« Observer la pruine des raisins permet d’anticiper les itinéraires au chai »
Vincent Renouf, directeur général des Laboratoires Excell à Floirac, en Gironde, étudie les populations microbiennes présentes sur les pruines depuis plus de vingt ans. Voici les enseignements qu’il en tire.
Vincent Renouf, directeur général des Laboratoires Excell à Floirac, en Gironde, étudie les populations microbiennes présentes sur les pruines depuis plus de vingt ans. Voici les enseignements qu’il en tire.
Depuis quand vous intéressez-vous à la pruine et pourquoi ?
Vincent Renouf : Je m’y intéresse depuis que j’étudie la microbiologie du vin, soit une vingtaine d’années. Dès lors que l’on se penche sur les fermentations d’un produit qui possède déjà en son sein une microflore, il me semble indispensable de l’étudier. Lors de ma thèse, je devais suivre l’écosystème microbien au chai, du début à la fin. Or les premiers prélèvements ne débutaient qu’à l’encuvage, ce qui m’avait étonné. J’ai milité pour les commencer à la vigne. Depuis, je n’ai cessé d’analyser la surface des baies.
Comment procédez-vous ? Votre méthode d’analyse a-t-elle évolué au fil du temps ?
V. R. : La technologie est très simple. Il s’agit de réaliser un prélèvement de baies de façon propre : on coupe la grappe avec un sécateur nettoyé à l’alcool et on la fait tomber dans une boîte de type Tupperware bien propre. Puis on met les baies dans un bain de lavage, et on procède à une analyse microbiologique de ce bain. On dénombre alors les levures et bactéries afin d’obtenir le nombre de cellules par baie. L’analyse est exactement la même depuis le départ, afin de pouvoir comparer les résultats.
Justement, qu’avez-vous constaté ?
V. R. : Globalement, lorsque j’ai démarré ces prélèvements en 2003, il n’y avait que quelques dizaines ou centaines de micro-organismes. Or depuis trois ou quatre ans, les populations sont beaucoup plus importantes. Il y a fréquemment plus de 106 ou 107 levures par baie. Pour les bactéries, c’est très millésime-dépendant. En 2022, les pruines étaient par exemple riches en Lactobacillus notamment des plantarum et hilgardii. Mais nous ne savons pas pourquoi.
En revanche, si au départ nous n’analysions principalement que des pruines de merlot et cabernet dans neuf châteaux bordelais, nous réalisons désormais des analyses dans toute la France ; le Bordelais ne représente plus que 40 %. Et nous constatons que les écarts types sont très faibles, de l’ordre d’une puissance. L’effet millésime domine sur la répartition géographique ou sur l’impact des cépages. De même que le mode de conduite de la vigne. On constate par exemple qu’il y a systématiquement plus d’Hanseniaspora uvarum dans les parcelles conduites en bio ou en biodynamie.
À quoi attribuez-vous cette évolution ?
V. R. : Cet accroissement de population est corrélé à la diminution des antibotrytis et des traitements en général, comme ceux à base de folpel ou de diméthomorphe par exemple. Le changement climatique joue aussi certainement un rôle. La composition minérale de la pellicule a peut-être aussi évolué. C’est une piste que nous souhaitons explorer à partir de cette année avec des propositions de packs analytiques adaptés.
Quels impacts cela peut-il avoir au chai ?
V. R. : On a de plus en plus le réflexe de se dire que si le raisin est sain, on peut être cool en préfermentaire ou durant la fermentation au chai. Or si on a une population levurienne de 107, il faut soit levurer de suite, soit sulfiter, soit levurer à plus forte dose. Car comme on ensemence généralement à 106 ou 107, il n’est pas sûr que la Saccharomyces gagne le match avec une telle concurrence si on attend quelques jours avant de levurer.
De même, quand il y a une forte présence d’Hanseniaspora, il est recommandé d’avoir recours à de la bioprotection. On a notamment remarqué que les Metschnikowia pulcherrima jouaient très bien les antagonistes à cette levure.
En 2022, pour les clients qui avaient des populations importantes de bactéries lactiques et avaient l’habitude de vinifier sans soufre, on a prévenu qu’ils risquaient d’avoir l’apparition de goûts de souris et que s’ils voulaient les éviter, il fallait employer du lysozyme, de l’acide fumarique ou alors implanter beaucoup de levures pour fermer la porte aux bactéries.
voir plus loin
Les Laboratoires Excell proposent différentes formules d’analyse de pruines.
- Le premier pack : Microflore S, contient le dénombrement des levures et bactéries (88,40 euros).
- Le second : Microflore L, intègre en plus deux PCR : l’une pour Hanseniaspora et une dPCR pour dénombrer les bretts (130 euros).
- Le troisième : Microflore biodiversité, identifie en outre les 10 espèces majoritaires (236,30 euros).
Les analyses peuvent être effectuées quinze jours avant la vendange ou la veille ou avant-veille des vendanges. Dans le premier cas de figure, l’analyse sert à décider si on va faire un pied de cuve ou des crèmes de levures indigènes. Dans le second cas, l’objectif est de piloter la vinification, en choisissant la dose de sulfitage, la température, etc.
Les résultats sont disponibles 24 à 48 heures après.
De l’ozone pour « nettoyer » les baies
Les chercheurs travaillent depuis plusieurs années à « assainir » les raisins lors de leur entrée dans le chai, afin de faciliter l’implantation des levures. Ainsi, Antonio Morata, du département de la chimie et de la technologie alimentaire, à l’université politechnique de Madrid a démontré l’effet de l’utilisation de l’ozone (sous forme gazeuse ou aqueuse) en post-récolte, sur l’écologie des levures présentes sur la surface du raisin et pendant les fermentations (spontanées et inoculées). Les résultats ont pointé une propriété antimicrobienne sélective des traitements.
Cela confirme les conclusions du chercheur italien Lucas Rolle, de l’université de Turin. Il y a quelques années, il avait en effet établi que l’ozone sous forme gazeuse diminue la flore du raisin avec une réduction des levures produisant de l’acidité volatile, quand les traitements avec de l’eau ozonée conduisent à une baisse générale de la charge microbienne par rapport au raisin non traité. Il avait également prouvé qu’avec des intervalles de temps et un taux de concentration adéquats, l’ozone agit de manière létale sur des espèces de levures « indésirables », alors qu’il n’altère pas la microflore naturelle « positive » du raisin. Ces traitements permettent en outre d’extraire davantage de polyphénols.