Une transmission familiale anticipée
En 2008, Christian Brun, vigneron bordelais, avait 60 ans. Il a pris sa retraite et transmis l’exploitation familiale à son fils Charles, de 26 ans. Aujourd’hui, père et fils organisent la succession patrimoniale. Une histoire familiale qui s’inscrit dans la durée.
En 2008, Christian Brun, vigneron bordelais, avait 60 ans. Il a pris sa retraite et transmis l’exploitation familiale à son fils Charles, de 26 ans. Aujourd’hui, père et fils organisent la succession patrimoniale. Une histoire familiale qui s’inscrit dans la durée.
"Je me suis installé en tant que viticulteur en 1988, à 39 ans, à la suite de mon père qui avait lui-même repris après mon grand-père", introduit Christian Brun, du château de Lauga, à Cussac-Fort-Médoc, en Gironde. Après vingt ans comme salarié dont dix-sept dans l’aéronautique, Christian Brun a donc été rattrapé par la passion du métier de viticulteur dont il n’a jamais été trop éloigné. Sur son temps libre, il travaillait en effet régulièrement à la vigne, participait aux vinifications et vendait des bouteilles, notamment dans son entreprise.
"J’ai toujours pensé à la transmission"
Au moment de son installation, il se fixe un objectif. "Dès le début, j’ai intégré l’idée qu’un jour j’allais transmettre mon exploitation, confie-t-il. J’avais vingt ans devant moi pour y arriver. Ça passe vite, vingt ans… " Pour rendre son exploitation plus facilement transmissible, il sait qu’il doit moderniser son outil de travail, investir dans le matériel et à la vigne, faire les mises aux normes et adopter de nouvelles techniques. Il s’attache aussi à développer l’œnotourisme, que son père avant lui avait déjà amorcé. "Tout cela est une question d’état d’esprit, note Christian Brun. J’ai toujours pensé, et je pense toujours, qu’il faut échanger pour avancer. Pendant toutes ces années, j’ai donc beaucoup discuté avec mes voisins viticulteurs, avec les responsables d’exploitations et aussi avec les directeurs techniques des grands crus à côté de chez moi. Et je n’ai jamais hésité, par exemple, à leur demander de penser à moi quand ils avaient de bons tracteurs d’occasion à vendre."
Pas d’idée préconçue sur la future transmission
Au départ, Christian Brun n’a pas d’idée préconçue sur la façon dont la transmission de son exploitation s’organisera un jour. Il envisage la mise en fermage si aucun de ses deux enfants ne souhaite reprendre, le moment venu. "Mon fils Charles avait 6 ans en 1988, rappelle le vigneron. Il était un peu jeune pour dire si être viticulteur lui plairait un jour. Cela dit, je me suis tout de même employé à lui communiquer les bons côtés du métier." La nature enthousiaste de Christian Brun a certainement fonctionné à plein. En 2000, Charles, annonce à ses parents qu’il part au lycée agricole pour faire un BTS viti-œno. À cette annonce son père se dit "banco, c’est gagné".
La motivation de Charles est en effet bien ancrée car après son BTS, il s’inscrit en licence de commerce à Tours, puis il part à l’étranger. Au Japon, il fait un stage de sommellerie et de restauration. En Nouvelle-Zélande et en Australie, où il participe à des vinifications. Il visite aussi les États-Unis. Quand il revient en France en 2007 après ce périple formateur, il maîtrise, entre autres, l’anglais "un sérieux atout de nos jours pour la commercialisation des vins", note Christian Brun.
Un état des lieux avant d’engager la transmission
Quant au projet de transmission, il a véritablement été lancé en 2006. "C’est à ce moment-là que Charles a commencé à évoquer plus sérieusement son souhait de s’installer", indique Christian Brun. "Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant "je vais m’installer", complète son fils. C’est venu petit à petit. J’ai grandi là-dedans. J’avais un bel outil à reprendre et le métier me plaisait. Autant en profiter." Il a d’abord travaillé avec son père pendant une année sur l’exploitation. Un laps de temps durant lequel Christian Brun lance un état des lieux de l’exploitation. "Pour cela, j’ai sollicité la chambre d’agriculture et comme je voulais récupérer le maximum de renseignements, j’ai aussi demandé à Groupama et à ma banque d’analyser la situation, détaille-t-il. À ce stade, il fallait préciser ce que l’on voulait."
Les choses étaient assez simples. Charles était dans son projet de reprise. Son père souhaitait partir à la retraite et laisser son fils prendre les rênes et les décisions. Les choses se sont faites naturellement, d’autant plus que le père et le fils n’ont pas de souci de communication ou relationnel. "Ça s’est toujours bien passé entre nous, témoigne Charles Brun. Je n’ai aucun souvenir de moments où nous n’étions vraiment pas d’accord. J’ai la chance de bien communiquer avec mon père."
Une passation grâce à la création d’une EARL
Avant 2008, Christian Brun exploitait en biens propres. Tout appartenait à son épouse et à lui-même. En 2008, pour passer la main, lui et son fils ont donc créé l’EARL C. Brun avec au capital tout le foncier exploité, le chai, le cuvier et le matériel d’exploitation. À noter que la maison d’habitation ne figure pas au capital de l’EARL. Charles Brun, en tant qu’associé exploitant majoritaire, détient 51 % des parts de l’EARL. Ses parents se partagent à parts égales les 49 % restants. L’EARL regroupe donc tout le foncier en production de l’exploitation, soit douze hectares. Et c’est l’EARL qui verse l’ensemble des fermages. À savoir, deux fermages extérieurs à la famille sur près de 2 hectares mais aussi le fermage sur les 8,5 hectares qui appartiennent à parité aux parents de Charles, et enfin, le fermage sur 1,5 hectare qui appartient en propre à Charles. "Nous n’avons pas souhaité créer d’un côté un GFA pour le foncier et de l’autre une société pour l’exploitation, parce que nous voulions faire au plus simple avec une seule structure, précise Charles Brun. En tant que cru artisan, nous avons déjà assez à faire à la vigne, au chai et à la commercialisation. "
Pour l’heure, père et fils se disent satisfaits de cette passation de l’outil de travail. Un petit regret tout de même. Christian Brun déplore le fait que les stocks de vin aient été intégrés dans le capital de l’EARL. "Ça a été une erreur et je crois que sur ce point nous avons été mal conseillés, regrette-t-il. En fait, lorsque vous donnez les stocks à une société, vous payez directement comme si vous aviez vendu le vin. Tout s’est donc déroulé comme si j’avais commercialisé deux années de récolte en une seule année. En conséquence, j’ai dû payer une somme importante d’impôts alors même que les bouteilles étaient encore dans le chai. J’aurais dû garder mon stock et le commercialiser petit à petit. Comme ça, j’aurais payé mes impôts au fur et à mesure de la commercialisation. "
Après l’exploitation, place au patrimoine
La suite de la transmission s’organise actuellement en concertation avec la chambre d’agriculture et le notaire, pour répartir le capital entre Charles et sa sœur, qui est enseignante. Actuellement, cette dernière n’a aucune part dans l’EARL. Avec la donation, elle va devenir nue-propriétaire d’une partie des 8,5 hectares de ses parents, lesquels continueront à percevoir l’usufruit. Comme Charles Brun travaille sur l’exploitation depuis dix ans, il va certainement recevoir un peu plus de terre que sa sœur. "On espère qu’ils seront tous les deux d’accord sur notre proposition, explique Christian Brun. Pour que les choses soient équitables entre eux deux, nous compenserons par une donation sur d’autres biens et peut-être que Charles devra verser aussi une soulte à sa sœur. Mais l’avantage de ce mode de transmission est qu’il permet de bénéficier du Pacte Dutreil, qui réduit de 75 % les droits de donation sur les parts sociales." Dans un souci d’optimisation fiscale, la donation doit se faire avant les 71 ans de Christian Brun, afin que les deux enfants puissent être exonérés des frais de succession sur 100 000 euros de donation faite par chacun des parents.
Et si c’était à refaire ? "Je ne regrette pas d’avoir pris le temps d’organiser cette transmission, conclut Christian Brun. Je suis satisfait de la façon dont nous nous sommes organisés d’autant plus que ça s’était déjà bien passé avec mon père pour ma propre installation. Maintenant Charles fait ses choix et sait ce qu’il veut. Et parfois quand il a besoin d’aide, je suis bien entendu toujours partant pour lui donner un petit coup de main quelques heures par semaine."