Les élus au chevet d’un monde agricole déboussolé
La 28e édition du Sommet de l’Élevage de Clermont-Cournon s’est achevé, vendredi, avec un nombre de visiteurs record au compteur (96 000), parmi eux, de nombreux politiques.
Hormis en année d’élections, de mémoire de visiteurs du Sommet, jamais une édition n’avait été fréquentée par autant d’élus. Les sénateurs, membres de la Commission économique, emmenés par leur présidente Sophie Primas, ont ouvert le bal, mercredi matin. Au diapason des revendications professionnelles, la commission a martelé son opposition à une ratification par la France du traité de libre-échange avec le Canada (Ceta). À quelques jours de l’examen du texte au Sénat, cette position n’est pas dénuée d’intérêt. Le lendemain, à l’issue d’un débat houleux toujours sur le Ceta, qui a cristallisé les revendications syndicales FNSEA-JA autour d’un slogan « n’importons pas l’alimentation que nous ne voulons pas », les députés LaRem Roland Lescure et Jean-Baptiste Moreau ont été sortis par les éleveurs (voir par ailleurs). Quant au ministre de l’Agriculture, il a consacré, la veille, un entretien de près de deux heures aux organisations syndicales, avant de poursuivre sa déambulation jusque tard dans la soirée. Pas d’annonces fracassantes, mais des positions qui rassurent sur certains sujets, et qui inquiètent sur d’autres.
Sur la sécheresse, le ministre a annoncé la mise en œuvre rapide du fond calamité qui « sera abondé autant que nécessaire, potentiellement jusqu’à 300 millions d’euros ». De manière plus structurelle, il souhaite favoriser le développement des retenues collinaires.
Sur la PAC, là-aussi des annonces plutôt réconfortantes en particulier pour le Massif central, avec une attention particulière réservée aux Indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), et une reconnaissance des systèmes herbagers dans le volet environnemental. « Le ministre nous a indiqué œuvrer pour obtenir 15 % d’aides couplées », poursuit Yannick Fialip, secrétaire général de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes.
Sur le CETA, en revanche, pas de quoi s’enthousiasmer. « On reste sur notre faim. On ne peut pas se satisfaire d’un ministre qui nous dit ouvertement que le CETA ça le dépasse et que l’article 44 de la loi alimentation n’est pas un bon article pour la France car trop restrictif ! ».
Enfin sur les États généraux de l’alimentation, si Didier Guillaume a conscience que la loi est loin d’avoir porté ses fruits auprès des producteurs, force est de constater que ses marges de manœuvre semblent étroites. Pour lui, les prochaines négociations commerciales de début 2020 seront déterminantes. « Si cela ne marche pas, il faudra revoir le dispositif ».
Les députés pro Ceta chassés du Sommet
Coup de chaud, jeudi en fin de matinée au Sommet de l’Élevage. À l’issue d’un débat houleux sur le Ceta, les députés Roland Lescure et Jean-Baptiste Moreau ont été sortis par les éleveurs.
Sur le papier, le débat s’annonçait plus qu’alléchant : Refaire le match du vote du Ceta de cet été en réunissant André Chassaigne, député Front de Gauche de la montagne thiernoise, Roland Lescure, député LaRem (français établis hors de France) et président de la Commission économique de l’Assemblée nationale, Jean-Yves Bony, député cantalien Les Républicains, François Ruffin, député de la Somme France Insoumise, Jean-Baptiste Moreau, député LaRem de la Creuse, Valérie Imbert, éleveuse dans l’Aveyron et Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine (FNB). Jeudi, le moment a dépassé tous les pronostics tant par la teneur des propos que par son issue : Une sortie manu militari des députés Moreau et Lescure de l’enceinte du Sommet par une centaine d’éleveurs du réseau FNSEA-JA-FNB, scandant des « les leçons ça suffit », « du balai », « dehors Moreau », « vous ne méritez pas d’aller dans le salon »… En cause, le volte-face de certains députés qui ont voté en faveur de la ratification par la France du Ceta, alors que quelques semaines auparavant, ils avaient dans le cadre de la loi alimentation voté un article (44), qui prévoit que les produits ne respectant pas les normes européennes ne puissent entrer sur le territoire français.
« Trahison = expulsion »
Dire que les éleveurs ont vécu cet épisode comme une trahison est un euphémisme. « Vous avez voté une loi qui ne respecte pas la première. Je n’ai toujours pas de réponse pour comprendre la cohérence politique », a indiqué Bruno Dufayet, au terme d’une heure de débat. Roland Lescure a souhaité ramener le débat sur le terrain de « l’indispensable adaptation des accords de libre-échange au XXIe siècle », Jean-Baptiste Moreau a tenté de minimiser la portée du Ceta, le qualifiant de « globalement positif ». André Chassaigne s’est dit méfiant : « le globalement positif, pour les pays dit socialistes, on a vu ce que ça à donner ! ». Et d’estimer qu’en votant le CETA, « c’est le fenestron de nos fenêtres qu’on a ouvert. La prochaine fois, ce sont les portes des granges que l’on va ouvrir ! ». François Ruffin, « ne veux pas de cette mondialisation Shadock, où on importe de la viande du Canada, en disant réexporter en Chine. Mais il ne s’agit pas de fermer les frontières à l’entrée et à la sortie. On choisit ce qu’on fait rentrer, et les autres ont leur liberté commerciale pour choisir ce qu’ils veulent faire rentrer ». Tout comme son collègue Chassaigne, il estime qu’avec le vote favorable au CETA, la majorité a ouvert la boîte de Pandore, et « devra en assumer les conséquences ». Première de ces conséquences : une expulsion des députés ayant voté le Ceta du site, au terme d’une heure trente de débat.