Exportations vers la Chine : «L’État a fait le boulot, aux filières de se prendre en main»
De retour de leur visite en Chine au sein de la délégation française qui a accompagné le Président Macron,
les éleveurs cantaliens, Jean-Marie Fabre et Yves Chassany, témoignent.
Ce déplacement en Chine avait notamment vocation à prendre le pouls du potentiel et de la perception des viandes tricolores sur cet immense marché de consommation. Qu’avez-vous pu constater ?
Jean-Marie Fabre, éleveur salers à Saint-Chamant et président de l’Association label rouge salers : Nous avons pu visiter lundi quelques supermarchés plutôt haut de gamme qui proposent de la viande bovine australienne, américaine et canadienne à des prix très élevés allant de 40 à 80 € le kilo, la viande australienne étant a priori la “moins chère”.
Yves Chassany, éleveur aubrac à Saint-Rémy-de-Chaudes-Aigues et président de l’Upra aubrac : On a pu constater qu’en général, la viande qui était mise en avant avait beaucoup de gras, avec une tendance à des viandes type wagyu, voire bœuf de Kobé. Ça ne veut pas dire que nos viandes françaises n’ont pas leur place mais qu’il faut quand même que les bêtes soient bien finies. On a aussi pu mesurer que le message d’un élevage à l’herbe passait bien mais qu’il ne fallait pas seulement communiquer là-dessus puisque toute la viande mise en avant affiche une finition aux grains, c’est-à-dire aux céréales. On a bien senti aussi que les produits et la viande français étaient réputés pour leur excellence, et derrière cette excellence, pour leur qualité et leur sécurité sanitaire. Cela s’est traduit par la levée de l’embargo qui n’est encore que partielle car limitée aux importations des bovins de moins de 30 mois. On espère une amélioration dans les mois et semaines à venir.
Avez-vous le sentiment que cette visite officielle au côté du Président Macron peut être rapidement suivie d’un courant important d’exportations pour les filières bovines françaises ?
Y. C. : C’est en tout cas quelque chose de phénoménal que le président Macron nous a amené sur un plateau : la visite du président chinois sur le Pavillon France du Salon de l’exportation de Shanghai ne devait durer que 5 mn, elle en a duré 25 au final. Et Emmanuel Macron a été très habile : en s’avançant vers l’ensemble de la délégation française pour serrer la main de tous les acteurs économiques présents, il a quelque part forcé son homologue à faire de même. Et puis il y a eu cet acte fort, tout sauf symbolique : la dégustation par les deux chefs d’État de quatre races bovines françaises sous label rouge - salers, aubrac, charolaise et limousine - présentées par Bruno Dufayet(1) et accompagnées de vins français. Quand on connaît le poids de la hiérarchie et l’aura du président Jinping, c’est un signal fort qu’ont pu percevoir ce jour-là tous les Chinois qui ont vu les médias. Avec 1, 4 milliard de Chinois, dont 0,1 % de milliardaires et 1 % de millionnaires, le potentiel de consommateurs qui peuvent accéder à de la viande française est bien réel, même si, pour nous, il ne s’agit pas de faire du marché de masse mais bien de la qualité. Ceci dit, le message du ministre comme du Président a été clair : l’État a fait le boulot, aux filières, des éleveurs aux opérateurs, de se prendre en main et de transformer l’essai.
J.-M. F. : Je pense qu’effectivement, au niveau de l’État français, les ambitions sont fortes pour que nos exportations se développent nettement et ce, dès le début d’année 2020. Je crois qu’avec ce voyage, les bases ont été posées en ce sens et que cela peut aller assez vite : on ne va pas, bien sûr, exploser d’un coup les volumes exportés mais on peut viser une réelle montée en puissance, à une condition : que les abatteurs et transformateurs prennent la balle au bond. On a senti Puigrenier(2) prêt à s’engager, mais beaucoup plus de frilosité de la part de Bigard. À titre d’exemple, lors du dîner lundi soir avec le ministre de l’Agriculture, Bigard a évoqué des problèmes pour disposer d’assez de frigos de congélation pour exporter en Chine ! Si l’on peut être optimiste, il faut donc néanmoins rester prudents.
Y. C. : On se sent nous éleveurs bovins, un peu le petit Poucet : le luxe tricolore est déjà bien implanté en Chine, Inaporc est en train d’y mener un travail important... Pour autant, on a une chance : c’est que notre élevage bovin n’est pas délocalisable là-bas. Et si on se débrouille bien, on peut espérer ramener de la valeur ajoutée.
(1) Éleveur salers à Mauriac et président de la FNB.
(2) Puigrenier est un abatteur et transformateur de l’Allier qui a déjà travaillé avec les chinois, sur des pièces très hautes de gamme.