L’ovosexage des canetons passe à la vitesse supérieure
Possible à grande échelle depuis quelques mois, l’ovosexage des canards se met d’abord en place dans la filière du canard à foie gras. Les trois opérateurs sur les rangs monteront en puissance en 2025.

Comme dans la filière des œufs de consommation qui ne valorise pas les coqs frères des poules pondeuses pour des raisons économiques, les deux filières canard sous-valorisent leurs canettes en élevant plus de mâles pour la viande et pour la production de foie gras.
Les accouveurs sont donc conduits à éliminer à la naissance une part plus ou moins grande des femelles. Mais, cette pratique de « non-élevage » que certains qualifient de « caillou dans la chaussure » est de plus remise en cause par la société civile. C’est ce qui a poussé les professionnels à chercher comment éviter de faire naître les mâles en filière ponte et les femelles dans la filière du canard, en priorité à foie gras.
Avoir des souches autosexables à l’œil
En canard, la détermination très précoce du sexe est possible, à condition d’utiliser une souche autosexable à l’œil. Le phénotype « yeux rouges », découvert en 1995 par Orvia, est aujourd’hui proposé par les sélectionneurs Orvia et Grimaud Frères. L’expression du gène récessif porté par le chromosome sexuel Z dépend de l’autre chromosome Z ou W. Une femelle ZW porteuse du gène récessif aura toujours les yeux rouges, tandis qu’un mâle ZZ porteur du gène dominant sur l’autre chromosome Z sera toujours « yeux noirs ».
Le second obstacle à franchir a été technologique. Grâce aux progrès gigantesques de l’imagerie et de l’intelligence artificielle, la technique d’ovosexage a fortement progressé ces dix dernières années. Elle permet de différencier le degré de pigmentation des yeux précocement (9 à 10 jours), rapidement (quelques millisecondes) et de manière fiable, le tout sans effraction de la coquille.
Trois opérateurs plus ou moins avancés
Où en sont les deux sélectionneurs Grimaud Frères et Orvia, ainsi que l’accouveur Sud-Ouest accouvage, filiale du groupe Maïsadour, qui ont développé un dispositif ? Tous ont pris du retard sur leur planning prévisionnel d’ovosexage à grande échelle.
Il avait été annoncé pour 2021-2022 chez Orvia, pour janvier 2023 chez Grimaud et pour juillet 2024 chez Sud-Ouest accouvage. Mais ces entreprises ont été secouées par les impacts de l’influenza aviaire sur leurs troupeaux et par les conséquences commerciales, lesquels ont changé l’ordre des priorités. D’autre part, leur lancement commercial a été calé sur l’accord interprofessionnel officialisé en avril 2024 (voir ci-contre).
1- Chez Grimaud Frères, « nous traitons de grands volumes depuis juillet 2024 »

Baptisé Lunix, le procédé de lecture dans l’œuf du sélectionneur Grimaud Frères a été élaboré pour sa solution de lecture dans l’œuf avec les sociétés SEeMax et Sogeti high-tech (filiale de Capgemini). Dévoilé en juin 2020, le concept fut doublement primé au Space et au Sommet de l’élevage de la même année.
Le système est réellement opérationnel depuis le début de l’année 2024. « Presque la totalité de nos mulards sont ovosexés depuis juillet 2024 », relate Yann Lepottier, directeur de Grimaud Frères.
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La société a installé son système au couvoir de Sèvremoine (Maine-et-Loire), qui sexe aussi les embryons de son deuxième couvoir de mulards situé en Vendée (Les Epesses) situé à moins de 40 km. Grimaud Frères a repensé sa logistique des flux d’œufs à couver, ainsi que la gestion des couvoirs. L’ovosexage à 9 à 10 jours permet de libérer les incubateurs de la moitié de leur charge en œufs, et cela pour les deux tiers du temps d’incubation restant. Ceci correspond aux canetons femelles qu’il n’est plus nécessaire de faire éclore si elles ne sont plus commercialisées.
Coté technique, « il sera très difficile d’atteindre l’objectif de 100 % de mâles éclos, car c’est du vivant, souligne Yann Lepottier. Il y aura toujours des embryons au développement plus ou moins rapide que la moyenne et qui sortent de la fenêtre de lisibilité permise par la technologie ».
2 – Chez Orvia, « nous visons à ovosexer site par site »

Après une communication du groupe Orvia importante en 2020 et 2021, notamment à l’occasion de l’obtention de la mention spéciale 3 étoiles et le coup de coeur du jury aux Innov’Space 2020, la grippe aviaire est venue perturber la commercialisation de mulards ovosexés. Néanmoins, le dispositif de sexage baptisé Soc est installé à l’échelle industrielle au Couvoir Sèvre et Maine, situé au Pin dans les Deux-Sèvres, avec une détermination simultanée par casier de 36 œufs, soit une cadence proche des 20 000 œufs par heure qui permet de sexer in ovo l’essentiel des volumes du couvoir.
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« Nous montons en puissance, relate Sylvain Brosseau, porte-parole du groupe. Notre volonté est de déployer la technologie dans tous les couvoirs, avec le souci que chacun soit autonome. Dès que la technologie sera mature, nous adapterons notre solution aux quatre autres couvoirs mulard. Nous avons pour objectif de continuer à optimiser le couple cadence-fiabilité, en travaillant notamment sur la propreté des œufs. Enfin, nous progressons pour intégrer nos souches Barbarie et Pékin dans le processus d’ovosexage ».
3 Chez Sud-Ouest accouvage, « Nous démarrerons en grande série d’ici juillet prochain »

La filiale du groupe coopératif Maïsadour n’a pas encore communiqué sur l’ovosexage des mulards, comparativement à ses deux fournisseurs de souches de canards, concède Céline Mazé, directrice de Sud-Ouest accouvage. « Notre structure interne de R & D – commune avec Vivadour – s’y intéresse depuis 2013 avec plusieurs partenaires. Notre robot de sexage a été prêt en février 2024 et nous avons mené la phase de mise au point et de tests toute cette année-là. » Le système est installé au couvoir d’Aignan (Gers), le plus important des trois couvoirs (Horsarrieu et Carcarès-Sainte-Croix dans les Landes).
Céline Mazé pronostique un démarrage à l’échelle commerciale au plus tard en juillet prochain, sauf contretemps inattendu. « Notre souhait est de parvenir à traiter 100 % des œufs incubés à Aignan d’ici la fin de l’année. Pour les couvoirs landais, nous n’avons pas décidé si nous y installerons des machines plus petites et moins automatisées, ou si nous transporterons les œufs à Aignan. Il faudra prendre en compte la pénibilité du travail, notamment la manipulation des casiers. » Sud-Ouest accouvage sera en capacité de sexer in ovo plus de 80 000 œufs par jour.
Le saviez-vous
Une étroite fenêtre de lisibilité
L’œil se pigmente à partir du huitième jour du développement embryonnaire. L’âge idéal de détermination se situe aux alentours du neuvième jour d’incubation, car l’œil est encore plaqué contre le bord interne de la coquille. Au-delà du dixième jour, l’embryon commence à s’enfoncer vers le centre de l’œuf. Cette migration réduit les performances du mirage réalisé au même moment pour éviter une double manipulation des casiers.