Économie : «Tous les jours les agriculteurs investissent, innovent, créent valeur ajoutée et emplois»
Avant le Salon international de l’agriculture qu’il inaugurera le 21 février, le Président de la République revient sur les sujets qui font l’actualité et conditionnent l’avenir du monde agricole.
Le 20 février prochain, vous êtes invité à conclure le forum «Agriculture et changement climatique» : comment positionner l’agriculture et la sécurité alimentaire dans cette importante négociation internationale sur le climat ?
François Hollande : La lutte contre le changement climatique est un grand enjeu pour notre pays. C’est une priorité absolue pour la planète et la conférence de Paris à la fin de l’année doit parvenir à un accord. L’objectif de ce forum international sur «l’agriculture et le changement climatique» qui se tient le 20 février à Paris est de proposer des réponses pour mener de front le combat contre le changement climatique et celui contre la faim dans le monde. Les agriculteurs français doivent bénéficier des apports de la science et des technologies les plus adaptées pour produire plus tout en émettant moins de gaz à effet de serre et en s’adaptant à des conditions climatiques qui évoluent. Des solutions existent déjà, d’autres doivent être approfondies mais nous avons une obligation de résultat. Cela passe par la recherche et l’innovation, mais aussi des investissements qui doivent mobiliser les agriculteurs et les industriels concernés.
L’agriculture française continue de perdre des places sur le podium mondial. Sa compétitivité est-elle selon vous menacée ?
F. H. : La France a retrouvé cette année sa place de 1er producteur mondial de vin. Et ce n’est pas la seule production où des progrès sont enregistrés. Le pacte de responsabilité a joué son rôle. Pour les agriculteurs, il représente en 2015, plus de 600 millions d’euros d’allègements de charges de plus par rapport à 2012. Pour l’ensemble du secteur agricole et agroalimentaire, ce chiffre atteindra 1,4 Mds € en 2015 et 1,8 Mds € en 2017. En outre, la baisse de l’euro conjuguée à celle du prix du pétrole qui a un impact important sur le poste «carburants» des agriculteurs, permettra au secteur agroalimentaire français de contribuer encore davantage à l’équilibre de la balance commerciale. A titre d’exemple, la filière volailles export a aujourd'hui de nouvelles perspectives ; d’ailleurs, elle embauche alors qu’elle était en grave péril en 2012. Plus globalement, les prévisions d’investissements dans l’industrie agroalimentaire française qui transforme 70 % de la production agricole française sont en hausse de 8 % cette année. Ce secteur cons-titue l’un des atouts majeurs de notre économie dans la concurrence internationale et l’exposition universelle de Milan consacrée à l’alimentation doit mon- trer le dynamisme de notre pays et sa place dans ce domaine d’excellence.
Agriculture et environnement sont opposés chaque jour et le monde agricole est montré du doigt alors que les règles ne cessent de se durcir. Comment respecter les efforts et les progrès déjà réalisés par les paysans ? Comment stopper la «surenchère» réglementaire sur le sujet ?
F. H. : Les agriculteurs ont déjà fait de grands efforts en matière de respect de l’environnement. On n’avancera pas si l’on ne réconcilie pas l’économie et l’écologie ; l’enjeu, c’est de tirer parti de la science et des technologies pour valoriser les ressources rares et pour recourir à des produits moins nocifs ; c’est la définition même de l’agroécologie. Les agriculteurs s’engagent largement dans cette voie. Je souhaite que se diffusent les bonnes pratiques pour une agriculture compétitive tout en étant moins gourmande en énergies et en produits phytosanitaires. J’entends aussi les inquiétudes sur la directive «Nitrates». Après une décennie perdue à tergiverser avec Bruxelles, nous sommes sous la pression de contentieux communautaires qui pourraient coûter cher. Aussi je demande que soient contenues les extensions de zones vulnérables et surtout l’ampleur des investissements de mise aux normes. Ces investissements doivent constituer une opportunité de moderniser les élevages. D’ailleurs, les aides dans les zones vulnérables seront portées au maximum autorisé. Le classement en zones vulnérables de toute l’Allemagne n’a pas fait perdre son dynamisme à son agriculture. Elle s’est adaptée et est devenue encore plus compétitive.
Y-a-t-il encore de la place pour la création de projets, pour de l’innovation en agriculture ? Comment redonner de la confiance et des perspectives aux exploitations agricoles ?
F. H. : L’agriculture est un secteur d’avenir, tous les jours les agriculteurs investissent, innovent, créent de la valeur ajoutée et des emplois. Sur une longue période, les taux de croissance en agriculture sont parmi les plus élevés de l’économie française. Et de nouveaux marchés vont s’ouvrir puisque la production agricole mondiale d’ici à 2050 devra nourrir 2 milliards d’hom-mes et de femmes de plus. Et je n’oublie pas les activités nouvelles comme le biocontrôle et les agroéquipements qui sont pour nos entreprises agricoles de nouvelles occasions de se transformer. La sanctuarisation du budget de la PAC et la négociation favorable à la France nous garantit jusqu’en 2020 des moyens de financements utiles au renforcement de la mutation de notre agriculture.
L’Europe et l’agriculture ont une longue histoire commune, forgée autour de la PAC ; mais l’Europe est tatillonne, normative et en dehors des réalités, ce qui durcit le sentiment anti
européen chez les paysans, comment faire pour renouer ce fil ?
F. H. : C’est le paradoxe : l’agriculture constitue la seule politique européenne vraiment commune et la PAC qui représente le premier poste budgétaire européen est souvent critiquée par ceux-là même qui ne voudraient à aucun prix revenir en arrière. Attention à ne pas compromettre cette position avantageuse pour la France par des critiques excessives. En même temps, j’écoute ce que nous disent les agriculteurs sur les contrôles et les lourdeurs administratives et je m’en suis ouvert au Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. J’attends des réponses notamment sur des clarifications des règles de mise en œuvre de la nouvelle PAC, en particulier en ce qui concerne les indemnités compensatoires de handicaps naturels. C’est fondamental pour les éleveurs car ces aides vont être revalorisées de près de 50 % sur la mandature et elles doivent continuer à être ciblées sur ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les agriculteurs dont la majorité de l’exploitation est en zones difficiles. Par ailleurs, je l’ai également alerté sur la nécessité de prendre des mesures de gestion de marché, concernant en particulier celui du porc qui a beaucoup souffert de l’embargo mis en place par les Russes. La dernière réforme a renforcé les pouvoirs de la Commission en la matière. Elle doit s’en servir. La réforme de la PAC se met seulement en place et nous ne devons pas oublier les avancées obtenues en matière de couplage, de majoration des aides pour les jeunes agriculteurs, d’augmentation des crédits en faveur du développement rural. Et pourtant, la réflexion sur l’avenir de la PAC à partir de 2020 commence dans les cercles européens et nous devons d’ores et déjà y réfléchir. C’est pourquoi je me réjouis que Xavier Beulin ait déjà évoqué des idées intéressantes pour franchir cette nouvelle étape. Promouvoir les mécanismes assuranciels, encourager les investissements qui concilient performance économique et écologique plutôt que rajouter des normes, responsabiliser le monde agricole et soutenir la prise de risques, ce sont là des orientations auxquelles je souscris. La concertation doit s’engager avec tous les partenaires avec l’appui des chercheurs pour commencer à définir notre stratégie.
La réforme territoriale va impacter de façon majeure les zones rurales, comment éviter qu’elle ne renforce les déséquilibres constatés entre territoires urbains et territoires ruraux, en matière de service public notamment ?
F. H. : Le sens de la réforme territoriale c’est de clarifier les compétences des collectivités et de leur donner des moyens d’agir. Tout en favorisant la maîtrise des dépenses, le nombre des régions a été ramené de 22 à 13 et les structures de proximité, notamment les intercommunalités, ont été renforcées. Les départements ruraux verront leurs compétences confirmées en matière de solidarités sociales et territoriales. L’évolution des compétences des régions bénéficiera également aux zones rurales : la gestion du 2ème pilier de la PAC répondra aux spécificités locales tout en s’inscrivant dans des projets de filières cohérents au plan national. La ruralité dans toute sa diversité est un atout pour la France. Aussi, elle doit bénéficier de l’apport des nouvelles technologies. Je pense notamment à la poursuite du déploiement du très haut débit, très importante pour les agriculteurs.
Le Salon de l’agriculture est un grand moment de fusion avec le monde agricole, comment appréhendez-vous ce salon ? Voulez-vous lui donner un symbole
particulier cette année ?
F. H. : Le Salon de l’agriculture, c’est une formidable promotion des produits et du travail de l’agriculture française. C’est un mo-ment d’échanges utiles avec les professionnels. C’est un endroit unique où la France des villes et des campagnes se rassemble pour célébrer la diversité de ses terroirs de métropole comme des outre-mer et pour rappeler l’importance que l’alimentation revêt dans notre mode de vie et dans notre économie. En cette année où la France accueille la conférence sur le climat au mois de décembre, l’accent sera naturellement mis sur cet enjeu. Nourrir les hommes et les femmes, créer de la richesse et de l’emploi dans les zones rurales tout en préservant notre planète, c’est cela l’ambition de l’agriculture de demain.
Propos recueillis par Actuagri