« Expliquer encore et encore pour changer les mentalités »
Paru dans le cadre du Plan d’action Ecoantibio (2012-2017), un décret, entré en vigueur le 1er avril, interdit l’usage des antibiotiques critiques à titre préventif et en restreint l’usage à titre curatif. Une bonne chose pour Anne-Catherine Bernard, vétérinaire rurale installée à Cusset et administratrice du Groupement technique vétérinaire (GTV). Pour la professionnelle, cette mesure fait entrer éleveurs et vétérinaires dans une nouvelle ère et pousse à une remise en question globale.
En médecine humaine, le chiffre parle de lui-même : 25 000 morts par an en Europe induits par l’antibiorésistance. S’il est difficile voire impossible d’avancer des données chiffrées pour les animaux, il est certain que l’antibiorésistance cause de plus en plus de tort aux élevages et aux vétérinaires.
L’Allier Agricole : Depuis le 1er avril dernier, un arrêté du ministère de l’Agriculture, modifie l’arsenal thérapeutique des vétérinaires en interdisant ou en restreignant l’utilisation de plus de 50 substances antibiotiques dites critiques. Que change cet arrêté dans le quotidien de votre métier ?
Anne-Catherine Bernard : Pour nous, ce nouveau décret est la traduction réglementaire d’un vaste chantier qui a déjà commencé il y a quelques années et qui nous demande de réajuster notre manière de prescrire et de délivrer au regard du risque lié à l’antibiorésistance.
A.A : Et dans le quotidien des éleveurs ?
A.C.B : Ce qui ne change pas, c’est que les éleveurs bénéficient toujours d’une dérogation pour administrer certains médicaments en respectant leurs protocoles de soins. Ce n’est que si ce traitement, dit de première intention, échoue que nous intervenons. Si les échecs sont nombreux ou graves et que l’utilisation d’un antibiotique critique est nécessaire médicalement, nous avons maintenant l’obligation de réaliser un prélèvement (sang, fèces, organes, lait, …) afin de faire identifier en laboratoire agréé la bactérie responsable et d’établir si elle est résistante à certaines familles d’antibiotiques. Nous pourrons ainsi réajuster le traitement si besoin.
" Lorsqu’un animal ou un lot d’animaux est malade,
l’enjeu économique pour l’éleveur est important.
Les maladies bactériennes sont très fréquentes en élevage,
beaucoup plus qu’en médecine humaine. "
A.A : Pourquoi vouloir réduire l’utilisation des antibiotiques ?
A.C.B : Il y a encore une vingtaine d’années si une molécule perdait de son efficacité, d’autres arrivaient sur le marché. Personne ne se posait alors la question de réduire leur utilisation étant persuadé que le marché serait régulièrement abondé. Sauf que les nouvelles molécules ne sont plus aussi nombreuses aujourd’hui qu’hier et que le phénomène d’antibiorésistance se fait sentir depuis quelques années. En clair, les agents pathogènes de nos élevages se sont parfois adaptés à nos usages.
A.A : Mais alors, qui a eu la main trop lourde ? Les éleveurs ou les vétérinaires ?
A.C.B : Je suis tentée de dire les deux. Lorsqu’un animal ou un lot d’animaux est malade, l’enjeu économique pour l’éleveur est important. Les maladies bactériennes sont très fréquentes en élevage, beaucoup plus qu’en médecine humaine. Les antibiotiques font donc très logiquement partie de nos outils thérapeutiques car souvent nécessaires. On ne veut pas risquer la vie de l’animal. Après parfois le principe de précaution nous a amené à taper un peu fort pour ne prendre aucun risque et nous devrons raisonner différemment dorénavant.
A.A : L’arsenal thérapeutique est donc en train de se réduire comme peau de chagrin …
A.C.B : Ce n’est pas tant l’éventail thérapeutique mais surtout l’utilisation trop systématique des antibiotiques critiques. Pour conserver de l’efficacité à long terme, il faut en garder sous le pied.
" Lorsque l’on parle de normes bien-être, ce n’est pas un vain mot,
ce sont des moyens simples d’améliorer la qualité de vie des bêtes
et donc de réduire les risques d’infection."
A.A : Il faut donc travailler sur d’autres leviers, quels sont-ils ?
A.C.B : Un seul mot : prévention. Notre rôle, nous vétérinaires, est d’expliquer encore et encore pour changer les mentalités. Lorsque l’on parle de normes bien-être, ce n’est pas un vain mot, ce sont des moyens simples d’améliorer la qualité de vie des bêtes et donc de réduire les risques d’infection. Cela passe par l’environnement, les couchettes, le paillage, l’aération, l’alimentation, l’espace disponible, les conditions de vêlage. Des choses parfois toutes bêtes qui sont un peu tombées aux oubliettes comme l’hygiène et qu’il convient de réhabiliter. Et, à la fin, cela représente des frais en moins pour l’éleveur.