Quel avenir pour les variétés résistantes ?
Si la plupart des responsables viticoles réclament l’autorisation de variétés résistantes, une frange de la production reste à convaincre. Ces hybrides sont-ils une solution d’avenir ? Cela fait controverse.
Si la plupart des responsables viticoles réclament l’autorisation de variétés résistantes, une frange de la production reste à convaincre. Ces hybrides sont-ils une solution d’avenir ? Cela fait controverse.
Depuis quelque temps, et à la faveur de la forte pression sociétale sur les phytos, les variétés résistantes sont présentées par beaucoup comme une solution providentielle. Pourtant, la section vigne du Comité technique permanent de la sélection (CTPS) continue de traîner des pieds face aux demandes pressantes de la profession. Tout comme au ministère, où le dossier semble s’enliser alors même que Stéphane Le Foll disait avoir pris les choses en main (voir encadré). Dans les vignobles également, ce type d’innovation variétale ne fait pas forcément consensus, et donne le sentiment d’une certaine tiédeur pour toute une partie de la profession. « Les viticulteurs ont l’air intéressés lors des colloques techniques, illustre Virginie Grondain, technicienne matériel végétal à l’IFV Val de Loire-Centre, mais ensuite ils n’abordent plus le sujet. Ce n’est pas une demande récurrente de leur part. » Sur le terrain, les avis sont effectivement partagés. Pour certains, l’attente est effective : « Je regarde avec attention ce qu’il se fait et je déguste régulièrement les résultats d’expérimentations. On commence à voir de jolies choses, confie ainsi un vigneron de Bandol. C’est une solution intéressante. » Pour d’autres, le scepticisme prime : « Il y a une quarantaine d’années, on nous a fait planter des hybrides à tout va, soi-disant parce que c’était la panacée. Puis il a fallu les arracher rapidement, témoigne un vigneron ardéchois. Je ne suis pas particulièrement chaud pour retenter l’expérience. » Il faut dire que les incertitudes qui pèsent sur ces hybrides d’un nouveau genre sont nombreuses. À commencer par la durabilité des résistances aux maladies cryptogamiques, l’un des problèmes mis en avant par le CTPS. Car l’Inra publiait en mai dernier une étude sur l’adaptation des populations de mildiou aux variétés regent, prior et bronner. Sur ces résistants de première génération, qui sont aujourd’hui demandés au classement définitif, l’efficacité de la résistance chutait jusqu’à 26 % au bout de cinq ans. Certes, ces résistances sont monogéniques, et les cépages de demain nous promettent une résistance renforcée grâce à plusieurs gènes. Mais s’il suffit d’une génération humaine pour contourner un gène, on est en droit de se demander ce qu’il en sera à long terme pour deux, ou même trois gènes ?
Un autre problème pointé par les détracteurs de ces nouvelles variétés : celui de la gestion des maladies secondaires. Car des sensibilités au black-rot sont déjà apparues sur les plants de stations expérimentales. Pour les chercheurs, les croisements à venir devraient toutefois permettre de régler le problème de cette maladie.
Un seul gène de résistance majeur par maladie
D’ailleurs, à l’Inra comme à l’IFV, on est convaincus du potentiel des variétés résistantes. Mais pas dans n’importe quelles conditions. « Une mise à disposition libéralisée du matériel végétal augmenterait le risque d’un contournement rapide, alerte Christian Huyghe, directeur scientifique de l’Inra. Nous ne voulons pas empêcher de tourner en rond, mais nous avons une responsabilité vis-à-vis de ce patrimoine génétique qui est un bien commun à protéger. En cas de contournement, la résistance est perdue à jamais. » D’autant plus que la vigne est une espèce qui ne possède que peu de gènes pour lutter contre le mildiou et l’oïdium : un seul gène majeur par maladie, et quelques mineurs. Pour les deux instituts, les variétés résistantes représentent une voie d’avenir prometteuse, à condition de se baser sur des Resdur (plants avec deux voire trois gènes de résistance), d’observer méticuleusement l’évolution des populations de pathogènes (d’où la création du réseau de surveillance Oscar) et de reprendre les traitements dès l’apparition d’un risque de mutation.
Mais au-delà des aspects techniques, certains s’interrogent sur les risques commerciaux que comporte le développement des variétés résistantes. Car les plantations aujourd’hui se font majoritairement à la demande du marché. Et force est de constater que les grands cépages internationaux (chardonnay, merlot, pinot noir, syrah…) sont toujours les plus plébiscités, notamment en IGP. Il faudra donc un investissement commercial important pour sensibiliser le consommateur à ce type de produit. Une problématique qui devrait être moindre pour les AOC, mais qui soulève la question de leur typicité…
Début février, Stéphane Le Foll nous confiait avoir autorisé deux variétés, et s’apprêter à donner son feu vert pour sept autres. Contacté début avril, le ministère n’a toutefois pas pu nous renseigner sur le dossier. Ce dernier a visiblement pris du retard, et il est toujours impossible de savoir quels sont les heureux élus.
témoignages
(((Aubinel)))
C’est une opportunité à long terme
Les variétés résistantes sont un axe de développement intéressant pour répondre aux problèmes sociétaux croissants. Bien sûr, c’est une piste délicate, puisque nous sommes à 99 % sur des vins monocépages. Il faudra alors se poser la question de la typicité de nos vins. Mais on ne doit se fermer aucune porte. Nous avons lancé un programme de recherche avec beaucoup d’espoir. Nous allons tout de même avancer prudemment sur le sujet, car il ne faut pas mettre en péril notre ADN, connu dans le monde entier. Par contre, une fois que nos phases d’expérimentations seront validées, il faut que cela puisse suivre au niveau administratif.
(((Bach))))
Nous ne sommes pas très optimistes
Sur ce sujet nous gardons la tête froide. Il faut dire que nous regardons avec attention ce qu’il se passe chez nos voisins Suisses et Allemands. Ils se sont lancés il y a longtemps, en pensant que c’était la panacée. Mais aujourd’hui, le constat est que ça ne marche pas tant que cela. Chez eux les variétés résistantes représentent moins de 2 % du vignoble… De plus, en Alsace nous sommes dans un contexte particulier, où nous avons une stratégie basée sur des noms de cépage, et des produits avec une forte typicité. Nous savons vendre du riesling, du sylvaner ou encore du gewurztraminer, mais pour de nouvelles variétés rien n’est moins sûr. Qui plus est, les cépages actuels ont été triés sur le volet pendant plus de deux millénaires, je ne suis pas persuadé que l’on puisse faire aussi bien en deux générations humaines. D’autre part, je trouve dangereux de commencer à impliquer la société civile comme certains le font, alors que nous ne sommes pas prêts techniquement et administrativement.
(((Coppolani)))
Le sujet ne fait pas débat en aval
La question des variétés résistantes n’est pas une préoccupation des acheteurs en grande distribution, nous n’en parlons pas. Chez Intermarché nous sommes actuellement plus sensibles au bio, vers lequel nous nous orientons de manière préférentielle. Jusqu’ici le problème des variétés résistantes, outre le fait qu’elles soient interdites, est plutôt d’ordre qualitatif. Si demain on m’amène un vin qui en est issu, je le goûterai avec plaisir, mais la seule chose qui influencera ma décision c’est la dégustation. Peut-être qu’à l’avenir le service marketing axera sa communication sur les aspects environnementaux positifs qu’ils procurent, mais en ce qui concerne l’achat, cela n’entrera pas en compte pour moi.