Projet Accept : La controverse sur l’élevage à la loupe
Durant 3 ans, l’Ifip-Institut du porc, a conduit un projet pour « comprendre et agir » face à la controverse sur l’élevage. L’enjeu est, pour la filière, de renouer la confiance entre éleveurs et consommateurs, alors que la légitimité de l’élevage et de ses modèles est remise en cause.
Les résultats du projet Accept, une étude menée entre 2014 et 2017, pilotée par l’IFIP-Institut du porc et financée par le fonds Casdar, ont été présentés lors d’un colloque le 5 avril. Le projet a pour but d’étudier les controverses sociétales qui agitent le monde de l’élevage et de permettre ainsi aux éleveurs de s’adapter. La journée a été l’occasion pour des scientifiques, mais aussi des responsables de filières et associatifs, de débattre. « La question de l’intégration de l’élevage dans la société est la question de base, elle dépasse les éleveurs et concerne tous les acteurs de la chaîne », estime Joël Merceron, le directeur général de l’Idele. Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, déplore « le fossé qui s’est établit entre l’élevage et sa perception par la société » et dénonce le « mal-être des éleveurs qui sont accusés par des mots forts et violents ». « Le bien-être de l’animal et de l’humain sont liés, quand un éleveur va bien, son élevage va bien et l’inverse est aussi vrai », assure Bruno Faucheron, président du Comité régional de l’élevage Grand-Est et en charge du Bien-être animal à la commission élevage de l’APCA. Selon les résultats du projet Accept, la controverse confronte aujourd’hui deux mondes : d’un côté le monde associatif, de l’autre celui de l’élevage. Ils s’affrontent pour convaincre les consommateurs et citoyens, les industriels et distributeurs, ainsi que les décideurs politiques, en faisant appel aux scientifiques et ce à travers les médias.
La préparation des projets est capitale
La controverse touche différents champs de l’élevage. L’étude a identifié quatre registres d’incertitudes : l’impact sur l’environnement, le bien être animal, l’impact sanitaire, et les modèles d’élevages. « Le système intensif concentre les inquiétudes », précise Elsa Delanoue, sociologue. « Les citoyens sont attachés au plein air, à la naturalité et à la tradition », explique-t-elle. L’émergence de conflits dépend aussi du type de filière, comme le montre une étude menée dans le cadre du projet sur les « déterminants et enjeux de la perception sociale locale des élevages ». Au niveau local, les préoccupations des citoyens sont par exemple davantage environnementales lorsqu’un projet d’élevage porcin est mené, même en cas de projet alternatif, tandis que les projets d’élevages bovins font davantage émerger des conflits autour de la question foncière. L’acceptabilité dépend aussi énormément de la capacité de l’éleveur à rassurer ses concitoyens. Pour Marie-Laurence Grannec, qui a participé au projet pour la Chambre d’Agriculture de Bretagne, l’insertion sociale est essentielle. Sur les cas de projets étudiés les éleveurs « qui ont réussi à éviter le conflit avaient une bonne image, ceux en conflit n’en avaient pas ou une mauvaise ». Cela dépend aussi de la préparation du projet. Les éleveurs ne s’attendent pas forcément à rencontrer de résistance et voir le bien-fondé de leur projet remis en cause, dans la mesure où celui-ci est conforme à la réglementation. « On voit que les éleveurs qui ont des projets alternatifs ou d’agriculture biologique se posent encore moins de questionnements », détaille Marie-Laurence Grannec. Or répondre par la réglementation aux inquiétudes n’a que peu d’effet. « Les gens se méfient, ils se posent la question de savoir si l’agriculteur respecte vraiment la réglementation, et de plus, parfois estiment que celle-ci n’est pas assez forte », explique la sociologue Elsa Delanoue.
Les français toujours attachés à la viande
L’une des tâches essentielles pour l’élevage, s’il veut enrayer les polémiques, est donc de rétablir la confiance avec les citoyens-consommateurs, et d’informer. Selon un sondage Ifop réalisé en France dans le cadre du projet, 57 % des sondés déclarent mal connaître la façon dont les animaux sont élevés, même si les deux tiers s’intéressent aux problématiques de l’élevage. Cependant, une petite majorité se déclare insatisfaite de l’impact environnemental de l’élevage, et près des deux tiers du bien-être animal. Les français restent toutefois attachés à la consommation de viande, seul 2 % sont végétariens ou végans, mais 32 % envisagent de diminuer ou cesser leur consommation. « Lorsqu’une controverse se déploie, elle envahit l’espace public, mais la transformation est longue », explique la sociologue de l’Université Rennes 2, Véronique Van Tilbeurgh. Pour l’avenir, le projet Accept a établi cinq scénarios prospectifs. Le dérèglement climatique et la pression démographique pourraient, par exemple, remettre la production au centre des priorités et encourager les modèles intensifs. Un dialogue plus structuré entre les acteurs de la filière et de la société, pourrait aussi permettre de maintenir une diversité de modèles d’élevages socialement acceptés. Ou bien encore, la pensée végane pourrait devenir majoritaire et marginaliser la consommation de viande.
Si vous construisez un bâtiment neuf, faites celui d’après-demain
L’enjeu pour les éleveurs est donc de savoir communiquer sur les bonnes pratiques qui sont déjà en place, mais aussi d’en trouver de nouvelles. Les labels, peuvent, par exemple, être un élément rassurant. Un meilleur étiquetage aussi, source de transparence, est plébiscité par 96 % des sondés, selon le sondage Ifop. L’avènement de l’un ou l’autre des scénarios imaginés par le projet Accept dépendra en partie de la capacité à transformer les modèles d’élevages, pour combler la demande des consommateurs. La filière œuf, par exemple, doit s’adapter à l’augmentation de la demande d’œufs de poules élevées hors cage. « Aujourd’hui 32 % des œufs sont produits dans un mode alternatif à la cage, mais un œuf acheté sur deux provient de ces systèmes », décrit Maxime Chaumet, secrétaire général du CNPO, l’interprofession de l’œuf. L’objectif de la filière étant davantage l’autosuffisance que la surproduction, elle va devoir trouver les moyens d’accompagner la transition des éleveurs, afin de satisfaire la demande rapidement et ne pas la voir lui échapper. L’investissement et l’anticipation sont donc essentiels. « Si vous construisez un bâtiment neuf, faites celui d’après-demain, écoutez tous les signaux faibles pour qu’il dure 20 ans, sinon on passe sa vie à rattraper le coup », prévient Christiane Lambert, présidente de la FNSEA.
Ndlr : Une vidéo est disponible sur l’acceptabilité de l’élevage à cette adresse : https://bit.ly/2EsNbH3