La course au sexage des embryons de poule
Parmi les nombreuses start-up qui travaillent sur l’ovosexage, la société allemande Seleggt semble avoir pris un temps d’avance, du moins du point de vue de la communication.
Parmi les nombreuses start-up qui travaillent sur l’ovosexage, la société allemande Seleggt semble avoir pris un temps d’avance, du moins du point de vue de la communication.
Le mercredi 17 avril, Ludger Breloh, PDG de la société Seleggt était présent chez Poulehouse dans le Limousin pour faire la promotion de la technologie du sexage hormonal des embryons de poule pondeuse d’œuf de consommation. « Notre procédé se déroule en plusieurs étapes, détaille le PDG. D’abord, on sort l’œuf de l’incubateur à neuf jours ; on voit s’il est fertile et si c’est le cas on fore au laser un orifice de l’ordre de 0,2 mm de diamètre. Ensuite, on applique une différence de pression pour provoquer la sortie de liquide allantoïdien. C’est donc une technique non intrusive puisqu’on ne pénètre pas l’œuf. Cette goutte contenant le marqueur hormonal (présent chez la femelle) est mise sur un plateau d’échantillonnage qui permet de reconnaître le sexe grâce au changement de couleur. Les œufs femelles retournent en incubation, tandis que les œufs mâles sont valorisés en alimentation animale. » Ludger Breloh précise que le prélèvement prend actuellement une seconde par œuf et une vingtaine de minutes pour la réaction chimique. Avec une capacité moyenne de 3 000 œufs par heure pour l’instant, les poussins sexés concernent d’abord les petits lots. « Il est évident que nous devons améliorer le procédé si nous voulons nous attaquer aux plus gros volumes. » La technologie sera proposée en licence d’exploitation rattachée à la vente d’œufs de poules marqués "absence d’euthanasie des poussins" (free of chick culling). « Nous installons notre matériel et nous garantissons aux couvoirs que leurs poussins seront sexés sans surcoût, ajoute le PDG. Pour trois millions de poussins sexés par an, un local de 70 m2 suffit pour accueillir le matériel. » C’est le consommateur qui finance le sexage, moyennant deux centimes d’euros par œuf acheté. Ce qui revient à environ 6 euros par poule mise en ponte : un coût pour l’instant difficilement supportable pour la filière, quel que soit son mode d’élevage. Pourtant des couvoirs allemands sont en cours de discussion avec Seleggt et un couvoir français indépendant a été contacté.
Un marché exponentiel en Allemagne
En Allemagne, 30 000 poussins sexés sont déjà produits chaque semaine et Ludger Breloh annonce un million de poules pondeuses issues d’ovosexage d’ici la fin de l’année. La start-up a d’ailleurs été créée autant pour industrialiser la technique que pour développer la demande en lançant un nouveau segment de marché. Seleggt résulte d’une joint-venture entre l’université de Leipzig en Allemagne (l’équipe de Mme Almuth Einspanier est à l’origine du procédé de détection hormonale et du prototype préindustriel), avec Hatchtech, l’équipementier néerlandais de matériel d’accouvage et avec Rewe un distributeur allemand. C’est lui qui en 2018 a lancé la marque Respeggt (sonnant comme le mot respekt, respect en allemand) vendue dans 380 magasins du groupe. « Cela devrait être étendu à nos 5500 magasins d’ici la fin 2019 », assure Ludger Breloh. Cette chaîne de supermarchés génère un chiffre d’affaires de 65 milliards d’euros et se dit très impliquée par le développement durable. Selon Ludger Breloh, l’arrêt de l’épointage s’est généralisé à la suite de l’exemple lancé par Rewe, créant un effet domino. L’initiative Seleggt a été remarquée par les ONG welfaristes. En 2018, le CIWF (1) lui a attribué son trophée de la meilleure innovation, tandis que d’autres en Allemagne contestent cette alternative. Pour Inga Günther, directrice de l’association pour la reproduction écologique des animaux, les embryons de poulet ressentent la douleur dès le septième jour d’incubation. Donc, les retirer du circuit à 9 jours ou à 21 jours ne change rien sur le fond. La chercheuse de Leipzig, Almuth Einspanier, avance que la sensation de douleur survient seulement à partir du onzième jour.
Faire preuve d’un minimum de prudence
Adopter une innovation qui permettra de faire l’économie de l’incubation complète de la moitié du cheptel de poules pondeuses et de résoudre la question de l’euthanasie des poussins mâles semble incontournable sur le long terme. Mais les professionnels de l’accouvage ne semblent pas être décidés à se précipiter sur la première technologie venue. En effet, plusieurs pays sont à la recherche d’autres solutions, notamment en Allemagne, au Canada, en France, en Israël, aux USA… (voir tableau récapitulatif) « Je ne sais pas quelles techniques ils essayent de développer, reconnaît Ludger Breloh, mais je ne crains pas l’émergence d’autres projets, bien au contraire, car les quantités d’œufs à traiter sont importantes. » En effet, tous les pays sont potentiellement concernés par ce gain économique car le nombre d’œufs à sexer mondialement se chiffre par milliards. « Cette technologie pourrait être étendue, ajoute le PDG de Seleggt, comme à la dinde pour laquelle le sexage est manuel, mais pas pour le moment. Pour l’instant, nous recherchons des partenaires comme Poulehouse, dont le concept est unique. Nous sommes persuadés que ce marché va connaître un essor très important rapidement. » En France, l’ovosexage pourrait aussi concerner les canards mulards, même si les femelles sont assez souvent conservées à l’éclosion pour être exportées.
Un cahier des charges exigeant
Idéalement, les techniques de détermination précoce du sexe des embryons devraient répondre à de nombreuses exigences techniques, économiques et sociétales :
- Être précoces pour déterminer le sexe le plus tôt possible et éviter la controverse sur la souffrance causée à l’embryon sacrifié ;
- Être fiables pour éviter les erreurs de sexage (mâles incubés et femelles euthanasiées) ;
- Être rapides et automatisées pour être acceptable sur le plan économique ;
- Ne pas avoir d’impact sur l’embryon (taux d’éclosion et viabilité) et sur les performances futures ;
- Ne pas impacter la valorisation technique et économique des œufs retirés ;
- Être acceptées par l’opinion publique comme une alternative à l’euthanasie des coqs d’éclosion et vis-à-vis du bien-être animal en général.
Les alternatives à l’ovosexage
Éliminer précocement les poussins mâles n’est pas la seule alternative à leur euthanasie. Comme dans un passé pas si lointain, il serait possible d’élever ces mâles à croissance lente pour produire des coquelets d’un kilo vers 56 jours et de les vendre plus cher pour rentabiliser leur surcoût. Des sélectionneurs ont aussi imaginé des souches duales ou « à double fin », de ponte pour la femelle et de chair pour le mâle. En revanche, selon Romaric Chenut de l’Itavi (1) le coût de production de l’œuf de la poule duale serait supérieur de +10 à +26 % par rapport à un œuf de type sol et celui du poulet de +6 à +40 % par rapport à un certifié. En cumul, le surcoût avoisinerait les 5 euros par couple mâle-femelle.