Répondre aux attentes sociétales et communiquer
Plutôt que de subir des évolutions brusques des modes de production, les professionnels sont invités à mieux comprendre les attentes pour mieux réagir, anticiper et élaborer des consensus.
Plutôt que de subir des évolutions brusques des modes de production, les professionnels sont invités à mieux comprendre les attentes pour mieux réagir, anticiper et élaborer des consensus.
Tout comme la santé animale est devenue une préoccupation partagée qui dépasse le cadre de l’élevage (une « seule santé » pour l’homme et les animaux), les modes de production ne peuvent plus être la seule prérogative des professionnels. Les sociétés des pays développés, avec des militants très actifs, demandent comment sont élevés les animaux. Les citoyens consommateurs souhaitent même décider comment ils le seront demain. C’est la raison pour laquelle, la dimension sociologique est de plus en plus étudiée, sous ses différentes facettes. Les acteurs sont nombreux (éleveurs, ONG welfaristes, citoyens consommateurs, pouvoirs publics, industrie agroalimentaire, distribution alimentaire…), avec autant de comportements à décrypter. La sociologue universitaire, Elsa Delanoue, a démonté le mécanisme de remise en cause provoquée par la controverse, un schéma conflictuel très utilisé par les ONG de protection animale pour faire avancer leurs idées. Les motifs de controverse sont nombreux en élevage : les impacts sur l’environnement et sur la santé, les systèmes de production (« méga élevages »), les façons d’élever (bien-être animal), l’éthique (droits de l’animal, développement durable…) et finalement la remise en cause du bien-fondé de la consommation de viande… Chaque pays développé possède ses propres controverses (méga élevages en Allemagne, poulet qui « explose » aux Pays-Bas, risque sanitaire en Italie…). Celles-ci finissent très souvent par converger et par diffuser dans d’autres pays, sous l’impulsion d’ONG qui mènent un combat global et s’inspirent les unes les autres.
Comprendre le mécanisme de la controverse
La controverse est un conflit argumenté qui engage trois acteurs : deux parties en désaccord et une opinion prise à témoin. Dans le cas présent, le monde agricole face au monde associatif qui prend à partie les citoyens consommateurs et ses représentants. Le conflit est publiquement mis en scène à travers une succession d’« épreuves », durant lesquelles le tiers est interpellé. C’est par exemple une vidéo montrant des pratiques contestées dans des élevages ou des abattoirs. L’intention est d’influer directement sur les décideurs (pouvoirs publics, centrale d’achat, groupe industriel…) et indirectement sur l’opinion pour que la norme sociale et réglementaire évolue. Les deux acteurs ont souvent des stratégies différentes : « surmédiatisation » pour l’attaquant et « confinement » pour l’attaqué. Elsa Delanoue souligne que faute de pouvoir apporter des réponses simples à des questions complexes, « la controverse produit de l’incertitude et l’incertitude produit de la controverse ». L’enjeu pour l’attaqué est de réduire la marge d’incertitude. La controverse se poursuivra tant qu’un nouveau consensus sociétal, réglementaire ou pas, ne sera pas trouvé.
Donner des réponses sociétales pertinentes
La sociologue estime qu’il faut éviter aux filières de penser qu’elles tourneront la controverse à leur avantage en trouvant des solutions techniques qui rendront provisoirement acceptables les pratiques d’élevages dont elles décidaient seules. Le cas des œufs produits en cage est exemplaire. Ce n’est pas parce qu’une norme européenne existe depuis 1999 que la controverse a cessé. Les professionnels auraient ainsi tendance à confondre normes sociales et normes réglementaires, oubliant que ces dernières ne sont pas forcément un gage de bonne pratique sociale ou éthique. Par ailleurs, certains citoyens contestataires se méfient des normes. À ce propos, Marie-Laurence Grannet (chambres d’agriculture de Bretagne) montre que l’intégration sociale du porteur de projet est primordiale lors d’une création ou d’une extension d’élevage hors-sol. Invoquer le respect de la réglementation ou des intérêts économiques ne suffit pas si le porteur de projet est socialement coupé de son voisinage. Souvent l’opposition se cristallise sur des différends locaux et non contre la nature du projet en soi. Il faut se mettre à la place des riverains et des contestataires et se poser les questions qui attendent des réponses argumentées, justes et pertinentes.
L’exemple des pays du Nord
Pour le monde agricole trois formes d’actions sont possibles, estime Elsa Delanoue : s’adapter au cas par cas (par exemple en adoptant une charte de bonnes pratiques d’élevage) ; anticiper (par exemple en décidant de réduire l’usage des antibiotiques en élevage sans attendre des réglementations) ; répondre aux évolutions sociales plus profondes (par exemple sur l’éthique animale en proposant de nouveaux systèmes de production).
C’est ce que font les agriculteurs des pays du Nord fortement mis sous pression. Ces professionnels se sont rendu compte que mieux communiquer était insuffisant, explique Christine Roguet (Ifip). Ils ont évolué vers des pratiques moins intensives qui ont un surcoût. Pour limiter l’impact sur la production en faisant payer le consommateur, plusieurs voies sont explorées : création en Allemagne d’un fonds d’aides aux éleveurs (initiative bien-être) alimenté par une cotisation sur la viande vendue en GMS ; segmentation du marché standard en Allemagne et aux Pays-Bas avec des labels d’élevage moins intensif. Christine Roguet constate qu’avec le label rouge la France a segmenté la volaille depuis bien longtemps. Mais, « quelle stratégie la France va avoir pour ses productions avicoles standard ? » demande – elle, en rappelant que l’œuf standard français n’a pas vu venir le retournement vers l’œuf alternatif.
P.L.D.