L’urgence de trouver des fourrages, l’importance de sécuriser l’avenir
Si la priorité immédiate des éleveurs est de trouver de quoi nourrir leurs troupeaux pour les semaines et mois à venir, ils veulent s’organiser pour ne plus subir de rupture fourragère.
15 juin - 15 septembre : 90 jours sans une goutte d’eau dans ce déversoir du massif du Lioran qui d’ordinaire réceptionne tous les orages. Et des températures qui ont régulièrement dépassé les 30°C ici à 1 100 m d’altitude. Du jamais vu pour Jean-Marie Chalmette, éleveur depuis 1980 à Saint-Jacques-des-Blats, inquiet pour les jeunes qui vont lui succéder. En écho à ses propos : ses salers en contrebas des parcelles qui bordent la RN122 en sortie du village ont les pieds dans la Cère... à sec sur plusieurs centaines de mètres. Sur ses 40 hectares d’herbe dédiés à la fauche, l’éleveur a fait une croix sur la deuxième coupe et ce sont 200 à 220 ballots de regain qui vont manquer pour nourrir ses 54 vaches cet hiver.
Un “hiver” de... 270 jours
“Des dossiers calamités sécheresse, j’en ai remplis d’autres mais comme cette année, jamais. Cent-cinquante jours d’hiver, on sait faire, 270 on ne sait pas”, explique l’agriculteur cantalien à Joël Limouzin, éleveur vendéen et vice-président de la FNSEA venu, à la veille d’un comité national du FNGRA, Fonds national de gestion des risques en agriculture, mesurer l’ampleur des dégâts à l’invitation de la FDSEA et des JA. Un territoire qui n’a rien d’inconnu pour le Vendéen qui garde en mémoire la détresse générée par un autre fléau, celui des rats taupiers, lui qui, à la tête du FMSE, a donné un précieux coup de main aux responsables cantaliens pour obtenir une indemnisation inédite des pertes de fourrages. Pour les éleveurs du canton réunis autour de Joël Piganiol, comme pour leur référent national, il y a l’urgent et les moyens de s’adapter à ce qui, dans les années à venir, pourrait ne plus rien avoir d’exceptionnel. Et pour Joël Limouzin aucun sujet de doit être tabou. L’urgent, c’est de trouver du fourrage ou de la paille mais cette denrée se fait rare et chère sur un marché biaisé par la spéculation. “J’ai commandé un semi de fourrage avant que les prix flambent à 80 €/t, de l’enrubannage de luzerne et avoine, mais je n’ai jamais été livré”, témoigne Jean-Marie Chalmette. Faute d’avoir pu anticiper une situation que personne ne pouvait présager en juin, les éleveurs en sont réduits à traquer la moindre proposition - sachant que les régions alentours ont été déjà largement ratissées par d’autres - et à se tourner une nouvelle fois vers l’Espagne, un pays qui a pris les devants il y a 20 ans déjà via une politique ambitieuse de stockage de l’eau.
Stocker l’eau pour sécuriser les fourrages
D’où la question de Joël Limouzin : “Est-on capable de préparer l’avenir en faisant, y compris ici, des points de stockage, réserves ou retenues collinaires, de 10, 20, 30 ou 40 000 m3 pour sécuriser du fourrage ?”, a sondé le Vendéen. La réponse fuse dans le groupe : “Oui, c’est ce qu’il faut faire mais aussi s’organiser pour stocker collectivement du fourrage !” D’autant que la Région Auvergne-Rhône-Alpes y est particulièrement favorable et a mis des moyens pour financer des projets, rappelle Joël Piganiol. Seul hic : une réglementation particulièrement tatillonne et une vision idéologique sur ce sujet. Pour preuve, le dernier projet de stockage d’eau réalisé dans le département a abouti au terme d’une instruction de... huit ans, souligne la patron de la FDSEA. Et ce ne sont pas les récentes déclarations du Premier ministre qui laissent ouvertes des perspectives : “Il va falloir tirer les enseignements de la sécheresse, adapter les systèmes agricoles et trouver des consensus sur les territoires pour mieux gérer l’eau, a-t-il déclaré, mais à aucun moment il n’a parlé de créer des réserves nouvelles”, déplore Joël Limouzin. Lui en est convaincu, le stockage d’eau en période hivernale et l’irrigation sont une des solutions : “Grâce à deux retenues collinaires, j’ai pu irriguer jusqu’en septembre et assurer du fourrage”, témoigne l’éleveur des Pays de la Loire. En parallèle, son collègue Joël Piganiol estime que le Sud-Ouest offre des opportunités d’approvisionnement à condition de structurer des partenariats pérennes. “Il se fait des rotations avec de la luzerne qui est laissée sur place, il reste du fourrage sur pied tous les ans car il n’y a plus d’élevage. Il y a des choses à organiser”, insiste-t-il.