De jeunes agriculteurs freinés dans leur installation
Alors que les financements versés par la Région dans le cadre du plan bâtiments sont loin d’être acquises, de jeunes agriculteurs s’inquiètent de leur avenir dans la profession s’ils n’obtiennent pas ces subventions.
Alors que les financements versés par la Région dans le cadre du plan bâtiments sont loin d’être acquises, de jeunes agriculteurs s’inquiètent de leur avenir dans la profession s’ils n’obtiennent pas ces subventions.
Pour Étienne Bessière, Auxane et Clémentin Monteil, de jeunes agriculteurs en pleine installation, l’avenir paraît plutôt sombre. Alors que de nombreux investissements sont nécessaires pour que leurs installations puissent se dérouler sans accroc, un important point de blocage a été mis au jour : le financement des bâtiments, nécessaires à l’activité, semble en suspens. Car les dossiers de demandes de subvention auprès de la région Occitanie ne sont pas encore approuvés, notamment pour ce qui est du plan bâtiment. Retardant d’autant les travaux, et donc l’activité prévue. « J’ai déposé mon dossier auprès de la Région au mois de novembre, détaille, désabusé, Étienne Bessière. Et depuis, aucune nouvelle… » Il aurait même pu déposer ce fameux dossier un bon mois avant, si la plateforme dédiée n’avait pas connu d’importants bugs qui ont retardé d’autant la transmission des informations. « Je me suis d’abord installé en individuel avant que le Gaec ne soit constitué, avec mon papa en septembre 2023 ». Car l’idée pour Étienne Bessière était de rejoindre la ferme familiale, sous format Gaec, pour les 10 prochaines années avant que le papa ne parte à la retraite. Et pour son installation, le jeune homme souhaitait ajouter un atelier de brebis laitières au sein de la ferme qui possède déjà un atelier d’une quarantaine de vaches allaitantes et de brebis allaitantes. Pourquoi des brebis laitières ? « Parce qu’elles ont une meilleure valorisation, et donc un meilleur revenu ». Surtout que le lait serait vendu à Duo Lozère, une entreprise locale correspondant aux valeurs du jeune agriculteur. Un contrat qu’il a déjà signé avec l’entreprise et qui a « été repoussé d’un mois, une première fois » au vu du manque de réponse de la Région. Car sans subvention, pas de bâtiment, et sans bâtiment, impossible d’accueillir ces brebis qui ont, par ailleurs, déjà été réservées auprès d’un éleveur qui partira à la retraite l’an prochain. « Heureusement, il peut me les garder pour le moment, mais ce n’est pas tenable », s’agace Étienne Bessière. Un agacement partagé par Auxane et Clémentin Monteil, deux jeunes agriculteurs qui, eux aussi, sont en cours d’installation au sein de l’exploitation familial. Clémentin Monteil a suivi un parcours similaire à Étienne Bessière : une installation d’abord en individuel avant de rejoindre le Gaec en avril 2022. Auxane Monteil, pour sa part, a rejoint le Gaec en avril 2023. Une ferme qui élève des bovins allaitants, 120 mères Aubrac et un atelier de 40 laitières, partagé pour moitié entre Prim’Holstein et Montbéliardes. Avec l’installation des deux enfants, l’atelier bovin lait devrait prendre plus de place sur la ferme. « L’atelier existe depuis 30 ou 40 ans sur la ferme, mais j’avais un peu laissé filé », détaille le papa, Patrice Monteil, qui a pu expliquer, la semaine dernière, la situation de ses enfants à Aurélie Maillols. « Avant que mes enfants n’arrive, j’étais seul à gérer la ferme, avec l’aide de ma maman qui a continué de traire jusqu’à ce que Clémentin entre dans le Gaec ». Et si les enfants avaient décidé de faire autre chose que de l’agriculture, l’atelier lait aurait été stoppé, selon Patrice Monteil. Mais ils ont pris le virus de l’agriculture, un domaine « qu’ils ont choisi, et dans lequel ils veulent travailler ». Lors de l’élaboration du plan d’entreprise, un document établi à l’installation des jeunes agriculteurs pour mesurer la faisabilité technique, la viabilité économique et la vivabilité du projet et pouvoir bénéficier des aides, l’atelier laitier est sorti grand gagnant. Le projet d’installation a donc suivi les recommandations d’augmenter le troupeau laitier et diminuer le troupeau allaitant. Ce qui impliquait de gros travaux sur la ferme pour un bâtiment neuf et une salle de traite remise au goût du jour. « Il faut arriver à dégager trois SMIC sur la ferme », note Patrice Monteil. Une obligation qui accompagne le versement de la DJA dont ont bénéficié Auxane et Clémentin Monteil. Et c’est là où le bât blesse : la DJA n’est disponible que les cinq premières années d’installation. Et s’accompagne de critères assez stricts, sinon elle doit être remboursée. « Si, au bout de cinq ans, par exemple, on n’a pas prouvé qu’on dégageait le revenu prévu, on doit rembourser ». D’où l’investissement dans un nouveau bâtiment pour développer la production, donc ramener le revenu nécessaire pour répondre aux critères de la DJA.
Un changement de programmation qui prend du temps
Oui, mais, la Pac a, entre l’installation de Clémentin et Auxane Monteil, basculé sur une nouvelle programmation, les modalités d’attribution des subventions ont aussi évolué (ndlr elles sont désormais regroupées dans un dispositif unique) et la Région Occitanie, plus de quatre mois après la dépose des dossiers en ligne, oppose toujours un silence pesant aux demandes des agriculteurs. Qui, du coup, ne savent plus s’ils peuvent entamer les travaux ou non. En attendant, le temps file, et pour Clémentin, la fin des cinq années se profile à l’horizon. Sans qu’il n’ait pu réaliser son projet. Coût total du bâtiment pour la ferme Monteil ? Près d’un million d’euros. Pour Étienne Bessière, ce n’est « que » 750 000 euros. Dans les deux cas, les subventions sont essentielles pour boucler les budgets. « Si on n’a pas les subventions, on peut chercher un travail ailleurs », soupire Étienne Bessière. Adieu, donc, son projet d’installation, à l’heure où le renouvellement des générations est un sujet d’actualité. « Je devais accueillir mes brebis en août 2024, mais je me demande si je ne vais pas devoir reculer carrément d’un an la production ». « On y va à l’aveugle, rebondit Patrice Monteil. Il y a des jours, on a envie de tout arrêter, par dépit, et d’autres où on est en colère, donc on se dit qu’on va le faire quand même, ce bâtiment ».
La Région « aux côtés des agriculteurs »
Pour Vincent Labarthe, vice-président à la Région Occitanie en charge de l’agriculture, ces lenteurs s’expliquent en partie par le changement de programmation. « Comme à chaque lancement de nouveau programme sur les fonds européens, lié à la réforme de la Pac, il y a une période de rodage durant laquelle on adapte les soutiens, on corrige les difficultés et l’on met en place des nouveautés. L’essentiel étant qu’à la fin les agriculteurs puissent en être les bénéficiaires. Nous avons tout fait pour éviter ce que l’on appelle « l’année blanche » et nous avons même réussi à aider des projets à l’automne 2023 avec des crédits européens de la précédente programmation (2014-2020) qui n’étaient pas complètement consommés. Un effort de simplification a été fait, puisque nous sommes passés à trois dispositifs de soutien à l’investissement là où il y en avait 32. Ainsi, le volet Bâtiments d’élevage a été intégré dans un dispositif unique et un nouvel outil informatique, qui permet un dépôt dématérialisé du dossier par l’agriculteur a été mis en place. Nous avons recensé plus de 1 200 dossiers déposés sur le Dispositif unique fin 2023, mobilisant une enveloppe supérieure à ce qui était prévu ».
Chaque agriculteur qui a déposé un dossier a reçu un récépissé de dépôt qui lui permet de démarrer ses travaux s’il le souhaite, selon la Région. Avec les moyens supplémentaires débloqués, soit 22 millions d’euros en plus, la grande majorité des dossiers devrait recevoir une réponse positive mais les règles du Feader imposent que tous les dossiers (1 200) soient instruits avant d’apporter une réponse. « Comprenant les besoins des agriculteurs, la présidente s’est engagée à ce qu’en juillet, la réunion d’un comité de préfinancement puisse apporter les premières réponses aux agriculteurs et que d’ici octobre ils puissent recevoir une notification officielle des subventions ». À l’avenir, après cette première année de mise en œuvre, les réponses seront données plus rapidement que pour ce premier appel à projets de lancement, a, par ailleurs, promis la Région. « Nous avons toujours su répondre budgétairement quand l’agriculture en avait besoin. Nous attendons de finir l’analyse des dossiers 2023 pour avoir une vision plus fine et tracer des perspectives budgétaires. L’augmentation de l’enveloppe pour cet appel à projet 2023 devrait permettre à tous les projets des jeunes agriculteurs de pouvoir être financés. Il s’agit en outre d’un engagement fort de la Région d’accompagner tous les projets des jeunes agriculteurs. Ainsi dès lors que les projets seront complets et éligibles, une réponse positive devrait leur être donné » a souligné le vice-président à la Région.
« En 2024, la Région va proposer pour les jeunes agriculteurs qui ne peuvent pas attendre le lancement de l’appel à projets 2024 à la fin de l’été pour démarrer leurs projets d’investissements, de solliciter le Pass investissement, dont le plafond passera exceptionnellement de 20 000 à 100 000 euros avec un taux d’aide de 40 %, sur la période d’avril à juin. Les jeunes agriculteurs pourront ainsi démarrer dès ce printemps les investissements les plus urgents de leur plan d’entreprise » a conclu Vincent Labarthe.