Les ambitions d’une filière de retour à la table interprofessionnelle
Vice-président de la Fédération nationale des producteurs de lait, Michel Lacoste décrypte le contenu et les avancées de France, Terre de Lait.
Qu’ont apporté de plus les conclusions des États généraux (EGA) pour la filière laitière déjà intégrée par la loi Sapin 2 ?
S’agissant d’une filière où les contrats étaient en vigueur, la loi Sapin 2 prévoyait déjà un encadrement des promotions, un prix prévisionnel à la production dans le cadre des négociations commerciales entre transformateurs et distributeurs. Les annonces d’Emmanuel Macron en clôture de la première partie des EGA amènent un élément nouveau : le relèvement du seuil de revente à perte – attendu de la grande distribution engagée dans la spirale des prix bas – sous condition de l’élaboration de plans de filière. Cette mise sous condition est un élément moteur pour faire avancer les choses au sein de l’interprofession. Sans cette contrepartie, on n’avait pas d’assurance que cela se traduise par un retour de valeur aux producteurs. Ces plans de filière sont donc une belle occasion de remettre un cadre de répartition de la valeur entre distributeurs, transformateurs et producteurs.
Concrètement, quelles sont les avancées issues du plan de la filière laitière baptisé France, Terre de Lait ?
C’est d’abord incontestablement la volonté des trois familles, dont la Fnil (industriels) et Coop de France (coopératives), de retravailler ensemble dans un cadre interprofessionnel avec plus de transparence. On ne va certes pas revenir dans les années 2000 où l’interprofession – le Cniel – fixait le prix du lait mais ce plan de filière, tel qu’il est écrit, redonne un rôle beaucoup plus fort au Cniel dans le cadrage de la construction du prix du lait.
Comment ?
Via un tableau de bord mensuel qui servira de références communes basées sur des indicateurs de valorisation de l’ensemble des marchés laitiers. À ce jour, on ne disposait que d’un indicateur, bien connu, la valorisation des produits industriels, c’est-à-dire beurre et poudre. On faisait par ailleurs souvent référence aux PGC, les produits de grande consommation (fromages, yaourts...), mais sans avoir un indicateur très clair de suivi de l’évolution du prix de ces PGC. Ce qui sera le cas avec le plan de filière qui prévoit un indicateur de valorisation PGC France (pour chaque segment et catégorie), Export (PGC et ingrédients). Ces indicateurs seront mis à disposition des organisations de producteurs, des entreprises pour négocier le prix ainsi que des coopératives. La filière s’est par ailleurs engagée à construire un guide des bonnes pratiques contractuelles et/ou commerciales entre transformateurs et producteurs d’une part et entre transformateurs et distributeurs d’autre part. L’ensemble de ce travail doit être finalisé sur ce premier semestre 2018.
Cela sera-t-il suffisant pour rebattre les cartes et mieux rémunérer les producteurs ?
Nous avons aussi affiché la volonté d’intégrer la grande distribution à l’interprofession afin de faire en sorte que demain, la revalorisation des produits laitiers sur le marché intérieur – le plus porteur selon nous – se traduise bien par une revalorisation du prix à la production, ce sur quoi nous avons butté ces dernières années. C’est pour cela qu’il faut une réelle transparence dans la chaîne de valeur car la GMS ne passe pas des hausses de prix au consommateur pour enrichir la 116e fortune mondiale1. Bien évidemment, il faut aussi permettre aux transformateurs de s’en sortir. Si ce retour de valeur à la production ne se fait pas, il faudra le dénoncer. C’est pour cela que la conditionnalité du seuil de revente à perte est à nos yeux importante.
Qu’il y a-t-il derrière l’ambition France, Terre de Lait ?
Au cours des derniers mois et depuis la crise de 2015, nous avons eu la volonté de pousser l’origine France et de tracer l’origine des produits laitiers commercialisés. L’idée aujourd’hui est d’aller plus loin en apposant un logo France, Terre de Lait à tous les produits laitiers français respectueux d’un socle de base « standard de haute qualité », via un cahier des charges qui s’appuierait sur la Charte des bonnes pratiques d’élevage (CBPE) dans laquelle 98 % des élevages français sont engagés.
Un simple effet d’affichage ?
Non, l’objectif est bien de faire connaître et de valoriser toutes les bonnes pratiques déjà mises en œuvre par les producteurs français en termes de traçabilité, bien-être animal, environnement... méconnues de la plupart des consommateurs qui sont pourtant demandeurs d’une production « responsable ». Cette démarche de responsabilité sociétale (RS) est fondée sur la quadruple performance de la filière : économique, sanitaire, préservation de l’environnement et respect de l’animal, sociétale. L’objectif est triple : conquérir des parts de marché dans les linéaires français, valoriser les bonnes pratiques des éleveurs et revaloriser le prix du lait via ce marché intérieur. Le troisième volet du plan porte sur la clarification des démarches de segmentation.
Quels sont les enjeux ?
Il s’agit de mettre un cadre interprofessionnel à des démarches comme le « sans OGM », le lait de pâturage en évitant la surenchère de contraintes et en dégageant une valorisation supplémentaire avec, là encore, l’assurance d’un retour au producteur, sur la base d’indicateurs dédiés. Des indicateurs de valorisation spécifiques qui concernent aussi les signes de qualité, dont les AOP, ce qui rejoint complètement la demande de la FDSEA sur les AOP d’Auvergne. Il y a aussi l’ambition d’un plus grand nombre de filières s’engageant dans une démarche de régulation de l’offre. Cela nous concerne directement : réguler la production de fromages AOP de façon à avoir une qualité accrue et assurer un niveau de prix. C’est une volonté partagée au niveau national par l’ensemble des familles, dont Lactalis et Sodiaal, deux opérateurs majeurs de nos filières auvergnates.
Propos recueillis par Patricia Olivieri
1. E. Besnier, PDG de Lactalis.