Pourquoi Hubbard se préoccupe encore plus du « bien-être animal » alors qu’il le fait déjà avec ses souches colorées ?
Claude Toudic - « L’attente de plus de bien-être animal n’est pas nouvelle, mais nous avons senti s’exercer une pression supplémentaire depuis 2016, aux USA avec le Global Animal Project (Gap) et un peu plus tard en Europe avec le Better Chicken Commitment (BCC ou ECC pour European). Cela s’est confirmé avec le basculement vers le « poulet de demain » aux Pays-Bas en 2015 (sous l’action de l’ONG Wakker dier) et vers l’œuf alternatif en France (effet L214). Ce qui est singulier, c’est que cette exigence à produire moins intensif est venue d’ONG coalisées mal connues des filières. Grâce à une communication bien menée, elles ont réussi à convaincre des multinationales de l’agroalimentaire et des distributeurs d’adopter leur nouveau standard et de s’engager sur une date d’application, aux alentours de 2025. Ce basculement majeur révèle que le rapport à l’animal est en train de changer. Et cela ne va pas concerner uniquement les pays développés, en raison de la mondialisation des échanges. »
Est-ce que cela signifie un retour au poulet standard d’il y a trente ans ?
C.T.- « Non, car il ne s’agit pas seulement de réduire la vitesse de croissance ou d’adopter une démarche « tradition ». Ces référentiels s’appuient sur des données scientifiques et sur des échanges avec le monde de l’industrie. Désormais, les sélectionneurs ont à prouver que leur génétique est adaptée au mode de production demandé en respectant de nombreux critères (GMQ, rendement, pododermatites, tenue sur pattes, emplumement, niveau de stress…). Pour le poulet BCC, c’est le référentiel anglais de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA) qui s’applique. »
Quel pourrait être le marché de ce nouveau poulet Gap ou BCE ?
C.T.- « Aux USA, les engagements pris pour 2025 correspondent à 10 % de la consommation. En Europe, personne ne sait. Des acheteurs (Sodexo, KFC…) et des distributeurs français se sont prononcés sur le principe, sans donner de chiffres. C’est d’ailleurs cela qui peut poser problème, comme toute période de transition entre deux modèles. Va-t-on créer un nouveau segment ? Comment vont réagir les consommateurs en GMS ? Quel autre segment va en pâtir ? Ni nous, ni les industriels n’avons la réponse. »
Avez-vous un croisement qui correspond à ces référentiels ?
C.T.- « La souche JA87 peut déjà fournir ce débouché, mais nous avons décidé de créer une souche intermédiaire entre le poulet JA87 et le poulet standard. Elle correspondra mieux aux attentes des filières, en termes de GMQ (55 g à 2,4 kg ou 50 g à 1,9 kg), d’indice de consommation et surtout de rendement filet. En appliquant le référentiel BCC, entre une souche standard et JA87 l’écart de coût du vif est de 20 % hors investissement supplémentaire (perchoirs, fenêtres) et pour moitié dû à la baisse de la densité. Notre objectif est de réduire encore cet écart. »
Quand comptez vous lancer cette nouvelle lignée ?
C.T.- « Les lignées pedigree sont déjà sélectionnées. Les tests sur les poulets finaux ont été concluants en station. Nous passons au testage en fermes commerciales pour ajuster le produit final, tout en travaillant la reproduction avec 25 000 poules dans deux pays. Nous validons les étapes du schéma de sélection, avec une décision finale qui sera prise en 2021. Si c’est oui, le poussin sera disponible en 2023.
Et à quelle condition ?
C.T.- « Pour lancer cette production, il faudra que les clients s’engagent. Pour être économiquement et techniquement viable, il faut un minimum de 20 000 parentales commercialisées par semaine. Nous avons bien conscience que face à un marché encore inconnu, la difficulté, pour nous comme pour nos clients, est de définir les volumes à produire et la répartition avec les autres souches (JA 57, JA 87), si on suppose que le marché global restera stable. »
« Le poulet BCC, c’est déjà maintenant »
Quelles sont vos attentes vis-à-vis des industriels ?
C.T.- « Je le répète : que les metteurs en marché s’engagent clairement en 2021. Nous savons bien que la filière est confrontée à un manque de visibilité sur ce futur marché où leurs clients s’engagent sur le principe, mais sans dire combien de poulets ils voudront. La réponse à cette question viendra surtout du consommateur qui fera l’arbitrage entre le prix et le bien-être. Pourtant, il est quasiment certain que le poulet BCC existera, dans la mesure où des multinationales se sont engagées sur leurs marques et que les ONG continueront à leur mettre la pression. En revanche, on ne sait pas où ces firmes iront chercher leur viande de poulet. D’un autre côté, ce sera peut-être une opportunité à saisir notamment pour fournir la RHD, vis-à-vis de produits importés. Il est possible que ce référentiel réduise l’écart de prix entre origine France et import et que les pays tiers préfèrent alimenter le marché de la viande minerai. »
En Europe, quels pays semblent les plus intéressés par le poulet BCC ?
C.T.- « La France et le Royaume-Uni sont les plus avancés dans les engagements. Les pays d’Europe du sud (Portugal, Espagne) sont plus sensibles à la tradition qu’au bien-être animal. Les Pays-Bas ont leur Poulet de demain depuis 2015, proche de notre poulet certifié. De sorte que faute de mauvais exemple à dénoncer l’ONG Wakker Dier a du mal à mettre la pression sur les industriels. »
Quel sera l’intérêt du BCC pour les éleveurs ?
C.T.- « S’ils obtiennent une marge sensiblement identique avec des densités réduites et une facilité de travail avec moins de stress, ils devraient adhérer facilement au concept. Par contre, le Top 5 des éleveurs, très techniques et à la recherche de la performance, pourrait être déçu par des souches à la croissance limitée par la génétique. Les éleveurs néerlandais convertis au Poulet de demain se disent plus soulagés par rapport aux objectifs de performances. »
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