Prairies : et si on semait local ?
Économiques, écologiques, résistantes... pour le CEN Auvergne, les semences locales cochent toutes les bonnes cases. Une journée leur était dédiée.
Économiques, écologiques, résistantes... pour le CEN Auvergne, les semences locales cochent toutes les bonnes cases. Une journée leur était dédiée.
Au slogan “mangez local”, le CEN Auvergne, Conservatoire des espaces naturels, ajoute celui de “semez local !” en direction des agriculteurs cantaliens et auvergnats. Mardi 25 juin, le conservatoire animait sur une parcelle de Rémi Coudon, au Rozier bas, entre Saint-Santin-de-Maurs et Montmurat, une journée dédiée aux vertus des semences locales(1) pour réimplanter ou sursemer des prairies victimes de sécheresses, des campagnols terrestres ou autre aléa, avec une démonstration de brosseuse à graines à l’appui. “Notre objectif est d’essaimer les références techniques que nous avons acquises à l’échelle de l’Auvergne et au-delà toujours dans un objectif d’autonomie des exploitations et de restauration et préservation des prairies très diversifiées”, affiche Christophe Greze, chargé de mission au CEN Auvergne.
Plus résistantes
Premier argument avancé pour privilégier les semences “auto-produites et auto-récoltées” sur ses propres prairies : leur adaptation génétique aux conditions pédoclimatiques locales contrairement aux semences du commerce souvent germées sur d’autres continents et au lourd bilan carbone d’ailleurs, avance le conservatoire. Cette ressource est de plus gratuite, paramètre tout sauf négligeable, et, quand ces graines sont issues de prairies naturelles diversifiées, elles affichent une très forte diversité d’espèces synonyme de plus grande résistance aux aléas climatiques. “Dans ces prairies naturelles, héritage de pratiques agricoles ancestrales, on trouve 40, 50 voire 60 espèces de plantes différentes, si certaines vont pâtir de la sécheresse, d’autres vont tirer leur épingle du jeu, conférant ainsi une plus forte résilience à la prairie”, expose Christophe Greze. Autre corde à l’arc des graines locales, leur durabilité, sachant que l’objectif du CEN, en promouvant ces semences du cru, est de contribuer à l’autonomie des exploitations.
Récolter au bon stade
Voilà pour les atouts, quid des moyens et techniques pour réaliser cette récolte dans les meilleures conditions ? On en recense trois : la récolte de graines à la brosseuse, à la moissonneuse et le transfert de foin. Mais avant de récolter, il faut s’assurer que le stade de maturité des graines est atteint, en s’appuyant sur les sommes de températures et un cumul de 1 500° publié dans le bulletin Info-prairies de la Chambre d’agriculture. Cette année, ce seuil était franchi une dizaine de jours auparavant sur la parcelle du Rozier bas mais l’humidité persistante du printemps a retardé l’atteinte du stade laiteux-pâteux des graines requis pour la récolte.
Brosseuse en démonstration
Attelée au tracteur, le prototype de brosseuse à graines, mis au point par la section mécanique du lycée agricole de Saint-Chély d’Apcher selon les plans du CEN Auvergne, permet de faire tomber les graines dans un bac. Des expérimentations conduites avec plusieurs éleveurs de l’Est-Cantal dans le cadre d’une opération associant le CEN et Saint-Flour communauté ont affiché un rendement de 45 kg/ha, sachant qu’il en faut 25 pour ressemer un hectare de prairie.”Un hectare récolte permet de réensemencer 2 ha de prairie”, résume le chargé de mission. Une prairie de plus basse altitude, à Maurs, a elle dégagé en 2022 un rendement exceptionnel sept fois plus élevé : 350 kg/ha. Ce jour-là dans la trémie de récolte de la brosseuse, une bonne densité de graines encore mêlées aux tiges, des graminées dominantes typiques des pelouses sèches du Sud-Cantal : brome érigée, flouve odorante, mais aussi des légumineuses, du plantain... La récolte du bac est vidée sur une bâche, triée au râteau, et, une fois le mélange assez propre, il est mis à sécher plusieurs jours, dans un local aéré comme une étable, et non directement au soleil. Pour éviter toute fermentation, l’épaisseur du mélange ne doit pas dépasser 5 cm. Une fois sèches, les graines peuvent être mises en sac et conservées jusqu’à trois ans. La réimplantation de la prairie suppose un travail superficiel du sol : passage de cultivateur ou d’extirpateur par exemple, herse étrille si le couvert est déjà faible. Le recours à la brosseuse est adaptée pour la récolte de surfaces moyennes et de graines de petite taille, elle n’est en revanche pas efficace pour des graines situées à ras de terre. Moissonner ou transférer le foin
Seconde option : la moissonneuse-batteuse, adaptée pour la récolte de grandes surfaces mécanisables, avec deux possibilités, une récolte sur pied directement sur une période bien sèche, ou récolte sur une parcelle fauchée après quelques jours de séchage sur place. Le rendement moyen est de l’ordre de 50 kg avec une certaine variabilité. Il est recommandé de baisser le vent sur la moissonneuse au maximum afin d’éviter la perte de petites graines. Cette méthode est à proscrire lors de pullulations de rats car elle engrange une quantité importante de terre si une fauche la précède. Installé à Saint-Constant-Fournoulès, Rémi Coudon et son père avant lui y ont recours depuis de très nombreuses années. “On moissonne le ray gras, on fait sécher les graines sur une dalle et on ressème à l’automne en utilisant des semences plus adaptées à nos terrains du Sud-Cantal, plus résistantes. Ça ne nous coûte que le temps de moissonneuse et chaque année on économise environ 300 kg de graines, soit environ 1 500 €”, évalue l’éleveur de vaches laitières.
Troisième pratique : le transfert de foin. Le foin récolté (tôt le matin ou bien humide) est mis en bottes ou récolté en autochargeuse et épandu ensuite rapidement à l’épandeur à fumier sur la parcelle à implanter, pour éviter une montée en température des graines. Les avantages de cette technique sont nombreux : elle est rapide, adaptée au sols nus ne disposant pas de banque de graines prairiales (après une céréale par exemple), elle permet en outre d’intervenir dans des conditions météo plus aléatoires. Mais, principal inconvénient : la perte de fourrage.
(1) Journée organisée dans le cadre de l'animation du site Natura 2000 “Vallées et coteaux thermophiles de la région de Maurs”, qui a aussi fait l'objet de MAEC (mesures agroenvironnementales) .