Taxe carbone
Le monde rural s’estime incompris
Les acteurs du monde rural, agriculteurs en tête, jugent que le choix d’une taxe carbone pour lutter contre le réchauffement climatique est inadapté aux réalités de la vie dans les campagnes, et peu incitatif pour réduire les consommations d’énergie fossile.
Après avoir été censuré par les sages du Conseil constitutionnel, fin décembre dernier, au motif qu’il était contraire au principe de l’égalité devant l’impôt, le dispositif de la taxe carbone est retourné sur les bureaux du Gouvernement pour être réécrit, avant un retour devant le Parlement prévu en avril ou mai prochain. Nicolas Sarkozy ne veut pas lâcher sur la création d’une taxe carbone et il l’a promis à son premier promoteur, le militant écologiste Nicolas Hulot, lors du Grenelle de l’environnement. Au cours d’un débat organisé par le Groupe Monde rural (GMR)*, le 23 février, sur l’impact d’une telle taxe en milieu rural, tous ses acteurs – agriculteurs, professionnels de santé, associations, maires, etc. – ont dénoncé une mesure inadaptée aux réalités de la vie rurale, et donc inopérante en matière de changements dans les consommations d’énergie. Ironique, le président agriculteur du GMR, André Thévenot, a rappelé que les décideurs politiques, aujourd’hui, « sont avant tout des urbains »… Malheureusement, des représentants de la Fondation Nicolas Hulot et des ministères de l’écologie et de l’agriculture, invités à ce débat, n’étaient pas présents pour répondre aux habitants des campagnes…
Solutions alternatives
Cette taxe veut inciter les ménages et les entreprises français à limiter leur consommation d’énergies fossiles (pétrole, fioul, gaz) afin d’émettre moins de dioxyde de carbone (CO2), un gaz à effet de serre qui contribue au réchauffement climatique observé par les scientifiques. Son rendement pour l’Etat est estimé à 4,5 milliards d’euros (2,65 milliards sur les ménages et 1,9 sur les entreprises), une belle somme pour des finances publiques au plus mal ! Dans le premier dispositif présenté, qui devait entrer en application le 1er janvier 2010, certaines activités (production d’électricité d’origine nucléaire, activités soumises au marché européen des quotas de carbone comme l’industrie papetière) en étaient exemptée. L’agriculture (20 % des émissions françaises de carbone) en était exonérée à 75 %, et les parlementaires avaient décidé d’en exonérer aussi les biocarburants. Aujourd’hui, les campagnes s’inquiètent de voir revenir un dispositif qui leur soit encore plus défavorable.
Car elles jugent d’abord la taxe carbone inadaptée à leur vie quotidienne. Leurs habitants sont prêts à faire des efforts individuels pour réduire leurs émissions de CO2, mais les déplacements pour faire ses courses, aller travailler dans des élevages pour un vétérinaire ou rendre visite à des malades pour un médecin, sont le premier exemple cité pour expliquer qu’il n’y a pas, à ce jour, d’autres alternatives que de prendre sa voiture ou son camion fonctionnant à l’essence. Et les transports en commun y sont moins développés et moins fréquents. Eric Février, vétérinaire en milieu rural et représentant de l’UNAPL (professions libérales), qui parcourt entre 30 000 et 40 000 km par an avec son 4X4, souligne que « le premier souci » des ruraux est « l’existence d’alternatives réelles à l’énergie fossile ».
Voiture électrique ?
La voiture électrique est parfois évoquée, à condition que l’électricité de ses batteries soit d’origine nucléaire et non thermique, la seconde étant un non sens si l’on parle de bilan carbone. De plus, il faudra attendre que son utilisation soit généralisable. De son côté, Jacques Genest, président des Maires ruraux de l’Ardèche et du Syndicat de l’énergie de son département, estime qu’« on ne peut pas avoir les mêmes règles en matière d’économies d’énergie entre la ville et le milieu rural ». Selon lui, cette taxe « pénalise davantage le monde rural » et il appelle le gouvernement à plus de réalisme. D’autant que les campagnes attirent de nouvelles populations depuis quelques années.
Dans ces conditions, taxer les ruraux devient inopérant sur le plan environnemental puisque le « chèque vert » ou le crédit d’impôt consentis par l’Etat dans le premier dispositif afin de compenser cette fiscalité verte (112 euros pour un ménage de deux enfants en ville et 142 euros en zone rurale), ne permettent pas d’user de moyens de transport moins polluants par exemple. Les ruraux ne voient donc qu’une contrainte et souhaitent qu’on en exonère ceux qui ne peuvent pas modifier leurs comportements. André Thévenot propose aussi d’augmenter par exemple la TIPP (taxe sur les carburants) dont le produit irait « abonder un fonds de développement des énergies renouvelables comme le solaire, des économies d’énergie et de solutions alternatives » à l’énergie fossile.
Compétitivité économique
De plus, on dénonce au GMR « les effets collatéraux mal évalués » de cette taxe sur les productions agricole et industrielle dans les campagnes. On juge qu’elle alourdit les charges des exploitations agricoles et des entreprises, détériorant leur compétitivité, en particulier à l’égard de leurs partenaires et concurrents européens. Or les cultures, les prairies ou les forêts sont aussi des puits de carbone, ce qui justifie des compensations pour les secteurs agricole et forestier, souligne-t-on à la FNSEA. Gildas Cotten, chargé de mission à l’AGPM (producteurs de maïs), a aussi rappelé que l’agriculture et la forêt restaient « des secteurs économiques très importants en terme de valeur ajoutée, de sécurité alimentaire, de répartition d’une activité économique sur tout le territoire ».
Enfin, la taxe carbone ne sera efficace pour lutter contre le réchauffement climatique, et sans risque pour la compétitivité des entreprises, seulement si elle est généralisée en Europe. Dans le cas contraire, elles souffriront de distorsions de concurrence comme l’industrie papetière, sources de délocalisation de certaines activités vers des zones transfrontalières, avec leurs emplois et le risque de voir des territoires désertés… Mais pour harmoniser une fiscalité au niveau communautaire, c’est l’unanimité des 27 Etats membres qui est requise…
* Le GMR compte 19 organisations représentant le monde associatif, les organisations professionnelles et des associations d'élus locaux et territoriaux, oeuvrant pour le développement des territoires ruraux : CGPME, JA, FNSEA, UNAPL, UPA, Familles Rurales, FNFR, FNH&D, UNMFREO, ACESRF, ADF, AMF, AMRF, APCA, ANDAFAR, CNASEA, CNMCCA, FNSAFER et Sol et Civilisation.