Préservation d’un patrimoine culturel
Reconstruire une filière oie dans le Sud-Ouest
Figure emblématique et historique du foie gras, victime collatérale des épizooties d’influenza, l’oie du Sud-Ouest se cherche un nouvel élan dans un marché ultra-dominé par le canard.
Figure emblématique et historique du foie gras, victime collatérale des épizooties d’influenza, l’oie du Sud-Ouest se cherche un nouvel élan dans un marché ultra-dominé par le canard.
Il n’y a pas si longtemps, ce n’est pas le canard, mais l’oie et le maïs qui faisaient la notoriété et la prospérité des campagnes du Sud-Ouest. Pour les connaisseurs, le foie d’oie est réputé plus fin et plus goûteux au palais. Représentant aujourd’hui à peine 4 % des volumes de la filière gras du Sud-Ouest, la production de l’oie grasse est en péril depuis 2016, avec l’élimination préventive des troupeaux de reproducteurs dans les zones touchées par l’influenza aviaire. Une situation paradoxale pour Christian Laforêt, président des productions animales de la coopérative gersoise Vivadour : « Le foie d’oie est LA production historique. L’oie reste l’emblème du foie gras et il faut qu’elle garde une place ».
Avant les épizooties, la filière oie battait déjà de l’aile avec une lente mais inexorable érosion de ses volumes. Le projet d’un rapprochement avait été entamé en 2015 entre les coopératives Sarlat Périgord Foie Gras, Vivadour et Maïsadour. Mis en sommeil ces deux dernières années, il reprend forme aujourd’hui avec une sécurisation accrue. Pour Christian Laforêt, il s’agit de procéder par étapes. « En repartant presque de zéro, l’important est d’abord de fiabiliser notre fourniture d’oisons sur la Dordogne, le Gers et les Landes, et de sécuriser l’accouvage pour fournir des oisons toute l’année à nos éleveurs et à la clientèle extérieure ».
Un nouveau maillage d’éleveurs repros
Compte tenu des faibles volumes, l’oie grise de Toulouse doit compter sur ses propres forces. « L’étroitesse du marché engage peu les sélectionneurs nationaux. La souche utilisée est issue de celles du groupe Orvia », précise Christian Laforêt. Les trois partenaires s’organisent en fonction de la demande d’oisons sur leur propre secteur. La Dordogne fait bonne figure avec trois éleveurs repros rescapés et deux projets. Le Gers met en route deux sites pour épauler les trois restants, tandis que les Landes s’appuient pour le moment sur celui de Chantal Brèthes, présidente des producteurs de palmipèdes de Maïsadour. « Les nouveaux élevages repros comprennent un cheptel de 600 oies et 300 jars sur 400 m2. Cela correspond à une ?? unité de main-d’œuvre. » Afin de minimiser le risque sanitaire, ces implantations seront nécessairement choisies dans des zones à faible densité avicole, sans autre bâtiment implanté à moins d’un km. D’un couvoir par coopérative, on est passé à un seul pour les trois. L’incubation se déroule au couvoir spécialisé « Les oisons du Périgord » de Prats-de-Carlux (Dordogne). Il a retrouvé son niveau d’avant influenza, avec 70 000 oisons pour Sarlat Périgord, 40 000 pour Maïsadour et Vivadour plus durement touchés ?? et 64 000 pour des éleveurs indépendants. « Un couvoir unique permet de concentrer les investissements. La coopérative de Sarlat apporte ses installations et son expertise. En contrepartie, Vivadour assure la distribution des oisons et la gestion commerciale », précise Christian Laforêt.
Une production marginale et plus compliquée
L’élevage s’organise essentiellement avec des sites de 2000 oies prêtes à gaver pour un bâtiment de 400 m2. L’oie s’avère plus compliquée à élever et à gaver qu’un canard, avec ses trois repas quotidiens et sa plus grande technicité. Mais cette difficulté s’est atténuée grâce aux travaux de la ferme expérimentale de l’oie et du canard de Coulaures (Dordogne) qui reste un lieu d’innovation. « Pour l’heure, la relance de la filière passe avant tout par la fourniture d’oisons. Nous comptons aussi sur le capital sympathie vis-à-vis d’un animal qui conserve ses passionnés attachés à la tradition », conclut Christian Laforêt. La prochaine étape importante, portée par Chantal Brèthes présidente du Palso (1), concerne la reconnaissance de l’IGP oie du Sud-Ouest avec ses quatre déclinaisons (Gers, Landes, Quercy, Périgord). L’intérêt est de travailler collectivement au sein d’une structure souple d’accompagnement qui permet aux bassins de production de commercialiser leur production en toute indépendance. Ensuite, il pourra être envisagé d’augmenter les volumes.
(1) Association pour la défense et la promotion des produits de palmipèdes à foie gras du Sud-Ouest.
L’arrivée de l’oie repro chez Luc Gonzalez
Chez Luc Gonzalez, céréalier à Fleurance (Gers) sur une centaine d’hectares convertis en bio, l’oie de reproduction l’a emporté sur le poulet label pour apporter du revenu sur une surface moindre. Le bâtiment obscur de 400 m2 abrite 600 oies et 300 jars avec un parcours arboré. L’investissement est de 110 000 euros, équipement compris : chaîne d’alimentation, pipettes, ventilation dynamique, traitement de l’eau. Les nids en bois sont fabriqués par l’éleveur. L’ensemble permet de travailler dans de bonnes conditions. La biosécurité est soignée, avec deux sas : l’un pour l’élevage et son parcours, l’autre pour la gestion des œufs à couver. L’oie est une exception car pour pondre elle doit bénéficier d’un parcours et demande la lumière naturelle. En cas de risque sanitaire avéré, la réduction du parcours à son minimum semble être le seul recours avant la claustration totale qui perturberait le cycle de ponte.
Bien gérer son organisation de travail
Avec une production prévisionnelle de trente mille œufs incubables par an (50 par oie en moyenne), son revenu annuel devrait être de 27 000 euros, avant MSA. Cette bonne rentabilité a une contrepartie. « C’est un choix qui engage à long terme et c’est une production bien particulière. Il se passe onze mois avant les premiers œufs et nous gardons les oies presque cinq ans, en alternant cycle de ponte et phase de repos sur quatre saisons par période de six mois. Cela nécessite une surveillance constante, notamment de vérifier le poids et l’état sanitaire. La ponte se déroule les six premiers mois de l’année. Elle s’insère bien dans mon organisation du travail », précise Luc. Après une heure trente de travail journalier pour l’élevage, la charge de travail s’accroît considérablement en ponte. Il faut compter 3 h 30 par jour avec trois ramassages et le conditionnement sur alvéoles avant le stockage au froid. Si tout est nouveau pour lui, il sait qu’il peut compter sur le service technique de sa coopérative Vivadour, d’autant que sa production représentera 20 % des besoins gersois. De son côté, Vivadour a veillé au choix du site : l’éleveur, la situation géographique (pression sanitaire faible), l’accessibilité (transport des œufs). En attendant le jour J du début des pontes, Luc s’habitue à ses nouvelles compagnes. « Elles sont d’un naturel curieux et on a tôt fait de s’y attacher. »
L'oie grasse en chiffres
- 50 à 60 % de baisse des volumes en deux ans
- Mises en place : 155 000 oisons en 2017 (-2 %/2016)
- Production : 237 000 têtes en 2017, soit 181 tonnes de foie en baisse de 60 % par rapport à 2015
- Importation : 302 tonnes en 2017 (à 95 % de Hongrie), en baisse de 52 % par rapport à 2015
- Consommation : 119 tonnes achetées en GMS (1,5 % des ménages acheteurs)
Source : Cifog, rapport économique annuel 2017