La dialectique à l’épreuve du malaise paysan
Retour sur le Sommet de l'Élevage. Non résolument, le Chef de l’Etat ne pouvait pas passer, vendredi dernier, à Clermont-Ferrand, sans venir au Sommet de l’Elevage. Sa visite s’est muée en procession.
Viendra, viendra pas… Il aura fallu attendre, jeudi tard dans la soirée, pour avoir la confirmation de la venue d’Emmanuel Macron au Sommet de l’Élevage, le lendemain dès potron-minet. Depuis des semaines, on savait que le Chef de l’État était annoncé à Clermont-Ferrand, le 4 octobre, dans le cadre de la célébration du centenaire du journal La Montagne par le groupe Centre-France, mais sans avoir de certitude sur sa venue au Sommet.
Vendredi, dès l’aube, l’impressionnant déploiement de force de l’ordre trahissait pourtant la visite imminente du président de la République. Un président qui loin de passer en coup de vent, a pris du temps… beaucoup de temps pour échanger avec les éleveurs du hall bovins viande, encadré par un impressionnant service d’ordre, et un pool de journalistes restreint. Il lui a ainsi fallu plus de quatre heures pour parcourir à peine 50 mètres. Avant d’aller au contact des éleveurs, Emmanuel Macron a échangé longuement avec leurs représentants, parmi lesquels, Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine (FNB), Patrick Bénézit, président de la FRSEA Massif central et secrétaire général adjoint de la FNSEA, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et Michèle Boudoin, présidente de la Fédération nationale ovine. «L’échange que nous avons eu est plutôt positif. L’abaissement du seuil d’admissibilité de 13 à 11% pour les calamités sécheresse est une bonne chose, tout comme sa volonté réaffirmée de ne pas signer le Mercosur», résume Patrick Bénézit.
«Producteurs : organisez-vous !»
Sur le Ceta, en revanche, ça coince encore. «Vous voulez laisser importer de la viande du Canada, lui a lancé un éleveur creusois. Nous, on n'en veut pas !» Le chef de l'État a dû déployer des trésors de diplomatie pour étouffer la colère sous-jacente des éleveurs. «Les difficultés qu'on a dans l'élevage aujourd'hui n'ont rien à voir avec le Ceta, répond Emmanuel Macron, du tac au tac. Le problème aujourd'hui, c'est qu'on ne sait pas valoriser correctement ce qu'on produit. On vend mal nos broutards aux Italiens et on produit de la viande à des gens qui vous tordent les boyaux en steaks hachés ! Quand on va au restaurant en France et qu'on mange à la cantine, il faut qu'on puisse manger français. Il n'y a pas de fatalité !».
Pour lui, le temps semble être venu de l’application de la loi Egalim par la mise en place de contrat tripartite, «on va devoir investir pour aider la filière mais il faut que les producteurs s’organisent pour ne plus dépendre des gros acheteurs». Car le chef de l’État n’est pas dupe de ce qui se trame en coulisses, et il l’a redit à plusieurs reprises : «Il y a un acteur qui vous achète la viande au prix le plus bas possible pour faire sa rentabilité, il faut qu’on arrête avec ce système. Les producteurs doivent s’organiser pour défendre le prix». Sur l’export, là aussi, Emmanuel Macron veut aller plus loin : «j’ai demandé à l’aval d’être beaucoup plus offensif sur la Chine en particulier». Des chantiers importants sont donc engagés, reste à passer aux travaux pratiques et rapidement.
Hormis en année d’élections, de mémoire de visiteurs du Sommet, jamais une édition n’avait été fréquentée par autant d’élus. Les sénateurs, membres de la Commission économique, emmenés par leur présidente Sophie Primas, ont ouvert le bal, mercredi matin. Au diapason des revendications professionnelles, la commission a martelé son opposition à une ratification par la France du traité de libre-échange avec le Canada (Ceta). À quelques jours de l’examen du texte au Sénat, cette position n’est pas dénuée d’intérêt. Le lendemain, à l’issue d’un débat houleux toujours sur le Ceta, qui a cristallisé les revendications syndicales FNSEA-JA autour d’un slogan «n’importons pas l’alimentation que nous ne voulons pas», les députés LaRem Roland Lescure et Jean-Baptiste Moreau ont été sortis par les éleveurs.
Quant au ministre de l’Agriculture, il a consacré, la veille, un entretien de près de deux heures aux organisations syndicales, avant de poursuivre sa déambulation jusque tard dans la soirée. Pas d’annonces fracassantes, mais des positions qui rassurent sur certains sujets, et qui inquiètent sur d’autres.
Sur la sécheresse, le ministre a annoncé la mise en œuvre rapide du fond calamité qui «sera abondé autant que nécessaire, potentiellement jusqu’à 300 millions d’euros». De manière plus structurelle, il souhaite favoriser le développement des retenues collinaires.
Sur la PAC, là-aussi des annonces plutôt réconfortantes en particulier pour le Massif central, avec une attention particulière réservée aux Indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), et une reconnaissance des systèmes herbagers dans le volet environnemental. «Le ministre nous a indiqué œuvrer pour obtenir 15% d’aides couplées», poursuit Yannick Fialip, secrétaire général de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes.
Sur le CETA, en revanche, pas de quoi s’enthousiasmer. «On reste sur notre faim. On ne peut pas se satisfaire d’un ministre qui nous dit ouvertement que le CETA ça le dépasse et que l’article 44 de la loi alimentation n’est pas un bon article pour la France car trop restrictif !».
Enfin sur les États Généraux de l’alimentation, si Didier Guillaume a conscience que la loi est loin d’avoir porté ses fruits auprès des producteurs, force est de constater que ses marges de manœuvre semblent étroites. Pour lui, les prochaines négociations commerciales de début 2020 seront déterminantes. «Si cela ne marche pas, il faudra revoir le dispositif».