Quel avenir pour la recherche viticole ?
Coupes dans les budgets des chambres d’agriculture, antenne viticole de l’Inra menacée de fermeture, cacophonie au niveau des maladies du bois, la recherche française semble en mauvaise posture. Qu’en est-il réellement ?
le CNRS, les Chambres d’agriculture ou les universités.
Où va la recherche viti-vinicole ? C’est bien la question que sont en droit de se poser tous les viticulteurs, à la vue d’un manque criant de résultats dans certains domaines. Comme, par exemple, celui sur les maladies du bois. Depuis le retrait de l’arsénite de sodium en 2001, c’est-à-dire il y a quatorze ans, aucune solution concrète n’a vu le jour. Alors certes, à l’instar du cancer ou du diabète, la tache est rude et longue. Certains estiment qu’il faudra vingt, trente, voire cinquante ans avant de trouver une parade. Mais cette quête est rendue encore plus difficile par la véritable cacophonie qui règne au niveau hexagonal. Il n’y a pas une seule, mais plusieurs antennes chargées de creuser le sujet. L’IFV, l’Inra, le CNRS, les chambres d’agriculture, les universités ; chacun y va de ses expérimentations, sans véritable concertation. Même les privés se lancent dans la course, comme le montre l’appel à projet « de recherche appliquée et d’innovation » d’Hennessy, sur « les maladies fongiques du bois de la vigne », et doté d’une enveloppe de 600 000 euros sur trois ans.
Passer d’une logique d’institution à une logique de programme
Conséquence logique : des pistes prometteuses sont laissées en suspens ou abandonnées, faute de financements. En témoignent les études sur la viniférine de Pierre Coutos-Thévenot et Jérôme Guillard, au CNRS de Poitiers. « Nous avons démontré qu’un polyphénol naturellement présent dans les sarments de vigne, la viniférine, est capable d’inhiber la croissance de quatre champignons tenus pour responsables des maladies du bois sur boîte de Pétri, explique ce dernier. Mais faute de financement, nous n’avons pas pu tester son efficacité sur la vigne. »
Las, le Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et à indication géographique (CNIV) a décidé de financer, sur ses fonds propres, un programme pour recenser toutes les recherches en matière de dépérissement de la vigne et tout remettre à plat. « Il faut casser la logique d’institution pour aller vers une logique de programme », souligne Jérôme Agostini, directeur du CNIV. L’objectif : proposer un programme de recherche hiérarchisé dans un an. Et mettre alors les viticulteurs face à leurs responsabilités. « Si les maladies du bois et le dépérissement sont réellement une priorité pour notre filière, on devrait arriver à débloquer une enveloppe de trois, quatre ou six millions d’euros pour financer un programme de recherche, poursuit le directeur. Il y aura juste des arbitrages financiers à faire, entre ça et des budgets de communication ou d’autres sujets de recherches. » Et une hausse des CVO n’est pas exclue. L’IFV, qui a signé une convention d’assistance en maîtrise d’ouvrage avec le CNIV sur le sujet se dit satisfait. « On ne peut que se réjouir de voir les interprofessions se mobiliser de manière coordonnée sur le sujet, estime Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, directeur général de l’institut. Et ce d’autant plus que derrière, les professionnels vont accompagner financièrement les projets de recherche qui auront été sélectionnés. »
L’ambition est louable, le programme alléchant. Mais à l’heure de la mondialisation, la recherche viti-vinicole ne devrait-elle pas être européenne voire mondiale et non plus franco-française ? Certes, nos chercheurs collaborent ponctuellement avec les équipes de Changins en Suisse, de Geiseheim en Allemagne ou d’Udine en Italie pour ne citer qu’elles. Ils discutent ensemble au sein du réseau Cost (coopération européenne en sciences et technologies), et ils « essaient de se faire repérer dans des colloques à l’étranger, afin d’être contactés par les chercheurs étrangers lorsqu’ils décident de travailler sur une thématique similaire à la nôtre », poursuit Jean-Pierre Van Ruyskensvelde. Mais est-ce suffisant ? Nous sommes encore bien loin de l’établissement systématique d’un programme de recherche européen ou mondial par thématique, même si, bien évidemment, certains sujets, à l’image de la couleur des rosés de Provence, resteront français.
Des coupes dans les budgets des chambres d’agriculture
Il faut dire que dans l’Hexagone, les chercheurs sont plus occupés à maintenir leurs postes et à chercher des financements qu’à essayer de collaborer hors frontières. Et pour cause ! Nous assistons lentement mais sûrement à une modification du financement de la recherche. Avec la loi de finances 2015, le budget des chambres d’agriculture est fortement attaqué. Leurs recettes publiques seront diminuées durant trois ans. Et 55 millions d’euros seront ponctionnés sur leurs fonds de roulement. Ce qui grèvera lourdement les enveloppes des chambres. « Pour le moment, nous ne savons pas trop comment cela va se passer, explique-t-on au siège. Mais le fonctionnement des chambres sera forcément impacté. Des postes en CDD ne seront pas reconduits. » Et d’aucuns de glisser que les chambres devront sabrer dans les expérimentations de terrain, au profit du lancement de services… payants !
L’Inra d’Angers en pleine restructuration
En Val de Loire, ce n’est pas une chambre d’agriculture, mais bel et bien l’Inra, qui est menacé. L’avenir de l’antenne angevine, spécialisée dans la relation entre terroir et typicité, est en effet mis à mal, par le départ à la retraite de l’un de ses ingénieurs de recherche au printemps. Difficile de savoir ce qu’il va réellement advenir du service. « Rien n’est encore officiel. L’unité est en réorganisation », fait-on savoir à l’Inra. Mais on ne peut que constater que cet institut travaille de plus en plus sur demande et co-financement des acteurs de la filière. Le côté positif est que cela lui permet d’être proche des préoccupations de la filière. Mais le revers de la médaille est que ce type de fonctionnement tire vers des recherches aux issues les plus lucratives…