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Ginette Kolinka, son temps dans l'inhumanité

"Après m'avoir entendue, soyez des passeurs de mémoire pour que les négationnistes ne s'en donnent pas à coeur joie".Voilà la seule demande de Ginette Kolinka en retour de son témoignage.

Lundi 24 avril, Ginette Kolinka, 98 ans, arrive directement de Paris. Accompagnée depuis
Clermont-Ferrand par le recteur d'Académie, Karim Benmiloud, elle a immédiatement pris place sur la scène du théâtre du Rex pour une heure trente de présentation de sa vie de déportée, du 13 mars 1944, jour de son arrestation, jusqu'à juin 1945 où elle retrouve sa mère et ses soeurs à Paris(1).  
Il n'y a pas de place pour l'émotion, mais seulement la compréhension des faits. Sans haine non plus, Ginette Kolinka relate les différentes étapes de cette part d'existence dans les bas-fonds de l'humanité, entre les mains de ceux qui vous poussent à la mort après les humiliations et les privations. Elle détaille ce qui fait normalement le quotidien de l'existence où nous percevons au fil de son propos toute l'horreur de la stigmatisation, puis de l'arrestation, du voyage vers l'enfer, l'enfer lui-même qui porte alors le nom des camps de concentration et d'extermination. Pour certain, la libération... le retour, la vie (ordinaire) qui doit reprendre. Et puis la parole pour dire : "Plus jamais ça !"

"Devenez des passeurs de mémoire"
Écouter Ginette Kolinka durant plus d'une heure, dans un silence extraordinaire de respect et d'attention, tant de la part des collégiens que du grand public, c'est forcément vouloir comprendre. Toutefois, l'oratrice attend aussi autre chose à chacune de ses très nombreuses interventions à travers toute la France : "C'est moi qui vous remercie de devenir des passeurs de mémoire. Quand il n'y aura plus de témoins, les négationnistes s'en donneront à coeur joie et tout cela peut recommencer. Nous ne pouvons aimer tout le monde mais nous devons nous accepter dans nos différences." C'était aussi le sens que voulaient donner les responsables de cette rencontre, les équipes des collèges de La Vigière et de Blaise-Pascal(2).
"Écouter un tel témoignage,  c'est se préparer à la citoyenneté et travailler pour la paix", adressait aux élèves, lundi après-midi, Marie Benazech, principal du collège Blaise-Pascal, rejointe en ce sens par le recteur, Karim Benmiloud, dans son propos d'accueil.            
"Il ne peut rien nous arriver"
En trois conférences lundi et mardi, Ginette Kolinka a égrené, avec force et conviction, mais non sans humour, son histoire, sa déportation, ce qu'elle a vécu au milieu du destin commun de millions d'autres hommes, femmes et enfants.
Au début de la guerre, s'il est nécessaire d'afficher son appartenance juive en portant l'étoile jaune sur ses vêtements, même si beaucoup d'emplois sont refusés aux juifs, Léon Cherkasky, son père, a toute confiance dans la France pour les protéger, lui qui, de famille ukrainienne, est né en France, ancien combattant de 14-18, propriétaire de son entreprise de confection de vêtements. En 1942, les menaces se précisent et la famille Cherkasky quitte Paris pour Avignon. Là, on s'organise, on se débrouille, il fait beau... Jusqu'au 13 mars 1944.

"La Gestapo est à la maison"
"Je suis rentrée à la maison pour déjeuner. Il y avait trois messieurs avec des imperméables et des chapeaux en cuir, indique Ginette Kolinka. La Gestapo est à la maison. Elle sait que nous sommes juifs et en sortant, je reconnais le jeune qui passait au marché. Moi, je pensais qu'il flirtait. Pourquoi nous a-t-on dénoncés ?"  Direction la prison de Marseille, puis Paris, Drancy, la gare de Bobigny pour Léon Cherkasky, 61 ans, sa fille Ginette, 19 ans, son fils Gilbert, 12 ans et son petit-fils Jojo, 14 ans. Ginette Kolinka poursuit : "Redescends sur terre, me demande mon père. Nous n'allons pas travailler, sinon pourquoi y aurait-il des bébés, des vieillards, un homme sans bras, un avec des cannes ?"
À partir de là, les choses changent. Les Allemands remplacent les Français : ordres, cris, coups et des wagons à bestiaux pour un voyage de trois jours vers le camp de Birkenau, en Pologne. La promiscuité partagée entre voyageurs inconnus donne un avant-goût des conditions de vie futures, faites de crasse et d'humiliation, de journées plongées dans la peur d'une mort imminente.
"Je croyais vraiment que nous étions arrivés dans un camp de travail avec des champs à cultiver, une usine avec sa cheminée, retrace Ginette Kolinka. Les plus faibles sont partis en camion. Mon père et les garçons sont allés directement à la chambre à gaz et la crémation." Déjà la fin ! Pour les autres, les humiliations continuent : se déshabiller entièrement, être rasé, tatoué. Numéro 78 599 pour Ginette.  
"Comment peut-on faire des choses pareilles ?"
"Nous sommes devenus inhumains, poursuit-elle.  Je n'ai pas été solidaire et personne ne l'a été avec moi. Quand vous n'avez plus rien, il n'y a pas de solidarité à partager." Un jour de novembre, Ginette ne casse pas de cailloux. Elle ne travaille pas. Elle monte dans un train pour le camp de concentration de Bergen-Belsen.
Les Alliés approchent, ce sont les trains de la mort, durant des jours. "Je me retrouve en Tchécoslovaquie. Quand des déportés se rencontrent, ils parlent de l'endroit où ils ont été libérés."
C'est le retour en France, à Lyon, en avion. Ginette, qui pensait ne plus revoir sa famille, retrouve, à Paris, sa mère et ses soeurs. "C'est moi qui ait annoncé à ma mère la mort de son mari et de son fils alors que nous nous tenions dans les bras."
Après ? Il faut se reconstruire. "J'ai eu ma famille", reconnaît Ginette Kolinka(3). Et, de s'interroger, encore 80 ans plus tard : "Comment des hommes peuvent-ils faire des choses pareilles ?" Il y a une quinzaine d'années, elle, la rescapée de Birkenau,  s'est mise à parler. "Tant que je tiendrai, je continuerai." Peut-on encore croire en l'humanité, "oui, puisque je suis ce soir devant vous".

(1) Philippe Delort, maire de Saint-Flour, a remis la médaille de la ville à Mme Kolinka.
(2) Cette rencontre a été préparée par Carine
Cohendy et Fanny Vargas. Les collégiens de Blaise-Pascal et La Vigière, de Murat, Pierrefort et Chaudes-Aigues et les élèves du lycée de la Haute-Auvergne ont pu y assister.
(3) "Retour à Birkenau", Ginette Kolinka, avec Marion Ruggieri, éditions Le Livre de Poche.

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