricole Commune, alors que celle-ci représente 150 % du revenu des agriculteurs ! » a souligné Christian Arvis. « En effet, lui a répondu M. Ginet, c’est une des raisons qui font que l’on va faire appel à des experts associés en complément des enseignants. » Ces intervenants extérieurs viendraient compléter et spécialiser l’enseignement, tout en palliant le manque de professeurs. Ensuite le ministère travaille à un pacte cédant/reprenant, avec une mise en relation entre futurs agriculteurs et futurs retraités via un guichet unique et une reprise de l’exploitation progressive. « Mais c’est le Point Accueil Installation et le Répertoire Départ Installation que vous nous décrivez là, vous réinventez l’eau chaude ! » s’emporte Michael Magnier. « C’est bien que vous ayez déjà ça, mais d’autres départements sont bien moins avancés que vous sur ce point, avec des guichets multiples disséminés entre chambre d’agriculture et syndicats » a expliqué M. Ginet. Sur l’axe foncier enfin, le ministère souhaite renforcer le portage en étalant la charge dans le temps, un travail qui se fait avec la Safer et la Banque des territoires.
Un gros dossier eau
Joel Bialoux, représentant la Chambre d’agriculture, a expliqué la situation creusoise vis à vis de l’eau. Le département subit presque chaque année une nouvelle sécheresse et les chances d’obtenir une indemnisation en CNGRA s’amenuisent. « Dans un premier temps, nous devons absolument être reconnus en calamité sécheresse, rapidement et de façon conséquente, avant que les exploitations ne disparaissent. » Un dossier est en cours de constitution, mais les estimations de pertes varient fortement entre les photos (Isop et Airbus) qui indiquent moins de 25 % de pertes et les mesures de terrain qui évaluent ces mêmes pertes entre 35 et 50 %. La crainte des professionnels est que les photos soient faites dans des périodes encore vertes ou déjà reverdies, et surtout que ces photos soient la seule base de travail du CNGRA, au détriment des mesures de terrain. Le conseiller agriculture du Président de la République a admis ne pas avoir reçu les dernières photos, mais les premiers CNGRA pourraient avoir lieu en urgence dès le mois d’octobre pour les départements les plus impactés par la sécheresse. Sur ces dossiers, des acomptes de 50 % seraient versés moins d’un mois après la validation.
Sur la gestion de l’eau, M. Bialoux a indiqué qu’elle est essentielle dans la notion de souveraineté alimentaire : « Il faut remettre la production au centre de la gestion de l’eau. Il n’y a pas de bassines en Creuse, mais il n’y a pas de nappe phréatique non plus. Il va falloir des retenues pour sécuriser la production, créer des étangs, en réhabiliter d’autres et arrêter de détruire l’existant, ou à la marge. L’eau qui tombe ici part directement à l’Atlantique, nous devons la retenir. » Un multiusage de ces stockages est possible, notamment pour les pompiers ou l’eau courante. L’agriculture est capable de s’adapter, elle l’a toujours fait, mais bien souvent c’est l’administration qui bloque, il faudrait relever les seuils de déclaration et d’autorisation. M. Ginet est assez d’accord : le multiusage est une piste sérieusement étudiée, ainsi que les réhabilitations. Le décret sur la réutilisation des eaux usées devrait être publié à la fin de l’année, il permettra de limiter la pression sur les réseaux d’eau potable. Quant à la création de retenues, il considère que si localement tout le monde est d’accord, il faut y aller, sans tenir compte des pressions d’organismes extérieurs.
Sur la réforme de la gestion des risques, le conseiller s’en est tenu aux annonces présidentielles de la semaine précédente : l’enveloppe est de 600 millions d’euros, rallongeable de 80 millions. Cette enveloppe est calculée sur la moyenne des indemnisations des 10 dernières années.
Concernant l’assurance, la cotisation sera subventionnée par l’État à hauteur de 70 %. La franchise s’établit à 20 %, l’assurance prendra en charge jusqu’à 30 % et l’État complètera jusqu’à 90 %.
Avant de conclure la réunion, Séverine Bry, Secrétaire Générale de la FDSEA a attiré l’attention de M. Ginet sur le mal-être en agriculture. Un éclairage particulier a été apporté sur le mal-être paysan : entre revenus en berne et attaques récurrentes, les agriculteurs font partie des professions qui se suicident le plus. Les cellules d’écoute fonctionnent bien, « trop bien » selon Pascale Gilli-Dunoyer, directrice adjointe de la DDT. Un travail est en cours pour renforcer ces cellules d’écoute, afin que les répondants soient mieux formés et puissent mieux gérer la pression qu’ils subissent eux aussi.
En sortie de réunion, les syndicats se sont dits satisfaits de l’oreille attentive qu’ils ont eue. « Ce monsieur savait de quoi on lui parlait. À quelques détails près, il connaissait ses dossiers et comprenait notre situation. Mais le constat est toujours le même, jamais de réponses concrètes efficaces » récapitule Christian Arvis.
Une visite sous le signe de la culture
Le déplacement d’Emmanuel Macron en Creuse avait pour cadre les Journées européennes du patrimoine. Il est venu avec Stéphane Bern et la ministre de la Culture afin de remettre un chèque de 500 000 euros issus du loto du patrimoine pour la rénovation du «Petit Théatre» de Guéret. Il a terminé la journée à Aubusson où il a participé à la tombée de métier de la 13e tenture du cycle Tolkien : « Conversation with Smaug »