Coordination et IA : nouvelle arme anti-fraude éprouvée dans le Cantal
La lutte anti-fraude se professionnalise au sein des administrations et organismes tels que la Caf ou l’Ursaff, qui ont de plus en plus recours à l’intelligence artificielle pour repérer des anomalies.
La lutte anti-fraude se professionnalise au sein des administrations et organismes tels que la Caf ou l’Ursaff, qui ont de plus en plus recours à l’intelligence artificielle pour repérer des anomalies.
Près de 800 dossiers frauduleux détectés et 4,46 millions d’euros de préjudice recouvrés : les chiffres 2023 de la lutte contre la fraude dans le Cantal sont-ils la modeste partie immergée de l’iceberg des escroqueries orchestrées en matière sociale et fiscale par les particuliers et entreprises ? Impossible pour les acteurs du Codaf, le comité opérationnel départemental anti-fraude(1), réuni mardi 2 avril sous l’égide du préfet et du procureur de la République, de connaître l’ampleur de la fraude dans le Cantal. Seule certitude : la coordination effective des différents services de l’administration et des organismes délivrant des prestations sociales ou recouvrant des cotisations alliée au ciblage permis par la puissance de l’intelligence artificielle et le data mining rend désormais beaucoup plus efficaces la lutte anti-fraude et le recouvrement des prestations indues ou des cotisations non réglées comme l’a spécifié Sylvia Naboudet, de la DDFip (Direction départementale des finances publiques).
4,5 millions d’euros recouvrés
En recoupant des centaines de milliers de données internes à l’administration fiscale mais pas que, l’IA défriche à vitesse grand V le terreau potentiel de la fraude pour isoler, sur la base de différents critères, les dossiers “ à risques” que les inspecteurs des impôts pourront ainsi contrôler non plus à l’aveugle mais avec de réelles perspectives de mettre à jour une fraude avérée. “Pour les fraudes à la TVA mais aussi sur le patrimonial, on a énormément recours à l’IA”, a exposé la responsable du service dédié à la DDFip. Ce sont ainsi 3,3 millions d’euros d’impôts “éludés” qui ont été encaissés l’an dernier auprès de particuliers et d’entreprises, avec un excellent taux de recouvrement de 83 %. Et l’arrivée de la facturation électronique devrait encore sensiblement accroître ces scores, notamment en matière de fraude à la TVA, comme l’illustrent les données des pays qui ont devancé la France.
À l’Ursaff, les chiffres sont pour l’heure plus modestes avec 317 000 € redressés dans le cadre de 88 contrôles ciblés notamment dans les secteurs du BTP, du transport, des marchés et en direction des microentreprises suite, par exemple, à des incohérences entre les informations de la déclaration d’embauche préalable à l’embauche et salaire journalier effectivement déclaré. Trois de ces affaires ont fait l’objet d’un procès-verbal transmis au Parquet pour poursuites pénales (lire encadré). Le taux de recouvrement, supérieur à 50 %, devrait progresser comme l’a indiqué la directrice des contrôles à l’Ursaff Auvergne évoquant des objectifs bien plus ambitieux fixé à l’organisme : soit 25 millions d’euros redressés d’ici 2027 à l’échelle des quatre départements.
Entreprises fictives...
Objectifs ambitieux également pour la Caf et la CPAM, dont les agents ont détecté l’an dernier 184 dossiers frauduleux pour un total de 700 000 € de préjudice recouvré et 150 000 € de préjudice évité. Ce que souligne son directeur, Pascal Pons, c’est l’apport notable des échanges d’informations(2) au sein du Codaf et des opérations coordonnées qui s’en suivent, sachant, précise-t-il, que la fraude en matière de sécurité sociale concerne tous les publics, aussi bien les assurés sociaux, que les prestataires de santé, et les employeurs, y compris, ceux fictifs. En la matière, la création de “coquilles vides”, d’entreprises fictives, est un phénomène qui s’est amplifié, constate Pascal Pons. “De plus en plus, on va chercher les données de revenus auprès de nos partenaires, ça évite les erreurs et de donner de mauvaises idées aux fraudeurs potentiels, à l’avenir cela va concerner la prime d’activité et le RSA”, fait-il valoir. Et au niveau national, l’Assurance maladie est en train de se doter d’un pôle de 60 cyber-enquêteurs pour “professionnaliser” la détection des fraudes en prospectant les données de la toile et des réseaux sociaux, véritables mines d’informations personnelles...
... et usurpation d’identité
Des cyber-spécialistes devenus indispensables face à l’inventivité et “au talent” des fraudeurs, confirme Sébastien Faure-Rouquié, directeur de France Travail Cantal : “C’est une course, et on est plutôt suiveurs même si en complétant nos actions les uns les autres et via les interconnections informatiques, on peut être dans la prévention des trop-perçus.” Tendance du moment pour escroquer les indemnités chômage : l’usurpation d’identité, y compris pour des personnes résidant à l’étranger, et le changement de Rib. C’était d’ailleurs la visée de la cyberattaque d’ampleur qu’a subie récemment France Travail, “mais notre fonctionnement en silo a permis que personne ne perde un centime d’euro”, tient à préciser Sébastien Faure-Rouquié.
“La fraude fait toujours les mêmes victimes : nous tous, il est important qu’elle soit combattue parce que la contribution à l’impôt, les cotisations sociales... sont un des éléments du Pacte social”, martèle pour sa part le préfet, qui veut aussi battre en brèche le sentiment répandu selon lequel “tout le monde fraude”, prétexte à s’autoriser à le faire. Et d’ajouter que cette lutte anti-fraude permet aussi de tirer les fils d’autres types de délinquance : blanchiment d’argent...
Des sanctions qui pleuvent de tous les côtés
Au-delà des pénalités administratives prononcées à l’encontre des fraudeurs (62 700 € tous services confondus en 2023 dans le Cantal), un certain nombre de dossiers de fraude sont transmis au Parquet du tribunal judiciaire d’Aurillac dont le procureur Paolo Giambasi constate “qu’on poursuit davantage qu’avant à la fois pour envoyer un signal et parce que cela permet de sanctionner beaucoup plus efficacement” que les dispositifs alternatifs qui prévalaient jadis.
“On est vraiment sur une logique de poursuite et pénalisation”, insiste le procureur, évoquant des condamnations au pénal de nature pécuniaire, patrimoniale (saisie par exemple d’un bien) mais aussi plus classiques : emprisonnement avec sursis ou germe. “Quand on se fait prendre pour fraude, ça fait très mal car on travaille à plusieurs et les sanctions tombent de tous les côtés”, appuie Paolo Giambasi. Dans une affaire récente visant un professionnel de santé, la CPAM a réclamé au contrevenant 0,5 M€, le procureur autant au pénal, les pénalités du fisc ont été très lourdes et le fraudeur a été poursuivi par l’Ordre des médecins.
(1) Police nationale, gendarmerie, douanes, DDfip, Ursaff, CPAM, MSA, Caf, France Travail, ARS, Dreal, DDETSPP, direction régionale de l’emploi, du travail et des solidarités. En 2023, 124 contrôles ont été réalisés sous l’égide du Codaf, contre 54 un an plus tôt.
(2) Désormais autorisés par la loi.