Au Lioran, on enregistre les coups de foudre
Le laboratoire de recherche sur la foudre de Champs-sur-Tarentaine vient d'installer une deuxième station de détection des impacts de foudre dans le Cantal, à 1 815 m d'altitude.
La station du Lioran est l'une des rares - si ce n'est la seule France - où l'on peut chausser ses skis directement en sortant du train. Depuis le 23 mai dernier, dans le cadre d'une convention entre la Saem du
Lioran et le laboratoire de recherche sur la foudre basé à Champs sur-Tarentaine, c'est aussi la seule à héberger une station de détection des impacts de foudre. Installée sous la toiture du téléphérique du Plomb du Cantal, à 1 815 m d'altitude, par Ferdinand Patt et Raymond Piccoli, deux éminents chercheurs et chevilles scientifiques du laboratoire, cette station fait partie d'un réseau participatif, le réseau Blitzortung. Ce dernier, fonctionnel sous sa forme actuelle depuis 2010, permet la détection des décharges électromagnétiques dans l'atmosphère quasiment en temps réel (latence de quelques secondes) sur la base de quelque 3 000 stations réparties sur les cinq continents.
En France, on en compte environ 250 dont seulement la moitié serait cependant encore réellement actives, parmi lesquelles... celle implantée au laboratoire de la foudre de Champs par ces deux spécialistes et passionnés des phénomènes orageux et de leurs manifestations multiples. Le Cantal peut ainsi désormais se prévaloir de disposer de deux stations, dont la plus haute perchée en France.
Mappemonde de la foudre en temps réel
Ce mardi matin, Raymond Piccoli et Ferdinand Patt, qui ont tout deux usé leurs pupilles des nuits durant derrière la focale des plus grands télescopes de la planète, sont venus réaliser une première visite de contrôle trois mois après l'activation de la station du Lioran, un dispositif portatif pas plus grand qu'une urne de vote mais dotée d'un dispositif ingénieux(1) capable d'enregistrer les ondes d'un impact de foudre... jusqu'à plusieurs milliers de kilomètres. Le plus lointain signal enregistré pour l'heure depuis le téléphérique cantalien se situe ainsi à
9 372 km, le plus proche à 3 km. Le plus récent ? Il date ce matin du 17 août de quelques minutes seulement et a été "perçu" quasiment en temps réel par notre duo scientifique, accompagné du président du Geram (Groupe d'étude et de recherche en astronomie et météorologie) : une microcoupure électrique dans le hall du téléphérique liée à une baisse de tension. "L'impact est à 10,7 km d'ici, direction nord-est", indique Raymond Piccoli, après avoir consulté sur son smartphone l'application Blitzortung.
Sur le site internet dédié, ouvert au grand public, chacun peut ce jour-là visualiser en direct l'activité orageuse intense sur Marseille et le nord de la Méditerranée mais aussi dans l'Ouest des États-Unis... soit au total 544 impacts détectés à la minute.
Recherche scientifique et appui aux secours
Question piège pour nos chercheurs : "À quoi ça sert ?" "En premier lieu à connaître l'activité de la foudre à l'échelle mondiale quasiment en temps réel alors qu'auparavant, on ne disposait que de données a posteriori ; mais cela renforce aussi la détection au niveau local grâce à l'interconnexion des stations", fait valoir Raymond Piccoli, qui va former les gendarmes du PGHM de Murat à l'application Blitzortung. Intérêt pour les secours en montagne : pouvoir visualiser avant une intervention l'arrivée potentielle d'une cellule orageuse en ayant des informations sur sa localisation, son intensité, sa vitesse et la direction de sa progression.
De précieuses informations dont pourraient bénéficier leurs collègues de Chamonix. Ferdinand et Raymond nourrissent en effet le projet d'un partenariat avec ce PGHM de référence pour installer une station de détection à l'aiguille du Midi. "Cela permettrait aussi potentiellement d'alimenter les connaissances sur la fréquence et l'intensité des phénomènes orageux dans le massif du Mont-Blanc, orages qui pourraient aussi expliquer, en parallèle du réchauffement climatique, des éboulements de plus en plus nombreux...", soumet Raymond Piccoli, qui, avec son collègue allemand, a dû renoncer à un projet tout aussi ambitieux imaginé avec des instituts de recherche français et allemands : celui d'une station aux portes du Pôle nord à Spitzberg. "On nous dit qu'il n'y a pas d'activité foudre au pôle Nord, pour cause, il n'y a pas de station de mesure !", glisse le directeur du laboratoire, jamais à court d'initiatives scientifiques.
En 2023, c'est une étape importante qui sera franchie par le réseau Blitzortung avec l'analyse des données enregistrées depuis sa création, soit une douzaine d'années d'enregistrements d'impacts de foudre. Une analyse statistique confiée à un géomaticien qui va pouvoir étudier la géolocalisation de ces phénomènes, leur fréquence au cours de la décennie écoulée... "Et surtout corréler ces données avec d'autres, comme l'évolution de la température, des précipitations même si le pas de temps est très court... et pourquoi pas les mixer avec nos données sur les farfadets(2) ?", imagine Raymond Piccoli. "Pour l'instant, ce réseau est largement sous-exploité, c'est simplement un thermomètre de la terre et de ses phénomènes orageux", indique-t-il.
Des phénomènes aux conséquences parfois dramatiques comme récemment en Corse mais dont Ferdinand Patt rappelle qu'ils sont essentiels à toute forme de vie. "Les orages constituent un système de dépollution naturel de notre atmosphère, ils recyclent les charges électromagnétiques terrestres."
(1) Guère plus coûteux que 1 000 EUR, le double aujourd'hui avec la flambée du prix des microprocesseurs.
(2) Phénomènes lumineux transitoires visibles dans la haute atmosphère qui accompagnent les orages.