Interview de Pierre Cuypers, président de l’ADECA*
« Les agriculteurs sont prêts à répondre aux objectifs donnés »
Cela fait très longtemps que l’on parle de la solution biocarburant comme alternative à l’énergie fossile. Où en est le dossier ?

La crise de l'énergie que nous vivons en ce moment est une crise mondiale. Nous le vérifions avec la hausse constante du baril de pétrole : le moindre évènement à l'échelle du monde nous plonge dans une insécurité totale.
La production de biocarburants doit permettre demain de se détacher en partie de cette dépendance au pétrole. L'Europe a pris les devants sur ce dossier en prévoyant l'incorporation de 7% d'énergie biomasse ou biocarburants d'ici 2010
Cette année, alors que le Brésil confisque des terres destinées à l'élevage pour les consacrer à la culture industrielle énergétique, la production mondiale de viande bovine accuse un déficit. A terme, ne craignez-vous pas une concurrence entre les productions à destination alimentaire et non alimentaire ?
P.C : Cette question de concurrence est un des éléments majeurs évoqués par les détracteurs des biocarburants. Je reviens du Brésil, pays où il y a encore 80 à 90 millions d'hectares disponibles sans faire de défrichement. Donc le problème n'est pas là !
L'office oléagineux/protéagineux que je préside a réuni dernièrement une centaine d'experts pour répondre à cet argument. La conclusion est la suivante: il faut consacrer 2,5 % de surface agricole utile en France pour satisfaire les 7 % d'incorporation sur lesquels s'est engagé le gouvernement pour atteindre une indépendance énergétique dans le pays. Et 2,5 % ce n'est rien! Il n'y a donc pas de problème de concurrence. Il reste même 6 à
800 000 ha à mettre en culture pour répondre à la demande.
Le taux de 7 % va-t-il augmenter ?
PC : En mars 2007, les chefs d'Etats ont décidé qu'à l'horizon 2020, 10 % des énergies consommées en Europe pour les transports devront provenir des énergies liquides renouvelables. C'est une décision importante face au président des Etats Unis qui vient d'annoncer sa volonté de multiplier par 35 la production d'éthanol au Brésil afin de ne pas être dépendant du reste du monde en matière d'énergie renouvelable.
Quel est le niveau d'engagement des constructeurs automobiles et des distributeurs de carburants dans le développement des biocarburants ?
P.C : Toutes les politiques publiques qui vont se construire en 2008 sont empreintes de développement durable. Les fabricants automobiles ont envie d'être dans cette mouvance, de proposer et vendre des véhicules propres. Et aujourd'hui, vendre un véhicule propre c'est avoir une énergie propre. Les biocarburants sont un élément intéressant pour eux. C'est un moyen d'innover des moteurs d'une autre génération. Demain il n'y aura plus de pétrole ou alors de plus en plus cher, tout le monde sera concerné par les énergies alternatives, y compris les constructeurs, les distributeurs et les agriculteurs.
A quand la voiture biocarburant de « monsieur tout le monde » ?
P.C : Si la volonté politique communautaire et nationale s'affiche, alors tout est possible ! Mais si des paradoxes et non dits s'installent alors nous risquons de connaître des freins. Or il faut aller vite. Les agriculteurs sont déterminés à répondre aux objectifs donnés mais ils ont besoin pour cela d'un accompagnement de l'Etat et des politiques publiques.
Le Grenelle de l'environnement a-t-il boosté le chantier des biocarburants ?
P.C : Pas du tout ! Le Grenelle a soulevé des polémiques venant de gens qui se disent des scientifiques avertis et qui ne le sont pas. Issus d'ONG, ils ne représentent qu'eux mêmes. Ils attaquent les biocarburants car leurs intérêts sont divergents. Pourtant, la production de carburants agricoles c'est 75 % en moins d'émission de gaz à effet de serre, c'est 4 énergies biocarburant pour 1énergie fossile et ce sont 10 emplois créés pour 1000 tonnes de biocarburants produits. Si nous sommes combattus c'est parce qu'il y a des lobbys forts d'opposition.
Du Grenelle je retiendrai simplement la déclaration du président de la République : « les engagements pris en matière de biocarburants seront tenus».
CV express
Pierre Cuypers est agriculteur en Seine et Marne, « au coeur de la Brie française », sur une exploitation de 245 ha en polyculture-élevage, orientée aujourd'hui vers les cultures industrielles à destination non alimentaire.
Président de la Chambre d'agriculture et de la Fdsea de la Seine et Marne, Pierre Cuypers est aussi vice-président de la filière oléagineuse / protéagineuse et, à ce titre, président de l'Association nationale pour le développement des carburants agricoles (ADECA).
(*) ADECA : Association nationale pour le développement des carburants agricoles