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"Quand on a vécu une attaque et qu'on aime ses animaux, on les protège, coûte que coûte"

Après deux attaques, les 26 mai et 13 juin 2022, les associés du Gaec du Mont Mouchet à La Besseyre-Saint-Mary, ont encore du mal à se remettre, et ont dû revoir toute la conduite de leur troupeau. Témoignage.

Pour reconstruire leur troupeau après les attaques du loup, les frères Raspail ont pu compter sur l'aide de leur technicien Medhi Viallet de l'APIV.
Pour reconstruire leur troupeau après les attaques du loup, les frères Raspail ont pu compter sur l'aide de leur technicien Medhi Viallet de l'APIV.
© © HLP

Presque 2 ans après deux attaques sur leur troupeau de brebis, le spectre du loup rode toujours au Gaec du Mont Mouchet à La Besseyre Saint Mary au cœur de la Margeride. Ludovic et Thierry Raspail, les associés, et leur famille en sont toujours à compter les dégâts collatéraux de ce carnage, et continuent à vivre dans la hantise d'une nouvelle attaque.
Les deux frères installés en 1989 pour Thierry puis en 1995 pour Ludovic, sur l'exploitation familiale, élèvent 400 brebis BMC (Blanche du Massif Central), 35 vaches laitières, et possèdent un poulailler en intégration avec les Fermiers de l'Ardèche (poulets et chapons) depuis 1999. Ils exploitent 140 ha dont 6 ha de céréales, le reste étant de l'herbe en prairies naturelles ou temporaires. Bref une exploitation moyenne typique de ce secteur du département.Confrontés à la présence du loup sur ces terres altiligériennes, aux confins de la Lozère et du Cantal, les Raspail ont connu au printemps 2022 une tragédie sur leur ferme, dont ils ont aujourd'hui encore bien du mal à se remettre.
 

2 attaques en 2 semaines


Ludovic raconte : " C'était le 25 mai 2022. Un lot de 85 brebis était parqué à environ 1 km du village, jour et nuit. Tous les matins j'allais les voir, car j'avais un peu d'appréhension : une voisine Stéphanie Chassagnon installée à 5 ou 6 km dans le Cantal avait été prédatée. Ce matin-là, j'ai vu d'entrée que quelque chose n'allait pas. Dans ce parc de 5 ha, y'avait des brebis de partout, divisées en plusieurs lots. Des brebis éventrées, entre la vie et la mort, d'autres coincées contre la grille… L'horreur. Résultat : 16 brebis mortes ou euthanasiées, 18 blessées. Tout le troupeau apeuré. Échographiées le 16 mai, elles étaient toutes pleines ; 13 ont avorté dans les 15 jours qui ont suivi l'attaque. J'ai voulu sauver des brebis blessées, car je suis éleveur et ça fait mal de voir ses bêtes euthanasiées… mais au final, ce fut peut-être une erreur".
L'éleveur a de suite appelé la gendarmerie puis l'OFB (Office français pour la biodiversité) pour venir constater et faire les analyses nécessaires pour déterminer si le loup est responsable. 10 jours plus tard, l'administration a rendu son verdict : loup non exclu. Ludovic Raspail ne comprend pas l'attitude de l'OFB qui lui demandait de ne pas toucher aux animaux, de les bâcher et d'attendre. Face à l'inertie des agents de l'OFB, il a dû prendre les choses en main. "Je ne pouvais pas rester sans rien faire et regarder souffrir mes brebis ; c'est moi qui ai pris le scalpel d'un agent de l'OFB pour tuer une brebis éventrée". Une expérience traumatisante pour ces éleveurs, comme pour Medhi Viallet technicien à l'APIV qui a accompagné les frères Raspail, comme leur voisine, dans ces moments difficiles. Le troupeau est ensuite rentré en bergerie pour y rester tout l'été.
13 juin, deuxième attaque, sur un lot de 200 brebis parquées non loin de l'exploitation. 13 sont mortes ou euthanasiées, 11 blessées et soignées. Échographiées quelques jours plus tard, 68 brebis étaient vides sur un total de 131 ; l'élevage affiche d'ordinaire un taux de 85% de fertilité. L'attaque ayant eu lieu sur une parcelle du département voisin, c'est l'OFB de Mende qui est intervenue. Même scénario que le 26 mai, mêmes gestes sur les brebis blessées et apeurées, et un traumatisme exacerbé par la répétition. Les éleveurs sont dévastés
.Ludovic et Thierry tiennent à remercier ceux qui les ont soutenus dans cette épreuve, et de citer Medhi de l'APIV, qui "a été très présent, et l'est encore", deux autres éleveurs prédatés : leur voisine Stéphanie Chassagnon et Jérôme Ambert de St Jean-de-Nay, la FDSEA et JA pour lesquels Claude Font et Pierre-Baptiste Ollier se sont déplacés, et la DDT qui a été réactive.
 

Se protéger


On entre alors dans le processus de déclaration et d'indemnisation. La zone est en cercle 2, les brebis mortes sont indemnisées à 200 €, les factures vétérinaires sont prises en charge, et une indemnisation pour pertes indirectes est versée : 260 € pour le troupeau de 200 brebis et 100 € pour les 84 premières concernées. Soit une indemnisation totale de 3 260 € payés le 11 novembre 2022 et 3 600 € un peu plus tard pour la seconde attaque.Pour éviter toute récidive -même si pour les éleveurs elle est loin d'être exclue- l'éleveur explique : "Nous avons regroupé le troupeau et posé des filets électrifiés. La DDT nous a fourni les piquets et 8 filets d'1,05 m de hauteur à installer en double clôture. Nous avons fait 3 parcs pour limiter le travail ; pour la mise en place d'un parc, il faut compter 1 heure de travail au moins. On ne peut pas l'installer n'importe où en fonction du terrain. Et pour faire rentrer les brebis dans ce parc de nuit, il faut être 2 et ça prend bien 1 heure. Au début c'est très difficile, les bêtes sont apeurées. Au bout de 15 jours, c'est plus facile". Les éleveurs ont racheté d'autres filets (spécial loup) de 1,45 m (à 200 € pris en charge à 80% dans le cadre du Plan Loup) car c'est du matériel fragile qu'il faut renouveler régulièrement. "C'est du travail en plus, de l'argent à débourser, mais quand on a vécu une attaque et qu'on aime ses animaux, on les protège, coûte que coûte" souligne Ludovic Raspail avec amertume.
 

"On fait l'inverse de la logique"


Pour les Raspail, c'est toute l'organisation de leur élevage qui est remise en cause : "on fait l'inverse de la logique". En effet, l'été, les animaux pâturent à la fraîche normalement, et avec le parc elles ne peuvent plus. Pour optimiser la consommation d'herbe en quantité et en qualité, les exploitants faisaient des lots de 50 à 70 brebis qui tournaient assez rapidement. Aujourd'hui, la gestion de l'herbe n'est plus optimisée et l'exploitation a perdu en autonomie.Pour reconstruire leur troupeau, les associés du Gaec du Mont Mouchet ont activé plusieurs leviers. Ils ont réformé des brebis (60) plus tôt, des improductives ; ils ont acheté des brebis prêtes à agneler (69) pour remplacer les brebis mortes et des réformes ; ils ont gardé quelques agnelles en plus pour le renouvellement…
Tout cela a engendré des coûts supplémentaires (achats, protocole de vaccination à l'entrée des animaux…), des pertes importantes de productivité : "en 2022, il a manqué 150 agneaux soit une productivité de 0,7, et en 2023, 100 agneaux en moins pour une productivité de 1,0, alors que l'exploitation affichait en 2021, 1,3 agneaux vendus par brebis et par an" résume Ludovic.Pour compléter le tableau, Medhi Viallet ajoute que le Gaec a connu de gros problèmes de fertilité avec "des brebis qui ont loupé 2 ou 3 tour ; 25 ont loupé 4 tours ; des brebis jeunes en plus. Ce qui a conduit à des décalages importants ; certaines brebis viennent tout juste d'agneler pour la première fois depuis l'attaque, soit 18 mois de retard. Cet élevage était jusqu'alors conduit en monte naturelle. Pour limiter un peu les dégâts, nous avons introduit la synchronisation des chaleurs avec pose d'éponges pour des agnelages en contre saison. Tout cela a un coût". Et Ludovic Raspail ajoute que "c'est toute la conduite du troupeau qui a été revue".
 

40 000 €


Si on fait un calcul rapide, on arrive à un coût de l'ordre de plus de 40 000 € de frais divers pour soigner les animaux, reconstituer le troupeau, retrouver un équilibre en termes de productivité et de plus protéger pour éviter une nouvelle attaque. Rappelons que l'indemnisation globale touchée par les éleveurs est de 6 800 €…
Outre l'impact technico-économique sur le troupeau, l'incidence psychologique sur les éleveurs et leur entourage est considérable. "Quand ça nous arrive, on reste impuissant et c'est toute la famille qui est impactée" insiste Ludovic Raspail, appuyé par sa mère et son frère Thierry, tous deux également très affectés. "Cette année encore, je ne serai pas serein d'avril à octobre. Je ne suis tranquille qu'une fois les brebis à l'abri dans la bergerie". 
"Le loup, il faudra vivre avec" lancent avec fatalisme les frères Raspail qui invitent leurs voisins éleveurs à protéger leurs troupeaux pour ne pas avoir à vivre un tel traumatisme. "Ils ne se rendent pas compte des conséquences d'une attaque de loup sur un troupeau et sur le moral des éleveurs que nous sommes" insistent-ils. S'ils ont pensé, un moment, à arrêter le métier, Ludovic et Thierry sont résolus à tout faire pour protéger leurs animaux et continuer à élever des moutons dans ce territoire du Gévaudan.
 

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