« Tous les coronavirus sont hautement transmissibles » , explique Béatrice Grasland, de l'Anses de Ploufragan
Béatrice Grasland, de l'Anses de Ploufragan, se veut rassurante sur la non-implication des animaux domestiques dans la propagation du Sars-Cov 2, et rappelle pourquoi cette famille de virus pose problème aux humains et aux animaux.
Béatrice Grasland, de l'Anses de Ploufragan, se veut rassurante sur la non-implication des animaux domestiques dans la propagation du Sars-Cov 2, et rappelle pourquoi cette famille de virus pose problème aux humains et aux animaux.
Les animaux domestiques sont-ils impliqués dans la diffusion du virus Sars-CoV2 ?
Béatrice Grasland, Anses de Ploufragan – La voie d’infection du Sars-Cov2 est interhumaine, par contact ou par inhalation de gouttelettes émises lors de toux ou d’éternuements. Selon l’avis scientifique de l’Anses en date du 4 mars dernier , il n’existe pas de preuve suffisante pour dire que les animaux domestiques (rente et compagnie) jouent un rôle dans la transmission du Sars-Cov-2, (NDLR : en français Sras ou syndrome respiratoire aigu sévère) à l’origine de la maladie Covid-19 (en anglais « coronavirus infection disease (20)19 »). Par ailleurs, une éventuelle contamination par un aliment (d’origine animale ou végétale) impliquerait qu’une personne infectée rejette des particules virales sur cet aliment lors de la préparation du repas. De plus, il faudrait que le virus arrive à infecter les voies respiratoires lors du processus de mastication. C’est peu probable, mais pas à exclure totalement. D’où la nécessité d’appliquer de bonnes pratiques de manipulation et de préparation des denrées alimentaires et de cuire les aliments (au moins 4 minutes à 63°C).
Les chauves-souris sont-elles une nouvelle fois mises en cause ?
B.G.- Les chauve-souris sont des porteurs sains de beaucoup de coronavirus qu’on ne connait pas tous. Elles sont sans doute à l’origine de ce Sars-Cov 2 humain, comme le laisse penser le séquençage génétique du virus. Il y a 96.4% de correspondance (homologie) entre le Sars-Cov 2 et un virus trouvé sur une espèce de chauve-souris. La différence porte sur les gènes codant pour la protéine S, qui permet au virus de reconnaitre le récepteur de la cellule hôte et d’y pénétrer. Le virus originel de la chauve-souris a peut être muté à plusieurs endroits du génome. Ce qui lui a permis de s’adapter à l’homme et d’être transmis ensuite. Quant au pangolin, il n’est pas directement impliqué. Un virus du même sous-genre que le SARS-CoV2 a été identifié chez le pangolin mais il est plus éloigné génétiquement du SARS-CoV2 que le virus identifié chez la chauve-souris.
Pourquoi cette pandémie a commencé en Asie ?
B.G.- Cela peut être une conséquence de la déforestation. Avec la réduction de leur habitat, les chauve-souris ont plus souvent des contacts avec d’autres mammifères, dont les humains. Ce qui augmente le risque de transmission entre espèces. Cela peut aussi être dû à la vente d’animaux sauvages porteurs du virus sur des marchés.
Comment le Sars-Cov-2 pourrait infecter les animaux ?
B.G.- Plusieurs étapes doivent s’enchainer pour le virus infecte les animaux et se multiplie. Premièrement, il faudrait que sa protéine S puisse se fixer sur les récepteurs cellulaires ACE2 des voies respiratoires des animaux. Avec le Sars-Cov-2, c’est possible in vitro sur des cellules de singes et de chauve-souris. Chez le porc, les études sont contradictoires et sont à poursuivre. Ensuite le virus doit s’exprimer dans les cellules infectées. Avec le Sars-Cov2, à Hong Kong un chien a été détecté porteur d’ARN, mais on ne sait pas si le virus était infectieux. L’animal a pu être contaminé passivement sans produire de virus infectieux. C’est peut-être un cul de sac d’infection.
Les coronavirus des animaux et de l’Homme sont-ils proches ?
B.G.- La famille des coronavirus regroupe beaucoup de virus qui sont classés en quatre genres (alpha, beta, gamma, delta connu depuis 2012). Ils infectent l’homme ou les animaux de manière spécifique. Les quatre genres touchent les mammifères, mais principalement les alpha, beta et delta-CoV. Le Sars Cov 2 est un béta coronavirus qui diffère génétiquement d’autres beta-CoV infectant les bovins, les porcs ou le cheval.
Les volailles sont surtout infectées par les gamma-Cov : le coronavirus de la bronchite infectieuse (IBV) connu depuis très longtemps, le TCov chez la dinde et le Gf-Cov chez la pintade.
En porc, il existe le béta coronavirus PHEV et les virus alpha-coronavirus de la DEP (diarrhée épidémique porcine), de la GET (gastro entérite transmissible) et le CVRP (coronavirus respiratoire porcin) à tropisme respiratoire, lui-même issu d’un virus GET ayant muté. Sorte de vaccin naturel, ce GET mutant aurait d’ailleurs permis de diminuer l’incidence de la GET dans les années 1980 en Europe.
Les transmissions animal- homme sont-elles fréquentes ?
B.G.-Non, chez l’homme, nous avons connu trois événements à syndromes respiratoires aigus sévères depuis dix-sept ans dus à des beta-coronavirus. D’abord le premier Sars-Cov de chauve-souris en 2003 qui a transité par la civette; puis en 2012 le syndrome respiratoire sévère du Moyen Orient (Mers) transmis par le chameau, et maintenant le Sars-Cov2.
Comment apparaissent ces nouveaux virus ?
B.G.- Les coronavirus sont de gros virus avec un grand génome à ARN structuré en trois dimensions . Il faut l’imaginer comme une pelote avec de nombreuses boucles entremêlées. Ces virus sont connus pour subir des recombinaisons, notamment au niveau du gène S. Une recombinaison est un échange de fragments de génome qui peut se produire si les molécules génomiques de deux coronavirus différents se rencontrent dans la même cellule hôte. Ce qui peut aboutir à un nouveau virus ayant une cible et une attirance (on parle de « tropisme ») différentes. Par exemple, chez le porc les virus DEP et GET ont pu recombiner pour donner un nouveau virus GET presque complet ayant le gène de la protéine S du virus DEP.
Quels sont les points communs entre tous ces coronavirus ?
B.G.- Leurs tropismes sont majoritairement respiratoires et/ou digestifs, autant chez les mammifères que les oiseaux, ces derniers présentant également souvent des troubles de la reproduction (chutes de ponte). D’autre part, la dose minimale infectante est très faible. En dinde, le niveau infectant est indétectable avec les outils diagnostique existants. Pour la DEP, une microgoutte suffirait. Ce sont donc des virus hautement transmissibles. Leur R0 (en gros : nombre d’individus sensibles infectés en moyenne par un individu porteur) est égal à 20 pour le coronavirus de la bronchite infectieuse (IBV), et potentiellement plus élevé pour le coronavirus de la dinde (TCoV). En revanche, la létalité varie selon le virus et d’autres facteurs. Une souche du virus DEP du porc cause 10 à 20 % de mortalité sur les porcelets et rien sur les adultes. Aux USA, avec une souche différente, la mortalité était de 95 à 100 % des porcelets sous la mère. Chez les bovins, les veaux sont aussi les plus susceptibles. Avec le Sars-Cov2, ce sont plutôt les enfants qui sont moins sensibles à la maladie mais sont fortement excréteurs du virus. Enfin, la durée d’excrétion des coronavirus par le malade est de l’ordre d’une quinzaine de jours. Les études sur la cinétique d’excrétion par les anciens malades se poursuivent.
La vaccination est-elle l’arme absolue ?
B.G.- La meilleure mesure de contrôle et de gestion chez les coronavirus animaux passe en effet par la vaccination. Sauf qu’elle est imparfaite. Les vaccins limitent la transmission, mais n’arrêtent pas l’excrétion du virus sauvage. La protection croisée est faible quand la souche vaccinale et sauvage différent (elles sont dites hétérologues). L’immunité vaccinale n’est pas non plus très longue, surtout avec un virus à tropisme digestif. Chez la truie, il faut revacciner plusieurs fois , au moins à chaque portée. Même chose sur les volailles reproductrices.
Le virus vaccinal vivant atténué peut aussi se recombiner avec du virus sauvage, ce qui peut changer le tropisme du virus recombiné voire entrainer le retour vers une forme plus pathogène. Ce risque a été démontré en aviaire comme en porcin, avec des souches vaccinales redevenues pathogènes continuant de circuler. Il ne faut donc pas vacciner si des signes cliniques font penser à un coronavirus. Je rappelle que les vaccins vivants sont plus efficaces que les inactivés chez le porc. Il est recommandé de ne pas vacciner avec deux vaccins vivants en même temps ou à des intervalles très rapprochés.
Hormis la vaccination, quelle solution reste-t-il ?
B.G.- Avec la vaccination, les barrières sanitaires sont les leviers les plus faciles et les plus rapides à mettre en œuvre et sont nécessaires pour assurer l’efficacité de la vaccination. Cela a été montré avec la DEP : grâce à la biosécurité, un élevage de porcs atteints de DEP peut rester sain dans des locaux à moins de dix mètres. En revanche, il faut adapter les mesures au niveau et à la vitesse d’excrétion du virus.
A l’heure actuelle sur quelles thématiques coronavirus travaille l’Anses ?
B.G.- A l’Anses, les coronavirus concernent quatre équipes de trois laboratoires. Au laboratoire de Ploufragan (22), six personnes étudient les coronavirus aviaires et porcins, et notamment l’évolution génétique des coronavirus aviaires, les recombinaisons entre coronavirus, développent un outil de diagnostic sérologique du TCov chez la dinde (inexistant pour la souche européenne), étudient la transmission entre espèces de volailles (proximité entre IBV du poulet et TCov de la dinde). S’ajoutent des personnes aux laboratoires de Nancy sur la faune sauvage de Maisons-Alfort sur les chiens/chats. Nous ne faisons pas de recherches sur les coronavirus en Bovins.
Quels impacts aura la pandémie de Sars-Cov2 sur vos recherches ?
B.G.- Cette pandémie va susciter un regain d’intérêt pour les études sur les coronavirus animaux et en particulier sur des modèles animaux d’infection par du Sars-Cov2. Il faut s’attendre à des appels à projets européens plus nombreux.
En savoir plus :
sites de l'Anses de Ploufragan, de Maisons Alfort et de Nancy
Curriculum
Béatrice Grasland dirige l’unité « virologie, immunologie, parasitologie aviaires et cunicoles » au laboratoire Anses de Ploufragan et est responsable de l’équipe influenza aviaire et maladie de Newcastle. Précédemment, elle était depuis 2003 chargée de recherches à Ploufragan sur les circovirus et coronavirus du porc (notamment celui de la diarrhée épidémique porcine).