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Voir la terre comme un lieu de vie

Pour certains, le sol est avant tout un habitat. Gîte qu’il faut aménager de façon à héberger des organismes divers et nombreux, sources de fertilité pour la terre.

La formation de turricules indique la présence de vers de terre. Observer le sol est important pour avoir une première idée de son état.
La formation de turricules indique la présence de vers de terre. Observer le sol est important pour avoir une première idée de son état.
© C. Gloria

« Le sol est une maison. » La vision de Konrad Schreiber, agronome à l’Institut de l’agriculture durable, est claire. Le sol est, avant toute chose, un lieu de vie. Pour les vers de terre, les nématodes, les bactéries, les champignons… ; tous ceux qui transforment la matière organique en azote directement assimilable par la plante. « Si les habitants sont nombreux et qu’ils mangent bien, ils se développent, se multiplient et travaillent sereinement, détaille l’agronome. Et c’est ainsi que l’on obtient un sol fertile. » Une vision des choses que partage pleinement Lionel Ranjard, spécialiste de l’écologie microbienne des sols à l’Inrae de Dijon. « Mon prisme, ce sont les organismes vivants, la biologie, explique-t-il. Car elle remplit des fonctions. » Les rôles microbiens sont notamment la dégradation de la matière organique et la minéralisation. Si les bactéries et les champignons ne fonctionnent pas, tout cela est à l’arrêt. On considère par exemple qu’une baisse de 30 % de la diversité microbienne fait chuter de 40 % la minéralisation de la matière organique. D’après ses études, l’ingénieur estime que 15 à 20 % des parcelles viticoles en France sont en mauvais état, un état critique d’un point de vue biologique. Et le scientifique alerte : si les rendements sont bons mais que la biologie se dégrade, cela peut fonctionner aujourd’hui, mais finira par tomber inévitablement, car le système n’est pas durable. « Biodiversité n’est pas synonyme de rendement, mais de durabilité », soutient-il.

Labourer le sol détruit les habitats et déstabilise les habitants

Lionel Ranjard n’hésite pas au passage à faire un lien avec la problématique de dépérissement du vignoble, devenu cheval de bataille de la profession. Dès lors, comment retrouver de la diversité biologique et de la durabilité ? « La structure et le toit de la maison, ce sont les plantes qui le font, schématise Konrad Schreiber. La première chose à mettre en œuvre est donc la couverture des sols. » Une action qui supprime instantanément la stérilisation des bactéries par les UV. Ainsi que l’érosion.

Lire aussi : À la reconquête de la fertilité biologique des sols viticoles

Il recommande dans un premier temps, pour ceux qui ont des appréhensions vis-à-vis de la concurrence, de planter à contre-cycle de la vigne, entre septembre et avril. « Il faut ensuite remplir le frigo de la maison ! », poursuit l’agronome. Il est important de nourrir le sol par des apports de matière organique quels qu’ils soient. « Ne serait-ce qu’en restituant les sarments en les broyant sur la parcelle, suggère Lionel Ranjard. Rien que cela stimule déjà la biologie du sol. » Et quand on a appris à gérer les couverts temporaires et les apports organiques, pourquoi ne pas tenter le couvert permanent ? Car le labour déstructure les agrégats, et donc l’habitat. « Un paysan, en travaillant le sol, détruit la plante, le sol et les habitants au passage », analyse Konrad Schreiber. « Lorsque l’on travaille trop le sol, il est mal couvert, ajoute Lionel Ranjard. En cela les itinéraires bio ne sont pas toujours les meilleurs d’un point de vue de l’écologie du sol. » Sans compter que le non-labour permet d’augmenter la réserve utile, qui est fonction de la porosité biologique du sol. Les travaux de l’Inrae montrent que cela induit une meilleure résistance à la sécheresse. Cela ne viendrait pas d’ailleurs d’une meilleure résistance au stress hydrique en lui-même, mais d’une meilleure réponse à l’apport d’eau et donc une meilleure réhabilitation. « Il faut se poser la question d’à partir de quand le travail du sol devient contre-productif, expose Konrad Schreiber. L’outil n’est pas bon ou mauvais, c’est la dérive de son usage qui est mauvaise. Comme pour le glyphosate : il est mauvais sur un sol nu, mais peut être bon s’il y a 30 cm d’herbe qui perturbe la culture. »

Chacun peut commencer à son rythme, en se fixant un objectif ou une pratique

Dans un deuxième temps, le viticulteur peut entrer dans une approche globale, qui intègre la lutte biologique. Maintenir une population riche et variée dans les sols est une porte ouverte à la régulation des pathogènes. À commencer par le mildiou, qui passe la moitié de l’année au sol. « Ça me désespère de voir que l’on n’a jamais abordé ainsi sa régulation écologique ; dans aucune recherche », s’emporte Lionel Ranjard. En effet un sol rempli de vie pourrait avoir un effet de barrière pour certains pathogènes : si des organismes sont déjà installés, il y a de fait moins de place pour un nouveau. Ainsi le mildiou se contrôlerait à l’automne !

Lire aussi : Des tests simples pour connaître l’activité du sol

« Il faut fixer un objectif, un projet ; peu importe le passé », recommande Konrad Schreiber. Cela peut être l’autofertilité, la réduction d’intrant, la production de biodiversité dans la vigne, l’arrêt de l’érosion ou encore la couverture de cailloux qui, dorénavant, rayonnent en excès et brûlent les raisins. « À l’impossible nul n’est tenu, rassure l’agronome. La règle d’or est d’apprendre, avec ses outils, son appréhension, ce que l’on sait faire, et de se rassurer petit à petit. » « Et d’observer ! », ajoute Lionel Ranjard, qui remarque que les viticulteurs sont très observateurs quand il s’agit de la vigne, des maladies, des carences, mais qu’ils ne regardent pas le sol. Pour l’ingénieur, tous les viticulteurs devraient a minima posséder une bêche, afin de regarder les mottes, les vers de terre, les racines. Il l’assure, l’amélioration du sol peut se faire très rapidement, en deux ou trois ans. « Il faut adapter les plantes de couverture et doser le travail du sol, recommande-t-il. Mieux vaut mettre ces pratiques en place petit à petit pour faire une transition. Si on attend la rupture, ça sera compliqué. Aujourd’hui la société civile pointe du doigt les pesticides et la biodiversité, mais je suis convaincu que d’ici dix ans ce sera le sol qui sera regardé à la loupe par les citoyens. »

dans mes vignes

Laisser l’herbe au moins de septembre à avril, afin de permettre aux populations de lombrics et micro-organismes de se régénérer.

Raisonner le travail du sol, qui affaiblit la biologie du sol et limite la restitution naturelle de matière organique.

Observer à l’aide d’une bêche l’état du sol et avancer par étapes.

Les principaux habitants du sol

Les vers de terre. Ils peuvent être endogés, épigés ou anéciques. Ils se frayent continuellement un chemin à travers les couches du sol en ingérant la terre. Ils aèrent ainsi et renouvellent la structure du sol. De plus, les vers de terre enrichissent le complexe argilo-humique par leur digestion et leurs excrétions.

Les nématodes. Ce sont de petits vers blancs à peine visibles à l’œil nu. Ils sont souvent connus pour leurs rôles pathogènes, mais la plupart des espèces contribuent au bon fonctionnement du sol. Ils ont un rôle de régulateurs des populations de micro-organismes, puisqu’ils se nourrissent principalement de champignons et bactéries.

Les protozoaires. Micro-organismes unicellulaires, les protozoaires font partie du régime alimentaire des vers de terre. Mais ils participent aussi à la libération de l’azote pour la plante. En effet, les protozoaires se nourrissent de bactéries, et les déchets de cette digestion sont surtout constitués d’azote sous forme ammoniacale.

Les champignons. Ils ont la particularité d’être les seuls êtres vivants sur terre capable de dégrader le bois (lignine). Les champignons saprophytes décomposent la matière organique en glucides simples comme la cellulose. Les champignons mycorhiziens vivent en symbiose avec les végétaux (dont la vigne), ils procurent de l’eau et des éléments minéraux en échange de carbone.

Les bactéries. Ces micro-organismes sont les principaux agents destructeurs des substances organiques. Certaines dégradent les glucides en sucres, d’autres les protéines en acides aminés. Les bactéries nitrifiantes rendent l’azote directement utilisable pour les plantes. Quelques-unes encore permettent de fixer l’azote de l’air.

Ensemble, ces organismes vivants forment une chaîne alimentaire qui transforme la matière organique en composés minéraux assimilables par les cultures et participe à la stabilité du sol. Ils participent ainsi à la fertilité biologique.

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