Olivier Mével : « La filière du poulet label rouge devrait se réarmer ! »
Selon Olivier Mevel, consultant en stratégie et marketing des filières alimentaires, la filière Label rouge souffre d’un défaut de positionnement structurel de ses produits. Pour s’en sortir, elle doit retravailler son image, mais aussi son concept et son approche du marché.
Olivier Mevel est enseignant maître de conférences à l’université de Bretagne occidentale en sciences de gestion, commerce, logistique et distribution. Il est aussi consultant en stratégie et marketing des filières alimentaires.
Pourquoi le poulet Label rouge (LR) est-il si présent en GMS, relativement aux autres viandes ?
Olivier Mevel - « Contrairement aux autres filières viandes, celle du poulet a trouvé sa segmentation selon les usages : entier, découpe et produit élaboré. Pour se donner une image, les GMS ont eu intérêt à surreprésenter le Label rouge entier, en prenant des marges raisonnables. D’un autre côté, elles l’ont sous-représenté en découpe, en misant sur une volaille certifiée ou standard pour faire du cash.
Ça fonctionnait très bien, sauf que les modes de consommation du poulet ont évolué vers moins d’entier et plus de découpe. Quand on affiche la découpe LR à 40 euros le kilo, ça devient du non-sens. C’est au-dessus de la valeur perçue par le consommateur et le produit est condamné. Aujourd’hui, moins la GMS expose de LR, mieux elle se porte, surtout en période économique tendue. »
La filière label mise pourtant sur le transfert des achats de l’entier vers la découpe.
O.M- « Ceux qui ont les moyens d’acheter du LR sont aussi ceux qui font la cuisine et qui « mettent le couteau dans la viande ». Ils achètent du poulet entier, mais pas LR et ailleurs qu’en GMS ; beaucoup en boucherie et chez des distributeurs spécialisés (type Grand Frais) ou encore de surgelés (Picard, Ecomiam, Thiriet).
Par ailleurs, les GMS perdent beaucoup de consommateurs (54 % des acheteurs en 2023 contre 58 % en 2019). Cet éparpillement des achats joue contre le LR découpé. De plus, la restauration commerciale, autre cible des opérateurs du Label rouge, recule également. »
Comment ces distributeurs spécialistes considèrent-ils le Label rouge ?
O.M- « Comme pour la viande bovine, ils font plutôt confiance à des producteurs locaux qu’ils connaissent et pas forcément à un Label rouge. Accordant crédit au spécialiste, le client achète sans se poser la question, d’autant plus si le terme 'Label rouge' ne lui parle pas et qu’il ne l’associe pas à 'fermier'. »
Le poulet Label rouge est-il vendu au bon prix ?
O.M- « Avant la loi Egalim, deux tiers du poulet LR était vendu en promo aux alentours de 6,50 euros le kilo. La filière a mis le doigt dans un piège mortel car le consommateur est rentré dans une logique d’achat d’aubaine. Comment espérer vendre beaucoup plus cher en fond de rayon le reste du temps ?
La loi Egalim a certes réduit la promotion LR, mais cela n’a pas augmenté sa valeur perçue par les consommateurs. Le Label rouge n’est recherché que pour 7 % de la valeur attribuée à une volaille, à comparer aux 29 % accordées aux conditions d’élevage. On ne devrait faire de la promotion qu’en cas de surproduction, qui est peut-être arrivée à cause du phénomène de descente en gamme qui se produit partout. »
Quelles seraient les solutions de rebond ?
O.M- « Je ne suis pas sûr qu’il suffise d’attendre la fin de la surproduction pour se relancer. Il serait temps de réarmer le Label rouge pour reconquérir des consommateurs. Tout d’abord, avoir une communication qui touche les vraies attentes des consommateurs.
Aujourd’hui, le goût passe après les conditions d’élevage insuffisamment mises en avant, tout comme le local et la responsabilité sociétale qui montent en flèche. Pour les consommateurs exprimant des attentes sociétales, le Label rouge est considéré comme un produit de moyenne gamme vendu trop cher pour l’image qu’ils en ont.
Même si la GMS fixe le prix, au final c’est quand même le consommateur qui tranche. Je rappelle que 80 % des Français mettent le prix en avant, avec 30 % parce qu’ils y sont contraints et 50 % pour le rapport qualité/prix. Or, les fournisseurs se battent surtout pour toucher les 20 % qui restent.
Par ailleurs, le concept LR a beaucoup vieilli, avec un cadre dans lequel tout le monde doit rentrer, ce qui conduit à des écarts peu différenciants entre labels. Il faudrait peut-être réfléchir à plusieurs niveaux de Label rouge, qui permettraient de proposer ce dont le consommateur a besoin, sans renoncer aux fondamentaux (plein air notamment). Et passer d’une logique de flux poussé à un flux tiré. Ce qui nécessite de définir la taille adéquate du marché, quitte à prévoir des alternatives pour les éleveurs. »