Qu’est ce qui a changé pour les filières animales depuis une quinzaine d’années ?
Hervé Le Prince - « Deux éléments fondamentaux. D’abord, nous sommes bien dans une mutation profonde qui impacte les filières, et non dans une succession de crises liées à des accidents déclencheurs. Par définition, la crise est un pic puis une retombée au point de départ. Nous ne reviendrons pas à la situation d’avant-crise. Il ne s’agit plus de faire le dos rond, mais de réagir et de s’adapter. Ensuite, l’éthique se substitue désormais à la loi et à la réglementation et entraîne des changements imposés à la filière. Les œufs issus de poules en cage en sont l’exemple. »
Comment en est-on arrivé là ?
H. L. P. - « Il y a eu le travail de sape d’organisations animalistes et abolitionnistes. Avançant sous le masque de la défense des animaux, elles finissent par susciter une défiance alimentaire quasi généralisée, du moins dans les médias. Ces mouvements ont réussi à politiser notre alimentation en construisant un récit militant. Ils ont su donner du sens à notre alimentation en jouant sur quatre tableaux : l’animal souffrant, la dégradation de notre santé, la destruction de la planète et en dernier lieu la facette anti-industrie (vaches à hublot récemment). Ils veulent changer le monde en commençant par l’alimentation. Pendant ce temps, les filières tenaient un discours de marques visant nos estomacs. »
Les filières animales portent donc leur part de responsabilité…
H. L. P. - « Elles ont laissé à d’autres le soin de soulever le capot de l’élevage et de l’abattage. D’où les images choquantes qui soi-disant ne mentent pas. C’était à la profession de le faire et de le gérer. Il y avait des éleveurs ou des abattoirs non conformes : il fallait les accompagner pour s’améliorer ou s’arrêter. Il aurait fallu fixer un seuil de tolérance aux différents stades des filières. On doit changer les pratiques qu’on ne veut pas montrer. Il est important de s’inscrire dans une démarche de progrès et de prendre de la hauteur. Cela permet de répondre aux attentes en annonçant un agenda d’améliorations et pas le couteau sous la gorge. »
Comment reprendre la main ?
H. L. P. - « Continuer à faire du marketing produit, mais pas uniquement. Les professionnels ont à construire un récit militant qui redonne du sens à l’alimentation. Ce qui veut dire parler de l’élevage et des process agricoles et industriels. Le consommateur veut savoir d’où vient et comment est fabriqué ce qu’il a dans son assiette. Il faut redire pourquoi adopter un régime alimentaire omnivore équilibré est ce qu’il y a de mieux. »
Sous quelles formes communiquer et avec qui le faire ?
H. L. P. - « La recette est simple : ouvrir les portes et aller à la rencontre des citoyens-consommateurs. C’est ce qui a démarré en Bretagne avec les portes ouvertes à la ferme d’agriculteurs de Bretagne, avec les visites dans les entreprises agroalimentaires de Breizh agri Food, avec les Happig hour du comité régional porcin de Bretagne : des éleveurs vont à la rencontre des consommateurs à l’heure de l’apéritif ou encore au festival des Vieilles Charrues cet été… Chacun peut le faire et surtout les éleveurs. Qu’ils n’hésitent pas à faire visiter leur élevage. C’est là qu’ils sont le plus à l’aise et inattaquables pour parler de leur quotidien, montrer qu’ils travaillent bien et qu’ils ont su évoluer. Cela vaut également pour les salariés de toutes les entreprises. En résumé, ils doivent entendre les attentes, agir pour y répondre en tenant compte de leurs contraintes (marché, rentabilité…) et le faire savoir. »
Faut-il tout montrer ?
H. L. P. - « Les opposants qui veulent éliminer l’élevage de la planète ont brisé un tabou, en montrant la souffrance et la mort que personne n’a vraiment pas envie de voir. On peut raconter sincèrement la mise à mort, mais la montrer est la limite à ne pas dépasser, même au nom de la transparence. »
« Entendre, agir et communiquer »