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L’Ukraine, futur Brésil européen

Dotée d’un énorme potentiel agricole et de méga entreprises agroalimentaires, l’Ukraine pourrait devenir le Brésil des années 2020… aux portes de l’Union européenne.

Grenier à blé de l’Union soviétique des belles années, l’Ukraine est revenue sur la scène internationale du commerce des grains au cours des années 2000. Et c’est depuis peu qu’elle émerge comme un nouvel opérateur international sur les marchés de la viande de poulet et des œufs. Depuis son indépendance en 1991, à la chute de l’empire soviétique, l’Ukraine a vu son agriculture profondément évoluer. La décennie 90 a été celle de l’effondrement économique qui a plongé dans une quasi-économie de guerre un pays non préparé à l’ouverture au marché. Vivant sous un régime économique planifié, l’élite dirigeante sans repère a d’abord été incapable de s‘adapter à une économie concurrentielle. À l’échelle industrielle, la production animale a quasiment disparu alors que la production locale de subsistance survivait. Le nouvel élan est venu à partir de 1998 avec la réforme du secteur agricole. Les terres ont été privatisées et sont non-cessibles, mais elles peuvent être louées. Aujourd’hui, coexistent trois formes d’agriculture issues du démantèlement des systèmes collectifs et de la privatisation foncière (« la terre à ceux qui la travaillent »). La première catégorie d’exploitants regroupe environ 7 millions de villageois sur quelques hectares au maximum, élevant aussi pour leur propre consommation et vendant localement leurs excédents. Ils occuperaient 40 % des terres. L’extrême majorité d’entre eux alimente une économie informelle mal connue des statistiques officielles, par ailleurs approximatives. La seconde catégorie regroupe environ 55 000 exploitations familiales ou sociétaires pouvant atteindre jusqu’à 10 000 hectares. Elles détiendraient environ 35 % du territoire agricole et produiraient 45 % du résultat agricole national (15 % en volaille et 50 % en œufs). Enfin les entreprises agricoles ou « agro holdings » sont moins de 200, avec des surfaces louées pouvant dépasser les 100 000 hectares, la plus importante revendiquant de 650 000 hectares (Ukrlandfarming). Elles occuperaient 15 à 20 % de l’espace agricole.

Le redémarrage à marche forcée

Les agro holdings ont été bâties à l’initiative d’hommes d’affaires proches du pouvoir politique à partir de la fin des années 90. Ces « oligarques » ont parfois acquis des biens de manière douteuse, comme ailleurs (industrie, métallurgie). Cette proximité entre pouvoir politique et pouvoir économique (l’un servant l’autre et vice-versa) est acceptée par la société dans la mesure où le peuple peut en bénéficier par des emplois et par l’augmentation de la richesse globale. Mais cela se manifeste aussi par une vaste corruption qui touche toute la société.

Dotés d’appuis, ces hommes d’affaires purent louer les terres que ne pouvaient pas exploiter les petits paysans, faute d’argent et d’équipements. Les agro holdings ont aussi rempli le rôle social des anciens kolkhozes, en employant une partie des ruraux qui louent leurs terres. Ces sociétés ont commencé par produire des matières végétales, puis certaines se sont spécialisées dans le poulet ou dans l’œuf. Lorsque la crise des pays asiatiques s’est répandue en Europe de l’Est, cette élite d’oligarques a été financièrement encouragée à redévelopper l’agroalimentaire pour nourrir la population. À commencer par la volaille qui peut rapidement fournir des protéines à bas prix.

Intégration verticale poussée à l’extrême

Pour Alex Lissitsa, pdg d’Industrial milk company (IMC) et président du club ukrainien des agro holdings (Ukab), « la caractéristique de ces entreprises est d’avoir dû constituer une chaîne d’approvisionnement complète du champ à l’assiette. » Tous les maillons de production sont intégrés. En matière d’élevage, les entrepreneurs se sont fournis en génétique, en équipements et en méthodologie ayant fait leurs preuves dans les pays développés. Ces moyens ont été appliqués à grande échelle. Un site d’élevage de poulets se conçoit avec au moins une dizaine de bâtiments. De plus, explique Jean-Jacques Hervé, successivement ex-conseiller du ministre de l’Agriculture et du Crédit Agricole en Ukraine jusqu’en juillet, les fournisseurs étrangers ont accordé des crédits qui ont permis de démarrer avec peu. Par la suite, ces entreprises ont fait appel à des financements étrangers (fonds d’investissements, banques…), notamment en étant cotées sur des bourses européennes (Varsovie, Londres, Francfort). C’était aussi un moyen de se protéger de prises de controles forcées.

Un marché demandeur et ouvert

Structurellement déficitaire, le marché ukrainien a absorbé tout les produits frais qui se sont peu à peu substitués aux importations de viande congelée. Ce qui a permis aux premières agro holdings de se développer très rapidement. Les deux leaders, Avangardco en œuf et Mironovsky en poulet, revendiquent plus de 50 % du marché chacun. En moins de dix ans, le niveau de production d’avant l’indépendance a été dépassé et le marché intérieur s’est saturé. La production industrielle est passée de 20 000 tonnes en 2000 à 650 000 t en 2009 et 975 000 t en 2015. Aujourd’hui, la consommation annuelle par tête atteindrait les 24 kg de volaille (sur un total de 51 kg) et les 270 œufs, mais elle devrait plafonner, compte tenu de la crise sévissant depuis fin 2013.

Une stratégie clairement exportatrice

Après avoir saturé leur marché, les agro holdings se sont tournées vers l’exportation, à la fin des années 2000 en œuf et depuis 2013 en volaille. Elle a débuté vers les ex-pays soviétiques (Biélorussie, Kazakhstan, Moldavie, Russie…) puis vers le Proche et Moyen-Orient géographiquement proches. Depuis fin 2013, la stratégie expansionniste change de cible avec le conflit russo-ukrainien. L’annexion de la Crimée par la Russie et la guerre civile à l’Est se sont soldées par la fermeture du marché russe et de ses satellites. Dans ces régions, certaines agro holdings ont perdu des consommateurs, des terres et des outils industriels. La crise économique a ralenti la consommation et fait chuter les rentabilités. La forte dévaluation de la grivna(1) a renchéri les coûts d’importation mais rendu les produits exportés plus compétitifs. Au bout du compte, avec des coûts de main-d’œuvre et d’alimentation quasi équivalents à ceux du Brésil ou de l’Argentine, les produits ukrainiens ont des atouts à faire valoir, notamment sur l’Europe, surtout depuis la signature de l’accord d’association en 2014.

Cette stratégie d’expansion et cette compétitivité peuvent inquiéter les entreprises et les éleveurs de l’UE, car il est possible d’expédier du poulet frais en Allemagne ou aux Pays-Bas en moins de 48 heures. Pour l’instant, les quotas à droit nul sont modérés, mais jusqu’à quand ? Selon Serguei Karpenko, représentant de l’union des agro-holdings avicoles, « les Ukrainiens sont prêts à expédier dix fois plus pour prendre la place des brésiliens et des thaïlandais, sans concurrencer les producteurs européens. » Les produits ukrainiens sont-ils compétitifs même en payant des droits à taux plein ? Ayant investi aux Pays-Bas, MHP veut le croire. Dans l’œuf, la situation est presque similaire. Dans un contexte de surproduction, l’export est actuellement le seul débouché rémunérateur.

(1) Un euro = 27, 76845 grivna
« Des atouts structurels considérables »
en savoir plus

Une économie marquée par les crises

Un PIB de 3000 $ par habitant (43000 $ en France) ; évolution de -7 % en 2014 et -10 % en 2015
Un salaire moyen de 200 euros
un taux de chômage de 9,5 %
Une inflation de 43 % en 2015, en forte baisse en 2016
Une monnaie qui a chuté de 60 % depuis janvier 2014 (11,4 grivnas contre 27,7 fin juillet)
Des taux bancaires élevés (19 % par an en juin, 26 à 28 % auparavant)

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